Une élection « normale »

Élection fédérale 2008 - le BQ en campagne

Les explications de Stephen Harper laissent pour le moins perplexe. Pour justifier le viol de la loi sur les élections à date fixe qu'il a lui-même fait adopter, le premier ministre soutient que le Parlement est devenu si «dysfonctionnel» qu'il est impossible d'attendre plus longtemps. Pourtant, il dit s'attendre à ce que le prochain gouvernement soit encore minoritaire. Autrement dit, au lendemain du scrutin, rien ne sera réglé.
Les deux sondages pancanadiens dont les résultats ont été publiés hier placent libéraux et conservateurs presque à égalité. Bien sûr, une élection peut réserver des surprises. Même si le dernier Crop permet au PC d'espérer des gains intéressants au Québec, il semble toutefois douteux que cela suffise à lui assurer une majorité.
La publicité télévisée destinée au Québec contredit elle-même la thèse du blocage parlementaire. La longue liste de réalisations dont M. Harper et ses ministres québécois s'enorgueillissent, à tort ou à raison, semble plutôt démontrer que la Chambre des communes fonctionne de façon tout à fait acceptable dans les circonstances. Alors, pourquoi cet empressement à la dissoudre?
La conséquence la plus immédiate d'un scrutin qui consacrerait le statu quo serait sans doute de provoquer le départ de Stéphane Dion et son remplacement par un chef plus redoutable, peu importe qu'il s'agisse de Michael Ignatieff, de Bob Rae ou d'un autre. Pour M. Harper, auquel une grande partie de la population demeure manifestement réfractaire, ce serait là une très mauvaise nouvelle.
Le premier ministre fait peut-être le calcul qu'il est impossible pour M. Dion d'offrir une plus mauvaise performance qu'actuellement et que sa propre position ne peut que se fragiliser au cours des prochains mois, que ce soit en raison du ralentissement de l'économie ou en raison de l'entrée éventuelle de Barack Obama à la Maison-Blanche.
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Entre deux maux, il est toujours préférable de choisir le moindre. Pour M. Harper, il vaut certainement mieux demeurer deux ou trois ans de plus à la tête d'un gouvernement minoritaire que de risquer une défaite qui précipiterait l'heure de la retraite. Le jour venu, il pourra s'enrichir à loisir dans le secteur privé, mais pourquoi se presser d'abandonner un métier qui lui procure de toute évidence beaucoup de plaisir?
Au contraire, Gilles Duceppe donne l'impression d'être pressé d'en découdre afin de pouvoir enfin quitter un poste qui ne présente plus aucun attrait à ses yeux. Depuis sa malheureuse tentative de faire le saut à Québec, le chef du Bloc québécois n'en finit plus de s'étioler à Ottawa. Seul M. Dion semble se complaire dans sa situation pathétique. À l'aube de la campagne, il manifeste le même enthousiasme que le condamné montant à l'échafaud.
À défaut de bouleverser l'équilibre des forces à la Chambre des communes, les prochaines élections offriront aux Québécois une rare occasion depuis longtemps de faire l'expérience d'une campagne «normale», où le débat entre la gauche et la droite ne sera pas pollué, ou si peu, par la question nationale.
Même si le scandale des commandites avait été omniprésent durant la campagne de décembre 2005-janvier 2006, la souveraineté du Québec apparaissait toujours en arrière-plan. Au-delà du procès fait aux libéraux, c'est la réplique qu'il convenaitde donner aux souverainistes qui était au coeur du débat.
À l'époque, la menace paraissait encore bien réelle. André Boisclair venait tout juste d'être élu à la tête du PQ, auquel les sondages accordaient 15 points d'avance sur le PLQ, tandis qu'une majorité de Québécois se disaient prêts à voter oui à un éventuel référendum sur la souveraineté. C'est seulement après l'arrivée au pouvoir des conservateurs que le vent a commencé à tourner.
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Même avec une plate-forme résolument progressiste, le Bloc québécois a longtemps réussi à s'attacher une clientèle plus conservatrice, pour laquelle l'objectif souverainiste primait sur toute autre considération.
Les premiers signes d'effritement sont apparus dans la grande région de Québec aux élections du 26 janvier 2006. Dans un rapport qui avait été brutalement rejeté par la direction du Bloc, l'ancienne députée de Louis-Hébert et vice-présidente du parti, Hélène Alarie, avait montré du doigt la «frénésie gauchiste» qui s'était emparée du Bloc, trop centré sur Montréal, qui se retrouvait «en porte-à-faux avec le conservatisme profond d'une grande partie de l'électorat de Québec-Chaudière-Appalaches».
Le dernier sondage Crop indique que cette désaffection pour le Bloc s'étend maintenant aux circonscriptions du 450, où l'ADQ avait effectué une percée foudroyante en mars 2007. Maintenant que le PQ a officiellement renvoyé la souveraineté aux calendes grecques, d'autres pourraient se sentir libres de voter selon leurs convictions idéologiques profondes.
D'autant plus que les positions des différents partis sont plus claires que jamais. Entre le conservatisme éclairé de Brian Mulroney et le progressisme modéré de John Turner ou de Jean Chrétien, il n'y avait qu'un pas. Entre libéraux et conservateurs, il y a maintenant un fossé. M. Harper n'a pas tort de dire que Stéphane Dion a entraîné le PLC plus à gauche qu'il ne l'a été depuis l'époque de Pierre Elliott Trudeau. Inversement, le PC n'a jamais été aussi conservateur depuis John Diefenbaker, et encore.
Les progressistes qui sont fatigués de voir le Bloc tourner en rond, mais qui ne peuvent se résoudre à voter pour le PLC, surtout s'il est dirigé par M. Dion, ont toujours la possibilité de se tourner vers le NPD ou le Parti vert. Pour les électeurs de droite, la seule option est le PC. À son grand déplaisir, Gilles Duceppe pourrait découvrir que bien des Québécois sont moins allergiques aux dinosaures qu'il ne le croit.


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