Libre opinion - La publication récente de deux manifestes plaidant, l'un pour la lucidité, l'autre pour la solidarité, nous a fait constater que près de 20 ans après la publication du rapport du Conseil des affaires sociales du Québec, le Québec demeure une société cassée en deux. Pouvons-nous aller plus loin?
Ceux qui plaident pour un Québec lucide le font à partir de leurs préoccupations économiques et financières. Les autres insistent, avec raison, sur les réalités sociales et communautaires.
Par ailleurs, malgré leurs divergences, tant les «lucides» que les «solidaires» parlent des conditions à mettre en place pour l'avènement d'un nouveau Québec. Les premiers agitent l'épouvantail de la dette pour stimuler la réflexion. Les seconds proposent des voies plutôt identifiées à la générosité et au partage.
Les uns et les autres, cependant, fondent leurs plaidoyers sur l'héritage à laisser aux enfants qui vont prendre la relève. Cet intérêt commun mérite d'être souligné.
À cet égard, le débat animé sur le projet de loi 124 concernant les CPE a rappelé lui aussi qu'on risquait d'hypothéquer l'avenir des enfants en jouant avec les services pédagogiques qui leur sont offerts. L'ont bien compris ces quelque 12 000 parents, éducatrices et enfants qui se sont rendus au stade du parc Jarry pour manifester leur désaccord un beau dimanche de novembre.
Pour sa part, la rencontre internationale sur l'environnement a remis de l'avant la fragilité de notre planète et l'urgence d'en tenir compte pour le bien des générations futures. Dix mille personnes en ont témoigné dans les rues de Montréal début décembre.
Des militantes et des militants, dont une majorité de jeunes, s'activent à mettre sur pied un forum social québécois. Ils reprennent ainsi le relais de centaines d'autres jeunes qui, sous les auspices de l'Institut du nouveau monde, ont réfléchi pendant plusieurs jours aux problèmes auxquels notre société est confrontée et cherché des pistes concrètes pour débloquer l'avenir.
Bref, il y a trop de personnes qui s'inquiètent de l'avenir commun et qui intègrent ces questions dans l'ensemble de leur réflexion pour que l'on n'en tienne pas compte.
Deux horizons éthiques
Deux préoccupations éthiques se dégagent de ces multiples événements récents. La première: depuis quelques mois, beaucoup de personnes et de groupes aux intérêts les plus divers se sont mis à penser l'avenir du Québec et de notre monde en le voyant à partir des enfants de demain. Il y a là une préoccupation commune qui dépasse les intérêts corporatistes, les programmes à court terme et les astuces des partis. Les débats ne sont certes pas clos pour autant, mais ils disposent d'un horizon qui permet de les situer.
La seconde vient d'être soulignée avec force dans les rencontres internationales sur les changements climatiques. Il est de plus en plus difficile d'isoler nos gestes quotidiens, les déchets des entreprises et la sauvegarde de la planète. Une approche écologique nous incite à élargir nos perspectives et à tenir ensemble des dimensions de plus en plus nombreuses. Or, cette sensibilité commence à se frayer un chemin dans nos préoccupations sociales et politiques. Il nous faudra bien tenir ensemble l'avenir économique du Québec et la réalité de la dette qui en fait partie, l'éducation et le développement des générations montantes et, bien sûr, la fragilité de notre planète. Il y a là une seconde exigence éthique qu'il nous faudra bien traduire en gestes politiques concrets.
La gouvernance n'est pas neutre
Mais comment y arriver? En bref, en permettant à de plus de gens possibles d'être partie prenante dans l'élaboration des solutions qui les concernent. Le bien commun est à ce prix et c'est ici que se situe la gouvernance. Certains voudraient la restreindre aux multiples façons d'infléchir les décideurs pour qu'ils privilégient les intérêts du libre marché. Mais pour d'autres, et nous en sommes, la gouvernance déborde de beaucoup l'appropriation de meilleures techniques de gestion. Elle désigne alors le processus d'élaboration des politiques et la capacité des différents groupes en cause d'avoir une influence réelle sur ce processus. À cet égard, les réflexions des nombreux groupes de femmes qui ont préparé la loi sur l'équité salariale ou encore la grande mobilisation qui a abouti à la loi pour lutter contre la pauvreté nous montrent qu'une telle perspective n'est pas utopique.
Une confiance radicale dans les forces multiples de la population est ici indispensable pour mettre en branle ce qui pourrait devenir une seconde révolution tranquille. Au lieu de s'acharner à réduire la participation et l'expertise des citoyens, comme le fait le gouvernement actuel dans les CLSC, dans les CRD et dans les CPE, il faudra bien un jour tabler sur les forces et les initiatives de milliers de citoyens et de citoyennes qui font déjà avancer les choses.
Il ne s'agit pas, faut-il le souligner, de minimiser la place du gouvernement dans l'organisation des choses, mais de prendre acte que le rapport à l'État est en train de changer dans plusieurs secteurs de la population. Une soif de participation s'exprime avec de plus en plus de force pour influer sur les décisions qui affectent la vie quotidienne et qui construisent un avenir. Une telle soif grandit et aucun parti ne pourra l'ignorer sans péril.
Autrement dit, la gouvernance de notre société ne peut se limiter à de meilleures techniques bureaucratiques et à l'acceptation myope de la mondialisation. Elle comprend aussi un processus par lequel le peuple se découvre des prises réelles sur son avenir.
Cette conviction s'inscrit dans une trajectoire dont on retrouve la trace à divers moments de l'histoire. Il y a de cela 400 ans, le philosophe Jean Bodin, dans une réplique prophétique à tous ces néolibéraux qui sévissent aujourd'hui, ne disait-il pas au roi Henri IV: «Sire, il n'est de richesse que d'hommes.»
Sans oublier, et la chose est pertinente ces jours-ci, ces vieux textes qui nous rappellent qu'il y a 2000 ans, la soif de changement circulait en Palestine. Les intrigues politiques et les grands marchands occupaient le devant de la scène. Mais ces forces de l'argent et les combines politiques ne purent empêcher cette force toute fragile d'une naissance, qui allait annoncer qu'un autre monde était possible et qu'il y avait là «une bonne nouvelle pour tout le peuple!», comme l'a écrit l'évangéliste Luc.
Une bonne nouvelle pour tout le peuple
Guy Paiement : Pour le Collectif des journées sociales du Québec, Michel Rioux : Pour le Collectif des journées sociales du Québec
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