Un vide sans limites assignables

Chronique de José Fontaine

Là où j'habite, dans la campagne autour de Silly, se produisent encore de temps à autre de très brèves coupures d'électricité. Elles ont comme effet d'éteindre puis rallumer automatiquement la télé branchée encore à l'état de veille de sorte que hier, j'ai entendu soudain le bruit de la télé rallumée dans le salon. C'était l'après-midi. Quel programme y avait-il? Je vous le donne en mille : un reportage en direct de la [[Comme on le lira en cliquant sur le lien qui précède cette note, les Joyeuses-Entrées ont une origine médiévale. On suppose que le roi et la reine sont les successeurs des dynastes qui régnaient sur les Pays-Bas du sud au Moyen-Âge. Mais ces racines médiévales sont aussi faussement médiévales que les églises néo-gothiques. En outre, la Constitution a été réformée de telle façon que la Wallonie puisse supprimer les provinces —institution dépassée—où la famille royale belge persiste à venir quêter les applaudissements des enfants des écoles.]] du roi et de la reine à Liège! Il semble impossible d'y échapper. On n'a déjà parlé que de la famille royale tout le mois de juillet.
A la rentrée, ce sont les Joyeuses-Entrées justement : on en comptera une dizaine d'ici peu. Bien entendu il s'agit de non-événements, mais les non-événements surclassent aujourd'hui les vrais dans l'information.
Le nationalisme ordinaire...

Rappelons la définition du nationalisme ordinaire qui rend bien compte du petit incident d'hier : ce nationalisme est « l’ensemble des habitudes idéologiques qui permettent aux nations occidentales établies d’être reproduites (...) ces habitudes ne sont pas extérieures à la vie quotidienne, comme l’ont supposé certains observateurs. Chaque jour la nation est indiquée, ou «balisée» (flagged) dans la vie des citoyens. Le nationalisme, loin d’être une humeur intermittente dans les nations établies, en est la condition endémique
Il y a là quelque chose que l'on peut constater, peut-être dont il faut prendre lucidement conscience, mais il est illusoire d'escompter y mettre fin. D'après ce que je sais du Québec le nationalisme canadien y est tout aussi endémique, contrebalancé certes par le nationalisme québécois certainement plus fort que le nationalisme wallon.
Même au Pays Basque où le nationalisme est très fort aussi, la lutte contre le nationalisme espagnol ordinaire rencontre des difficultés très grandes. Je pense notamment ici à la façon dont la télé basque voulait présenter la météo à partir d'une carte du Pays basque, non de l'Espagne ce qui a paru d'une grande mesquinerie sans qu'on ne voie que la météo réduite à l'Espagne n'est ni plus ni moins légitime.
Il faut simplement se rendre compte que comme l'idéologie, le nationalisme ordinaire vise à répéter tous les jours que le groupe national ne peut être que ce qu'il est et que cela participe d'une évidence aussi forte que la sécheresse des jours ensoleillés et l'humidité des jours pluvieux. D'ailleurs, nous qui voulons un Québec ou une Wallonie indépendants, nous savons que si cela se produit nous verrons un autre nationalisme ordinaire — le wallon ou le québécois —succéder au précédent. Ou bien le vide succéder au vide. C'est peut-être seulement aujourd'hui qu'ils ne sont pas victorieux que le combat wallon comme le combat québécois ont tout leur sens. A moins que quelque jour, ces combats difficiles et en quelque sorte obscurs, s'ils sont gagnés, ne rendent les femmes et les hommes plus citoyens et plus intelligents, ce que peut-être, ils sont déjà somme toute malgré le vide des médias.
...on n'y peut rien...
Le nationalisme belge endémique, on n'y peut strictement rien. Hier, l'équipe nationale belge rencontrait celle de la Croatie en vue de la qualification pour la Coupe du Monde de football au Brésil. Mes enfants ont tenu à regarder le match qui s'est prolongé durant tout le JT d'hier soir et même a dépassé son heure d'antenne (il est diffusé de 19H30 à 20h, le match était terminé vers 20h15). Le même JT, deux minutes après la fin du match, s'est ouvert par le grand titre de... la victoire de l'équipe de football belge sans cependant se contenter de rappeler ce que tout le monde avait déjà vu, bien au contraire.

Le JT a multiplié au moins 20 minutes encore les interviews et les «analyses» de l'événement (avec retours en direct sur le lieu du match). On n'était pas encore au bout de ses peines. Il a fallu ensuite que la télé se promène à Bruxelles et en Wallonie pour y filmer les spectateurs des écrans géants installés par les communes (sauf à Anvers en Flandre, ville dirigée par le nationaliste flamand Bart De Wever), évidemment «très nombreux et enthousiastes». A Lège le reporter n'a pas craint, signalant la présence de nombreux Flamands, que l' «événement» pouvait «redessiner la carte politique de la Belgique». Sans doute que personne n'y croit, lui pas plus qu'un autre, mais ce délire a quelque chose qui interpelle.
Cela d'autant plus que, après les 2 h de match suivies des analyses du JT, celui-ci se crut obligé de montrer encore longuement la Joyeuse-Entrée du roi et de la reine à Liège, le sport étant ainsi suivi par le folklore. J'ajoute que les nouvelles suivantes concernaient la destruction par le feu et la faillite de deux importantes entreprises wallonnes. Cet ordre dans la présentation donnait le sentiment qu'on s'en tapait «royalement», y compris des blessés graves dans l'incendie de la première. D'ailleurs le reste de la soirée a encore été consacrée à cette victoire du foot belge qui frappe l'Europe de stupeur. Comme le dit un observateur des médias, le temps consacré à ces événements s'allonge démesurément non seulement pendant et après, mais même avant avec de nouveau de nombreuses «analyses» disons «préparatoires».

On pourrait pardonner à la télé d'avoir parlé sous le coup de l'émotion. Mais, ce matin, le très sérieux journal Le Soir publie un cahier spécial de 10 pages (dix!), présenté dans les kiosque de telle manière qu'il arrive en premier lieu avant le journal proprement dit. Sur ce cahier spécial on annonce en plus un nouveau cahier spécial pour lundi (il se pourrait que quelque chose nous échappe encore, je suppose)!
Je me souviens d'une enquête de la KUL sur la monarchie parue en 1991 où l'une des personnes interrogées, plus ou moins indifférente à la royauté, définissait son adhésion au système constitutionnel belge en le comparant à la présence au centre de Mons (ville dont l'étymologie est claire : mons, montis en latin désigne un «mont» et la vile est construite sur une élévation importante), d'un qui domine vraiment tout ce que l'on appelait au Moyen-Âge le plat pays, soit la région s'étendant hors-les-murs.
...mais tout de même
Il est vrai que la presse dira en large partie à juste titre qu'elle ne peut faire autrement, que l'actualité lui impose son agenda. Il n'empêche. L'ancien Premier ministre Wilfried Martens est mort dans la nuit de mercredi à jeudi passés à l'âge de 77 ans. Il a dominé la vie politique belge depuis le début des années 70 et puis de 1979 à 1991 en étant presque sans interruptions le premier ministre belge. On n'a pas caché sa jeunesse de nationaliste flamand radical et de démocrate-chrétien de centre-gauche, ensuite assagi quand il devint Premier ministre, pesant de toutes ses forces contre des membres de son propre parti en faveur d'une Belgique à trois Régions. Mais, sauf Pierre Verjans dans un bref reportage de la RTBF-radio, personne n'a souligné le fait que ce qui l'avait rendu possible, c'était dès 1974 le travail politique de François Perin à la tête du Rassemblement wallon, mort récemment aussi et au décès de qui — sauf La Libre Belgique—, personne n'a vraiment prêté attention. Il est vrai que François Perin se révèlera fort déçu de cet accord, quelques années plus tard et, fait rare, démissionna de son poste de Sénateur avec fracas. Et il est vrai aussi que l'information ne sert plus depuis longtemps à faire comprendre ce qui nous arrive.

On aurait d'ailleurs pu rappeler que le parti de Wilfried Martens au milieu des années 1980 s'est lancé dans une campagne proche de la haine réclamant «Plus un franc flamand pour la sidérurgie wallonne!». Martens ne s'est pas opposé à la campagne de son parti alors que —des ministres wallons de ce gouvernement ont cru à la mort de la Wallonie et c'est vrai que l'on en était proche — cette industrie en Wallonie occupait alors quelque 10% de l'emploi total. Elle était certes aidée par l'Etat mais la sidérurgie flamande, moins importante cependant et n'étant pas en difficultés, recevait proportionnellement plus d'aides, des aides non justifiées (par ses difficultés) mais qui lui ont permis de réaliser des investissements créateurs d'emplois[Voir le paragraphe [Les aides aux secteurs nationaux, dans le livre du Profeseur Quévit]]. Il a fallu changer les lois à toute vitesse pour que ce soit la Wallonie qui paye elle-même ces aides. Et j'ai encore en tête les manifestations désespérées des métallos wallons à Bruxelles, d'une rare violence.
Il est vrai aussi qu'aujourd'hui, en raison des réunions régulières de chefs d'Etats et de gouvernements, un Premier ministre belge rencontre deux ou trois fois l'an les grandes leaders européens ce qui lui donne une stature encore supérieure. Certes, peut-être illusoire dans la mesure où l'on sait que la mécanique européenne s'emballe pour conduire à la disparition de la démocratie et des nations.
Même si ce Premier ministre a inauguré l'ère du néolibéralisme en imposant à ses administrés une politique d'austérité d'une grande injustice (les revenus des plus fortunés ont doublé sous son règne et la dette publique s'est multipliée plusieurs fois), l'homme avait des convictions et c'est dans un cadre démocratique (même faussé), que ses compétences se sont exercées, car c'était quelqu'un qui n'était pas médiocre.
Wilfried Martens a eu droit à 10 pages du journal Le Soir exactement comme la victoire «historique» de l'équipe de foot belge du 11 octobre (et ses répercussions planétaires) dans le cahier spécial du même journal aujourd'hui.
L'ennui avec le vide c'est qu'il peut être creusé à l'infini.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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