La Communauté française nous casse les pieds (II)

Chronique de José Fontaine

J'ai retrouvé un article d'un peu plus d'un an (janvier 2012) où il me semble que j'avais assez bien expliqué comment la manière dont le fédéralisme s'est construit en Belgique a engendré du côté wallon et bruxellois une invraisemblable Communauté française de Belgiqe parce que côté flamand, c'est comme cela que l'on désirait commencer à construire le fédéralisme, soit sur la base des langues (néerlandais et français). Or Wallons et Bruxellois souhaitaient au contraire un fédéralisme à base territoriale fondé sur les Régions, Flandre, Wallonie, Bruxelles.
Le poids absurde de la Communauté française
Il a bien fallu accepter ces Communautés dont personne ne voulaient au départ en Wallonie et à Bruxelles et continuer à se battre pour avoir des Régions qui n'ont été instituées que dix ans plus tard, pour la Flandre et la Wallonie, Bruxelles devant attendre encore 9 ans de plus. Mais dès l'institution des Régions, la Flandre a fusionné la Région (la Flandre 6 millions d'habitants) et la Communauté (soit la Région Flandre + les 100.000 Bruxellois néerlandophones). On ne l'a pas fait côté wallon et bruxellois puisque l'on ne voyait pas le fédéralisme comme cela, tant à cause des intérêts bruxellois (le maintien de l'autonomie de Bruxelles comme Région par rapport aux deux Communautés), que wallons (la mise en place d'une Wallonie autonome, avec son propre projet politique et non une Belgique à deux flamande et francophone où la Wallonie disparaît également).
Je me permets de renvoyer à cet article qui, me semble-t-il explique assez bien pourquoi, historiquement, nous nous battons en Wallonie depuis 30 ans (avec des amis de Bruxelles), pour la suppression de la Communauté et, pour le reste, je reprends quelques lignes de l'article de 2012.
Le problème avec la Communauté française
Il y a un problème avec cette institution incompréhensible, hors normes qu’est la Communauté française de Belgique qui s’est appelée aussi Communauté culturelle française de Belgique, Communauté française de Belgique, Communauté Wallonie-Bruxelles et dont le Parlement a lancé une nouvelle appellation Fédération Wallonie-Bruxelles, d’autres appellations ayant été proposées (Communauté romane, Communauté wallonne même !) etc.).

Certes, ce n’est pas une institution qui fait une culture ni un pays. Mais, les Wallons, en étant appelés Belges francophones, ont la même impression que les Québécois, c’est-à-dire que l’on continue à les considérer comme la partie d’un tout, même à l’intérieur de la Communauté française dont ils sont l’écrasante majorité [En 2003, le directeur de la télévision dite « belge », la RTBF (80% de téléspectateurs wallons potentiels) a osé déclarer dans la revue Télémoustique du 1er octobre 2003 : [« La RTBF a une mission de service public de et dans la Communauté française. C’est notre cahier des charges. On a donc vocation à être la vitrine culturelle de cette Communauté et à en être proche. En tant qu’acteur déterminant de cette Communauté, la Wallonie doit donc avoir une place sur nos antennes... » Une place ! Nous sommes un pays dont la télévision ne consent à nous accorder « qu’une place » dans ses préoccupations ! Alors si c’est le cas, oui, que l’on tue la Communauté française dont la RTBF doit prioritairement illustrer « la culture » !.]] L’existence d’un ministère de la culture française est une façon de nier tout caractère singulier à la culture française (qu’on prend le soin de confier toujours à un Bruxellois, les Wallons semblant ne pas être « sûrs ») de Wallonie. Comme la Communauté française demeure plus belge qu’autre chose, on en profite pour dénier la qualité wallonne à tout ce qui chez nous se distingue dans le sport, la culture, la politique.
On admet que le drapeau wallon flotte sur les déchetteries des villes wallonnes, mais moins sur les centres culturels. Il serait tout de même normal que la Wallonie ait la possibilité, comme tous les pouvoirs politiques dans le monde, depuis la plus humble commune jusqu’à l’ONU, d’exercer l’ensemble de compétences matérielles qu’implique un pouvoir politique (économie, voies de communications, agriculture, environnement, impôts etc.), mais aussi ce qui relève du symbolique (en matière d’enseignement et de culture) et revêt finalement au moins autant d’importance que les compétences que j’appelle ici matérielles. Des ministres de la Communauté française ont torpillé longtemps les efforts de l’Institut Destrée pour que les Wallons apprennent leur histoire à l’école.
Alors que la grande manifestation historique pour l’autonomie de la Wallonie, c’est la Grande grève de 60, des personnalités politiques de haut niveau l’ignorent en Wallonie ! Un jour on a même demandé à un chanteur comme Julos Beaucarne un texte pour la fête de la Communauté française, mais en le priant de retirer l’allusion qu’il fait à la fin aux Wallons. [ Nous sommes 180 millions de francophones dans le monde [«Vola pouqwè nos estan fîr d’iesse Wallon»]]
L'hostilité du journal LE SOIR en train de disparaître

Comme les caricatures dans cet article le démontrent, nous avons souvent rencontré dans notre combat l'hostilité du journal Le Soir. Mais hier, le jour même de la fête de la Communauté, l'éditorialiste du journal bruxellois écrivait [[Béatrice Delvaux dans Le Soir du 27 septembre, p. 1.]], parlant des efforts faits pour rendre la Communauté française populaire (on n'y est jamais parvenu et pour cause) : «Aujourd'hui, le vrai travail de communication devrait viser à mettre fin à une hypocrisie, en disant tout haut ce que tout le monde politique murmure tout bas : la Communauté française n'existe que par dépit, à titre subalterne, faute de trouver une autre solution pour héberger ce qui lui reste de compétences.»
Béatrice Delvaux ajoute : «Ce sont Bruxelles et la Wallonie qui sont désormais autour d'une table belge.» Elle écrit encore : «On ne construira pas de perspectives en enfouissant la tête dans le sable. Ou en ne sortant la Fédération Wallonie-Bruxelles [un des nouveaux noms donnés pour la populariser, ce qui est déjà un échec] du formol que lorsqu'il s'agit de faire peur aux Flamands.»
Pourtant, je ne voudrais pas me réjouir trop vite. Déjà en 1992, je jour même de la fête de la Communauté (27 septembre), son propre président, Bernard Anselme, déclarait que «La Communauté est dépassée par les faits». Le lendemain Vincent Henderick dans La Libre Belgique écrivait: «La fête avait des allures préméditées d'enterrement.»
Une Communauté mort-vivante
Le problème c'est que cette Communauté dont on avait d'ailleurs transféré bien des compétences à la Wallonie et à Bruxelles n'en sortait plus financièrement et n'en sort toujours pas. Son déficit de cette année a dû être compensé avant-hier à la hauteur de 73 millions [Mais André Antoine dit 83 millions dans Le Soir d'aujourd'hui.]] par la Wallonie et de 6 millions par Bruxelles. On dit que la Communauté organise la solidarité entre la Wallonie et Bruxelles. Mais comme dans ce cas-ci, cela signifie, alors que Bruxelles représente le quart des dépenses d'enseignement et sans doute plus parce qu'elle concentre la plus grosse offre d'enseignement et de hautes écoles, d'universités etc., que la Wallonie sauve tout cela à la hauteur de 92,5% contre 7,5 % à Bruxelles. Ce n'est pas la première fois que l'on doit bien acter de tels déséquilibres qui illustrent clairement l'hypocrisie (pour reprendre le terme utilisé par B.Delvaux), des politiques qui appellent cela la solidarité entre les deux régions. Certes, le gouvernement bruxellois a en son sein une minorité flamande qui n'aime pas que la Région aide la Communauté française à Bruxelles. Mais tout de même! En outre ce n'est pas la première fois que se produisent ces déséquilibres. En 2009, le président du Mouvement du Manifeste wallon a mis en cause une somme de 200 millions accordée par la Wallonie sans [contrepartie à cette Communauté, qui n'arrive qu'à lui porter ombrage et la prive d'une compétence essentielle dans son redressement, l'enseignement.
Nous payons pour une institution qui nous nie.

Les régionalistes bruxellois sont d'ardents partisans de la prise en charge par Bruxelles de son enseignement comme de nombreux autonomistes wallons. Une telle réforme aurait pour résultat de mieux fixer les responsabilités, notamment financières. Dans la situation actuelle la bizarrerie communautaire a comme conséquence que la solidarité entre Bruxelles et la Wallonie est une hypocrisie de plus.
Tout le monde comprend que la ville de Bruxelles et la nation wallonne doivent s'entendre et tout le monde, je le crois, le désire aussi. Il faudra bien un jour qu'au lieu de proclamer que la Communauté est enterrée, on la décapite définitivement. L'ennui de son statut hybride (à la fois morte et vivante), c'est que de telles situations d'institutions bancales— c'est un fait d'expérience — ont tendance à se perpétuer. Paradoxalement.
Mais aussi dans ce cas, du fait que — la déclaration de Jean-Paul Philippot en note [1] est révélatrice à cet égard —, la vision du monde de pas mal de nos dirigeants est aussi une vision où la Wallonie n'a pas de place ou alors très secondaire. La montée en puissance politique des Régions semble changer la donne. Pourtant, ce n'est toujours pas à l'émancipation de la Wallonie que vont les priorités. Nos dirigeants politiques hésitent à adopter un langage vraiment politique tellement ils veulent surtout plaire non aux «citoyens» mais aux «gens» : chaque fois qu'une réforme est annoncée, on signale que cela ne changera rien aux habitudes des «gens». C'est comme si l'on n'osait pas dire à la population que ces changements il faut qu'elle les accompagne afin que la Cité humaine demeure ce qu'elle est, ici comme partout. Et comme si on préférait au discours politique la démagogie des politiciens à la «papa». [[Je vise ici Michel Daerden qui se faisait appeler comme cela à Liège.]]

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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