Ceux qui veulent emmurer la Wallonie

Chronique de José Fontaine

Il me semble que dans cette chronique je dois rapporter deux évènements de la plus haute importance pour les démocrates de Wallonie et d'ailleurs. Le premier n'a pas été souligné comme il le faudrait, mais il a quelque chose qui ahurit, l'autre aussi. Le premier tient en une photo que je reproduis dans le paragraphe suivant.
Un roi des Belges brandissant le drapeau wallon
Ou, du moins donnant l'impression de le brandir, mais c'est quand même assez étonnant :

Le roi brandit-il ou non le drapeau wallon? A chacun de juger. Plus que jamais républicain, je suis quand même obligé de réfléchir à ce cliché, car il a une signification qui dépasse la fascination pour le drapeau ou l'image.
Beaucoup de gens croient que le mouvement wallon est né d'hier et seulement pour répondre au mouvement flamand. Ils ne savent pas que notre drapeau national actuel a été choisi comme le drapeau de la Wallonie le 20 avril 1913, à une session de l'Assemblée wallonne, parlement officieux de la Wallonie créé en 1912 à l'invitation de Jules Destrée. L'historien Paul Delforge a bien montré toute l'importance jusqu'ici méconnue de cette initiative et dont j'avais parlé ici même en décembre 1912.
Aux commentaires narquois qu'a suscités cette photo publiée sur mon mur facebook, il y a une belle réponse à faire, c'est que la création de ce symbole de la Wallonie répondait à l'époque à une aspiration profondément démocratique. Depuis près de 30 ans, en cette année de la création du drapeau wallon, la totalité de la Belgique était gouvernée par un gouvernement toujours clérical et conservateur s'appuyant principalement (et même parfois exclusivement, tant que le scrutin majoritaire a eu cours) sur les seuls résultats électoraux en Flandre qui suffisaient à créer une majorité pour la totalité du pays. Ces trente années (1884-1914), les élections en Wallonie n'avaient tout simplement pas d'effet, la majorité écrasante de socialistes et libéraux en Wallonie étant contrebalancée par une forte minorité catholique solidaire de la majorité flamande du même bord.
Liège et Mons les deux grandes provinces wallonnes
A peine d'ailleurs le drapeau wallon était-il adopté qu'à Liège, lors de la Joyeuse-Entrée du jeune roi d'alors, Albert I, le 13 juillet 1913, les militants wallons lui manifestèrent clairement ce qu'ils pensaient de cette Belgique où les Wallons n'avaient rien à dire. Le journal socialiste Le Peuple écrit : «Lorsque, entre le palais provincial et l'hôtel de ville, la foule rompt les cordons policiers protégeant le roi, les wallonisants exaspérés profitent du désarroi pour manifester à la famille royale leurs aspirations d'indépendance [Ils...] balancent sous le nez du roi les couleurs nouvelles...» [[Le Peuple du 14 juillet 1913, cité par Philippe Destatte, L'Identité wallonne, IJD, Namur, 1997, p. 94.]].
Le 7 septembre suivant, en prévision de la visite du même roi à Mons justement (soit à peu près un siècle jour pour jour après la Joyeuse-Entrée de mercredi passé), la Fédération socialiste et républicaine du Borinage rappelant que les ouvriers ne sont que des quarts de citoyens lance cet appel dans son communiqué du 3 : «Travailleurs borains, si vous allez à Mons le 7 septembre qu'aucun de vous n'oublie de pousser nos vieux cris d'espoir, de libération et de délivrance : «Vive le Suffrage universel, Vive la Wallonie!»».[Léon Fourmanoit, Des hommes, des luttes et du Borinage,Mons, FGTB Borinage culture, 1981, p. 70.]]. Il est vrai que le suffrage universel masculin existait déjà, mais il était faussé du fait que les possesseurs de diplômes, les pères de familles nombreuses, les propriétaires fonciers disposaient de plusieurs voix, chose avantageant la Flandre, la bourgeoisie et les paysans les plus riches. A un tel point que le combat wallon à l'époque se confondait avec le combat pour le Suffrage universel, comme on disait alors, [«pur et simple».
(La photo ci-dessus est prise à l'occasion de la ducasse mot wallon - et français - pour kermesse] de Mons durant laquelle a lieu cette procession où l'on tue le [dragon)
Des réservoirs de convictions
Ce que peut inspirer tout ceci, c'est que les luttes populaires durent toujours longtemps et même très longtemps, ce qui incite des philosophes de l'action comme Marc Maesschalck à parler de la nécessité de constituer des réservoirs de convictions. Celui-ci écrit notamment : «C'est la manière de collectivement s'approprier la construction politique d'une destinée commune qui devient l'enjeu central d'une gouvernance démocratique
A mon sens, ce que je fais ici, c'est exactement cela : sans la mémoire des peuples, les réservoirs de convictions s'épuisent et la démocratie délibérative n'est plus qu'une machine qui tourne à vide. Voir qu'il a fallu un siècle pour faire la Wallonie, que les combats incessants pour cela ont dû être sans cesse accumulés, repris, renouvelés, approfondis, poursuivis en dépit de tout, voilà à quoi servent des rappels historiques qui sont l'une des matières à entreposer dans les fameux «réservoirs». Mais si nous croyons que la vie du monde commence à notre naissance (peu importe notre âge!), alors nous sommes perdus. On ne le voit pas assez. On ne le voit pas assez car tout a beau aller plus vite aujourd'hui, les évolutions sont peut-être plus lentes que jamais malgré les apparences. Donnons-en un exemple.
L'infamie des banques et de l'Union européenne
L'Echo de la bourse, le grand journal financier wallon publie aujourd'hui des courriels internes entre le Président du Conseil d'administration de la banque Fortis Maurice Lippens et Jean-Paul Votron son CEO. Le 26 juin 2008, Maurice Lippens écrit à son CEO «J'ai rarement eu aussi PEUR pour l'avenir de Fortis [les capitales sont de lui].» Mais le lendemain, 27 juin, à la télévision flamande il déclare qu'il faut investir vite et le plus possible dans Fortis. Le journal a donné la parole à M.Lippens qui déclare que JP Votron l'avait rassuré mais cela semble inexact dans la mesure où la directrice juridique de la banque déclare un peu plus tard que les responsables de Fortis cachent la vérité au public. Les responsables politiques fédéraux belges ne sont pas épargnés par le journal.
On sait que deux mois plus tard la banque allait être sauvée par l'Etat fédéral belge ainsi que d'autres auxquelles les Etats fédérés durent apporter leur quote-part et, bien entendu, l'Etat français.

On ajoutera à cela que depuis cette crise bancaire et financière, les Etats se sont portés au secours d'encore beaucoup d'autres banques et qu'il le fallait peut-être, mais que l'Union européenne depuis lors tente d'affaiblir encore plus les mêmes Etats qui ont pourtant joué les pompiers des irresponsabilités du secteur privé, au point que l'on peut penser qu'ils se sont mis en danger, ont déséquilibré leurs comptes, ce qui entraîne la nécessité de politiques d'austérité encore supportables dans la partie de l'Europe la moins fragile (France, Belgique, Italie avec l'Europe du Nord), mais non l'Espagne, la Grèce, le Portugal et l'Irlande descendus aux enfers.
Et on sait que l'Union européenne veut aujourd'hui contraindre encore plus les Etats en leur interdisant d'avoir un déficit budgétaire supérieur à 0,5%. Ce qui vaut d'ailleurs aussi pour les Etats fédérés, les Régions, les communes.
La contradiction manifeste d'une telle politique qui affaiblit encore les Etats sans lesquels les banques ne s'en seraient pas sorties en 2008, ne semble pas déranger beaucoup de responsables européens. Sans même parler - si l'on peut s'exprimer ainsi! - de l'injustice grave de pareille politique que payent les peuples européens, très durement.
L'Europe qui prétend donner des leçons de démocratie à la Syrie est tout de même le continent sur lequel se sont déchaînés il n'y a pas si longtemps les pires massacres (y compris au gaz). Il y a même très peu de temps quand on se rend compte que derrière la vitesse des modifications techniques du monde où nous vivons, se dissimule un mouvement rétrograde qui a la lenteur des supplices d'autrefois où l'on emmurait les condamnés qui voyaient à un moment donné un mur de leur cellule très doucement se rapprocher du mur d'en face pour les écraser. Voilà où nous en sommes en Europe. Tout en me réjouissant des progrès de l'autonomie de la Wallonie, je n'oublie pas que le système actuel n'a qu'un seul but comme le montre Susan George, la suppression des libertés et des souverainetés des peuples au bénéfice d'une oligarchie politico-financière.
De tout mon coeur, je souhaite et j'invite les Wallons et tous les Européens qui me liront à boycotter les élections au Parlement européen de 2014. On m'accusera de démagogie, de me faire plaisir en m'indignant ainsi, alors que ce cri du coeur est aussi un cri de désespoir pour quelqu'un qui voit la génération qui le suit retourner à un enfer qu'il n'a pas lui-même connu. Depuis 1980 chez nous, les revenus ont doublé mais les coûts de l'immobilier se sont multipliés par cinq. Les jeunes ont le plus grand mal à se loger.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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