Cinquante ans après la mort du «cheuf»

Un portrait nuancé de Duplessis est-il possible?

L'historien Xavier Gélinas, du Musée canadien des civilisations, a exposé les phases d'interprétation suscité par Duplessis.

Maurice Duplessis

Trois-Rivières -- Comment nuancer le portrait du «cheuf» sans tomber dans la réhabilitation? Tel est le dilemme dans lequel les historiens semblent se trouver face à Maurice Duplessis, 50 ans après sa mort. C'est ce qui a transpiré de la première journée du colloque «Duplessis, son milieu, son époque», à l'occasion du demi-siècle de son décès.
Pour certains, la solution est assez simple: «La Grande Noirceur, jetez-moi ça aux poubelles», a lancé le sénateur Jean Lapointe, qui a incarné le chef historique de l'Union nationale dans la télésérie du même nom, en 1977, et a fait une conférence sur le sujet, hier. Par son rôle, il dit avoir cherché à «rehausser l'image du premier ministre à travers le Québec», allant même jusqu'à gommer certaines portions du scénario de Denys Arcand. Pour protéger des réputations, mais aussi parce que l'ancien premier ministre «le méritait», a-t-il insisté. Ce «ratoureux» aurait toutefois «fait son possible». À ces mots, l'historien Yvan Lamonde a répliqué par une interrogation: et dans son «intransigeance à l'égard des syndicats», dans son «refus de refaire la carte électorale», dans «sa loi du cadenas» et ses «assauts contre les témoins de Jéhovah», Duplessis «a-t-il aussi fait son possible»? «Ça, ça ne faisait pas partie de la série», a répondu simplement un Lapointe, qui a repris à l'occasion quelques-unes des mimiques et inflexions du cheuf.

Deux poids?

Pour l'ancien unioniste et ex-ministre conservateur Marcel Masse, si la mémoire populaire est souvent implacable à l'égard de Duplessis, elle oublie «étrangement» que d'autres premiers ministres, depuis, ont pris des décisions très graves: Trudeau avec les mesures de guerre, Bourassa avec l'emprisonnement des chefs syndicaux.
Plusieurs, hier, ont mis en relief une certaine modernité du bilan de Duplessis, sur le plan industriel et technologique, «à défaut de l'avoir été sur celui de la culture», a noté l'historien Éric Bédard, de la Téluq. Pierre-Louis Lapointe, de la BAnQ, a mis l'accent sur la «grande réussite» de «l'électrification rurale». Le doctorant Stéphane Savard a rappelé que le lancement du projet Manicouagan-Outarde, en 1959, a été effectué par le gouvernement Duplessis. Peut-on croire que le «cheuf» a déjà déclaré: «Si l'Hydro produit de la lumière artificielle, il n'est que juste que les revenus qui en découlent servent aussi à répandre la lumière intellectuelle et morale»?
L'historien Xavier Gélinas, du Musée canadien des civilisations, a exposé les phases d'interprétation suscité par Duplessis. D'abord, la «légende noire», «non sans mérites», mais qui a le défaut à ses yeux d'avoir été forgée par les grands opposants à Duplessis (tels Trudeau et Pelletier), lesquels ont su imposer une vision sans nuances du personnage. Une «légende rose», oeuvre des Robert Rumilly et Conrad Black, a pris systématiquement, dans les années 1970, le contre-pied des thèses noires. Troisièmement, le «révisionnisme» de Ronald Rudin, de Concordia, a démontré que le Québec moderne n'était pas apparu du jour au lendemain, en 1960. M. Gélinas a plaidé pour que les historiens replongent dans les archives, fassent des biographies, des comparaisons, car selon lui, tout n'a pas été dit sur cette période souvent interprétée mais trop rarement documentée.
Le colloque se poursuit aujourd'hui à l'Hôtel de ville de Trois-Rivières, où le collègue du Devoir, Jean-François Nadeau, interviendra dans un atelier intitulé «Duplessis et la presse». Il se poursuivra à l'Assemblée nationale Québec le 25 septembre.


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