Faites taire Le Devoir!

Maurice Duplessis

Gérard Filion, lors d'un discours au Reine Elizabeth, avec en arrière-plan une photo du fondateur du Devoir, Henri Bourassa.
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Les centres d'opposition à l'Union nationale de Duplessis sont assez peu nombreux au cours des années 1950. Il y a notamment la faculté des sciences sociales de l'Université Laval, dirigée par le père Georges-Henri Lévesque, l'Institut des affaires publiques, le Rassemblement démocratique et Cité libre, une revue au tirage presque confidentiel où l'on trouve aussi bien Pierre Elliott-Trudeau et Gérard Pelletier que Pierre Vadeboncoeur. Mais c'est surtout au Devoir, avec André Laurendeau, Gérard Filion, Pierre Laporte, Jean-Marc Léger et quelques autres que s'organise la résistance quotidienne au régime Duplessis.
Le directeur du journal, Gérard Filion, charge sans ménagement l'Union nationale, avec des mots qui dépassent de beaucoup ceux que l'on permettrait désormais dans les journaux. En éditorial, à la suite de la réélection du gouvernement en 1956, Filion dit par exemple ceci des partisans de l'Union nationale: «Leur produit naturel, j'allais dire leur fumier, c'est Duplessis.»
Laurendeau considère pour sa part le premier ministre comme un autocrate de la pire espèce. Lorsqu'en 1958, à l'occasion d'une conférence de presse, Duplessis chasse brutalement le journaliste Guy Lamarche avec l'aide de la police, sous le seul prétexte qu'il travaille pour Le Devoir, en voilà trop. Dans un de ses plus célèbres textes, Laurendeau présente alors le chef de l'Union nationale comme un «roi nègre», une sorte de marionnette coloniale au service de puissances d'argent qu'il croit contrôler mais qui le dominent en définitive complètement.
Ce qui caractérise le mieux le régime Duplessis, explique alors Laurendeau, est la pratique de l'arbitraire. Duplessis choisit même «parmi les journaux ceux qu'il regarde comme loyaux, et il commence d'exclure les autres».
Un journal perfide?
Duplessis se préoccupe toujours beaucoup du contenu des journaux en général et du Devoir en particulier. Dans une lettre confidentielle adressée à Robert Rumilly datée du 17 septembre 1956, Duplessis critique durement Le Devoir et ne cache pas son inclination à vouloir le faire taire: «Il est certain que la propagande du journal en question est tendancieuse, perfide et fielleuse et cela à tel point qu'un nombre de plus en plus considérable d'anciens lecteurs en sont profondément dégoûtés.»
L'éminence grise de Duplessis qu'est l'historien Rumilly écrit pour sa part à son prince afin de dénoncer Le Devoir. Les syndicats et Le Devoir, plaide-t-il devant le premier ministre, «s'orientent et orientent ceux qui les suivent vers une politique très à gauche», c'est-à-dire en faveur d'une politique absolument néfaste à l'avenir du pays.
Comment faire taire ce journal indépendant qu'est Le Devoir, se demandent les partisans de Duplessis? Le Montréal-Matin, ce quotidien dont l'Union nationale tire les fils, ne suffit pas pour couvrir sa voix. Plusieurs plaident alors pour que l'Union nationale finance aussi en douce des journaux ou des revues animés par des hommes sûrs.
Pour contrer les idées plus à gauche qui se font de plus en plus entendre à mesure que les années 1950 avancent, Rumilly et d'autres conseillers informels de Duplessis l'encouragent par exemple à soutenir un journal comme Notre temps, dirigé par Léopold Richer, et des revues comme Tradition et Progrès ou Les Cahiers de la Nouvelle-France, autant d'imprimés qui inclinent à la réaction, mais dont l'influence réelle demeurera en fait fort modeste.


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