HISTOIRE

La visite éclair du maréchal Foch

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Les relations France-Québec ne datent pas de 1967


En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France, Le Devoir propose une série qui remonte aux sources médiatiques de la relation France-Québec, de la guerre de la Conquête à la visite du général de Gaulle, en passant par la tournée diplomatique d’Honoré Mercier en Europe. Dixième texte.



C’est à un maréchal de France que Montréal confie, le 13 mai 1917, l’inauguration officielle de sa toute nouvelle bibliothèque, vaste bâtiment néoclassique de granit gris planté, rue Sherbrooke, devant un ancien dépotoir transmué en espace vert, le parc La Fontaine.


L’affaire fait événement. Pensez donc : Montréal est la dernière grande ville d’Amérique à se doter d’une installation publique de ce genre. Le clergé, jusque-là, ne supportait pas l’idée d’une bibliothèque accessible à tous. Au point qu’il fallut l’armée, en 1875, pour enterrer le corps de Joseph Guibord, accusé par le clergé de défendre un libre accès aux livres à titre de membre de l’Institut canadien. Les livres ont sans cesse été refoulés jusqu’à ce qu’on puisse inaugurer cette bibliothèque publique. Et c’est le maréchal Joseph Joffre, portant l’auréole du guerrier, qui est chargé de célébrer cette victoire.


Quatre ans plus tard, un autre maréchal français, Ferdinand Foch, est invité en grande pompe à visiter à son tour cette même bibliothèque. Sur place, heureux de la réception qui lui est faite, Foch signe une affiche souvenir, imprimée en série à son effigie. Enrubanné de lauriers dorés, la moustache touffue, le maréchal de 69 ans incarne la victoire des forces alliées au terme de cette immense boucherie qu’a été la Grande Guerre, comme on appelle encore le conflit de 1914-1918.



Le 11 décembre 1921, Foch arrive d’Ottawa, à bord d’un « magnifique convoi de wagons en acier ». Son arrivée est attendue. Il est suivi par les médias pour l’accueil que les États-Unis viennent de lui réserver. À la Maison-Blanche, le président Warren Harding l’a reçu avec les plus grands honneurs. Partout, le seul nom de Foch est synonyme de victoire, au nom d’une héroïsation de la guerre que tentent de maintenir les nations, au-delà du désastre innommable que représente cette guerre d’un nouveau genre.


Foch débarque à Montréal, la « quatrième ville française de l’univers », souligne fièrement Le Devoir de l’époque. La métropole du Canada se remet tout juste de la grippe espagnole. Les derniers foyers de contagion d’une troisième vague se sont éteints l’année précédente, sans que l’on comprenne davantage sa venue que sa disparition.


L’héritier de Montcalm


L’accueil réservé à Ferdinand Foch est décortiqué par le correspondant français du journal Le Matin. Le reporter ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre le généralissime et son lointain prédécesseur, le marquis de Montcalm, vaincu en 1759 sur les plaines d’Abraham. « Le maréchal Foch a touché la terre canadienne et c’est comme si tout un passé en était rapproché. De fait, l’ombre blanche de Montcalm semblait présente, tout comme la terre enneigée touche à l’horizon bleu. Ailleurs, ce furent des vivats et des acclamations et un enthousiasme délirant. Ici, ce fut surtout de l’émotion, une émotion qui ne pouvait se traduire par des cris. »


À l’instar de Montcalm, Foch est un Méridional « pas très grand de taille », écrit le journaliste du Devoir Ernest Bilodeau. « On reconnaissait les traits rendus si familiers par la publicité, mais encore plus sympathiques que la peinture ou la photographie ne sauraient les rendre. […] Lorsque le maréchal Foch parle à quelqu’un, c’est avec tout son tempérament vigoureux de montagnard et de demi-gascon. »


Le militaire défile dans les rues enneigées de la métropole à bord d’un landau de luxe, suivi par une colonne d’invités de marque entassés dans des automobiles noires. Ce cortège remonte la rue Sherbrooke, en faisant un arrêt à la bibliothèque, où Foch est reçu par Hector Garneau, le petit-fils du grand historien, archiviste, bibliothécaire.


Devant son auditoire, le maréchal martèle un discours où la guerre correspond à une fonction culturelle normalisatrice. « Sans la victoire, c’était la mort de la civilisation et de l’humanité que nous représentions », lance le maréchal, en imaginant les conséquences d’une guerre remportée par les Allemands et leurs alliés austro-hongrois, ottomans et bulgares. Pendant toute la durée du conflit, des deux côtés, on a tenté de diaboliser l’ennemi.


Après un saut à l’École des Hautes Études commerciales où il se voit offrir un doctorat honorifique, Foch est mené dans son landau jusqu’à l’arsenal des Carabiniers, avenue des Pins. Là, il harangue les expatriés français de la métropole qui, nombreux, se sont engagés dans le conflit. « Le maréchal Foch n’est pas allé au collège Sainte-Marie, saluer les Pères jésuites, dont des collègues français ont formé le grand lutteur chrétien, déplore Le Devoir. Le général Armstrong a prétendu que le programme était trop chargé. » Le commandant du district militaire de Montréal trouve toutefois du temps pour le faire passer au Canadian Club, un cercle d’hommes d’affaires anglophones fortunés de la métropole.


Le maréchal traverse Montréal « comme un météore », constate le président de l’Alliance française de Montréal, M. Gonzales Desaulniers. « Dans les foules qui vous ont acclamé tantôt et qui vous acclameront demain, il n’y a que des gens, à quelques exceptions près, originaires de la Bretagne, de la Normandie, de la Touraine et de la Provence, qui ont cultivé, dans la vallée du Saint-Laurent, les vieilles qualités et même un peu les défauts de votre race. »


Gonzales Desaulniers abrège son discours pour ne pas épuiser le visiteur que l’on imagine assommé par l’effet répétitif de ces hommages qui s’additionnent depuis des jours : « À quoi bon parler davantage ? Demain, dans le bas du fleuve, sur la citadelle de Québec, ces choses-là vous seront mieux dites et vous seront plus intelligibles, car à la douceur des mots s’ajoutera la séduction des paysages et l’attrait des plaines historiques sur lesquelles se sont jouées, un jour, nos propres destinées. »


Souvenirs de voyage


Au matin du 12 décembre 1921, Foch est conduit à Québec à bord de son train spécial. À la gare du Palais, l’ancien commandant de « la plus grande armée dont l’histoire fasse mention » est reçu par le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau qui, au pouvoir depuis moins d’un an, prolonge un long règne du Parti libéral amorcé en 1897. Le cortège traverse la capitale, où l’on semble déjà avoir oublié les émeutes contre la conscription qui avait fait quatre morts et une soixantaine de blessés parmi les civils trois ans plus tôt.


Foch est déposé à la citadelle de Québec où l’attend le Royal 22e Régiment, dont il est le colonel honoraire. Le correspondant du journal Le Matin ne cache pas son émotion à la vue d’un maréchal de France passant en revue une unité de soldats canadiens-français, sous le règne d’une légère poudrerie. D’autant plus que la scène, filmée par « les opérateurs de vues animées », se déroule « au-dessus des plaines d’Abraham, dans lesquelles, il y a un siècle et demi, se livra la bataille suprême ».



Le généralissime passe en coup de vent à l’Université Laval. Il se voit remettre un second doctorat honorifique, dans la salle des promotions du Séminaire, au milieu des étudiants qui entonnent le chant populaire « Il a gagné ses épaulettes ». Foch effectue un dernier arrêt au salon Rouge du Parlement, sur le trône du président du Conseil législatif.


« Maréchal, je vous présente les descendants des Hurons qui ont combattu avec Montcalm », lance le premier ministre Taschereau en introduisant le grand chef Ovide Sioui, le président d’une « délégation de la tribu huronne de Loretteville », comme le rapporte Le Soleil. « Le passage dans la vieille capitale du premier maréchal de France ne pouvait pas avoir lieu sans que les descendants des enfants des bois apportassent à ce dernier un témoignage de leur profonde admiration », ajoute La Patrie.


Le héros moustachu grille une dernière cigarette à la gare du Palais avant de reprendre le train qui le ramène à New York, en passant par Sherbrooke. Le paquebot transatlantique sur lequel s’embarque le maréchal quitte Manhattan le 14 décembre 1921. Dans ses bagages, d’encombrants souvenirs, dont des poupées mécaniques destinées à la petite-fille de Foch, des costumes offerts par les Sioux de l’Ouest américain, un coq de combat empaillé et une épée sertie de saphirs, dont la garde en ivoire provient « d’éléphants de l’Afrique », souligne le texte d’agence paru dans Le Devoir. Entre deux malles de voyage remplies à ras bord, on peut entendre les cris de Théodora, le chat sauvage offert par l’État du Wyoming.



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