La Conquête de 1760 a-t-elle, oui ou non, été un drame pour le Québec ?

Une nouvelle étude se penche sur l’école historique de Québec

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La bataille de la mémoire : une doctrine d’historiens fédéralistes fondée sur le dénigrement de notre histoire

Lord Durham, après la Conquête anglaise, avait qualifié les Canadiens français de « peuple sans littérature et sans histoire ».


La Conquête anglaise de 1760 explique-t-elle l’infériorité économique des Canadiens français? Durant les années 1950 et 1960, trois historiens de l’Université Laval répondent non.



François-Olivier Dorais

L’École historique de Québec

Une histoire intellectuelle


Montréal Boréal, 2022


Professeur d’université à Saguenay, François-Olivier Dorais s’est penché sur l’école historique de Québec, marquée par les travaux de Marcel Trudel, Fernand Ouellet et Jean Hamelin. Cette brillante étude montre les limites de l’objectivité en histoire.


Les historiens, même les plus rigoureux, proposent souvent des interprétations qui reflètent leurs valeurs ou leurs orientations politiques. Ils ne font pas que présenter les grands événements du passé, ils en expliquent les causes et les conséquences.


Voilà pourquoi la fondation de Québec, les affrontements de 1837 et la Révolution tranquille font régulièrement l’objet de débats et de discussions entre historiens. Les faits sont les mêmes pour tous, mais le sens et la portée qu’on leur donne peuvent varier.


À qui la faute, alors?


De tous les événements de notre histoire, la Conquête de 1760 a certainement été l’événement le plus discuté et débattu.


Une première école, nationaliste, a toujours présenté la victoire des Anglais comme une catastrophe qui expliquait les retards de la société québécoise d’avant la Révolution tranquille. Face à cette «école de Montréal», celle de Québec, souvent qualifiée de «bonne-ententiste», a longtemps soutenu que les retards qu’accusaient les Canadiens français sur le plan économique n’avaient rien à voir avec la Conquête.



PHOTO D'ARCHIVES, AGENCE QMI


Par opposition à ceux de l’école nationaliste de Montréal, ces historiens de l’école de Québec, œuvrant à l’Université Laval (dont on voit le campus sur cette photo), étaient convaincus que les problèmes des Canadiens français n’avaient rien à voir avec la Conquête.




À qui la faute, alors? À des agriculteurs paresseux qui refusaient les innovations techniques, à une Église réactionnaire figée dans la tradition et à une petite bourgeoisie d’avocats attachée au régime seigneurial et réfractaire aux règles nouvelles du capitalisme libéral.


En guerre contre les souverainistes


Des trois historiens étudiés par Dorais, Fernand Ouellet était certainement le plus radical. Son Histoire économique et sociale du Québec, 1760-1850 (1966), malgré ses statistiques et ses tableaux qui donnaient à son ouvrage une allure savante, était une charge polémique contre une mentalité jugée archaïque. Les «héros» de Ouellet étaient ces marchands britanniques qui incarnaient les progrès du commerce et de l’industrie. Ceux-là mêmes qui financeront des milices pour écraser le mouvement patriote.


PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE OUELLET


Fernand Ouellet était, de loin, l’historien le plus radical de l’école de Québec.




Historien iconoclaste, Marcel Trudel va s’employer à montrer tous les travers des grandes figures de la Nouvelle-France. Alors que les Canadiens français avaient longtemps tiré une légitime fierté de ces lointaines origines, Trudel prépare la voie aux chantres de la déconstruction en montrant tous les travers d’une société pauvre qui reproduisait les institutions vétustes de l’ancien régime français. Cette perspective le mènera à considérer la Conquête britannique comme un événement salutaire.



PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC


Marcel Trudel, historien iconoclaste, en était venu à considérer la Conquête comme un événement salutaire.




Sauf Jean Hamelin, le plus nuancé des trois, Ouellet et Trudel trouvent refuge à l’Université d’Ottawa et leurs œuvres respectives fourniront quantité d’arguments aux fédéralistes pour combattre la menace «séparatiste».


L’école de Québec existe-t-elle toujours ? Plus vraiment, sauf Jocelyn Létourneau, cet ancien boursier de la Fondation Pierre Elliott Trudeau qui milite pour la dénationalisation de notre histoire.