Un ministre aveugle

Afghanistan - torture, mensonges, censure et cafouillage

Le ministre canadien de la Défense, Gordon O'Connor, est à nouveau au coeur d'une controverse autour du traitement que l'Afghanistan réserve aux prisonniers qui lui ont été remis par la mission militaire canadienne. Le Canada a des obligations envers ces prisonniers, dont il semble, à titre de ministre, faire bien peu de cas.
Il y a un mois, la controverse portait sur la disparition mystérieuse de trois prisonniers talibans. Le ministre a alors dû avouer que la Croix-Rouge, sur laquelle il comptait pour s'assurer du traitement réservé aux prisonniers «canadiens», était incapable de remplir un tel mandat. Cette fois, c'est de torture qu'il s'agit. Plusieurs cas sont maintenant connus, mais la Commission afghane des droits de l'homme, qui a remplacé la Croix-Rouge pour être les yeux et les oreilles de Gordon O'Connor, apparaît tout aussi impuissante.
Que l'on torture dans les prisons afghanes ne devrait surprendre personne. Le gouvernement afghan fait face à une insurrection armée de la part des talibans. Ses services secrets sont prêts à tout pour obtenir des renseignements. La torture n'est-elle pas pratiquée par bien des pays, y compris les États-Unis, qui, au début de l'occupation en Irak, jugeaient cet outil utile pour préserver des vies américaines?
On s'étonnera que le gouvernement canadien n'ait pas prévu la chose et qu'il n'ait pas pris davantage de précautions. On se demande, par exemple, comment le ministre O'Connor a pu croire que, avec seulement huit inspecteurs pour visiter tous les prisonniers talibans, la Commission afghane des droits de l'homme arriverait à remplir la mission que lui a confiée le Canada. Or, on sait maintenant que ces enquêteurs n'ont même pas accès aux prisons placées sous la responsabilité des services secrets afghans.
De deux choses l'une. Ou Gordon O'Connor est un homme d'une grande naïveté, et il ne mérite pas d'occuper le poste de ministre de la Défense. Ou il souffre d'aveuglement volontaire. Il fait le naïf pour mieux tolérer l'indéfendable. La convention de Genève oblige le Canada à s'assurer que les prisonniers qu'il fait sont traités selon les normes prévues dans ce texte, cela même s'ils ne sont plus sous sa garde. Le militaire de carrière qu'il est ne peut l'avoir ignoré. Tout comme le politicien qu'il est ne peut ignorer que les Canadiens ne peuvent accepter que leur gouvernement ferme les yeux sur une telle situation.
L'opposition aux Communes demande unanimement la démission du ministre pour la deuxième fois en un mois. Stephen Harper le défend en disant que les cas de torture évoqués ne sont pour l'instant que des allégations qui relèvent de la propagande talibane. Néanmoins, ces allégations méritent d'être l'objet d'une enquête. Si elles devaient être confirmées, Gordon O'Connor devrait faire le geste honorable qui s'impose, comme on dit dans le jargon parlementaire pour évoquer une démission.
Le départ du ministre O'Connor ne changera rien si, par ailleurs, le gouvernement canadien n'exige pas de l'Afghanistan des garanties quant au traitement accordé aux prisonniers que les militaires canadiens lui remettent. Ces garanties doivent être assorties de mécanismes de vérification placés sous la responsabilité de Canadiens. Le gouvernement Karzaï doit bien cela au Canada pour l'appui en argent et en vies humaines qu'il lui apporte dans sa lutte contre les talibans.
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bdescoteaux@ledevoir.ca


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