Le piège afghan

Afghanistan - torture, mensonges, censure et cafouillage

Si le chef conservateur Stephen Harper espérait déclencher des élections ce printemps, il devra y penser à deux fois. Peu importe les sondages, une ombre imposante plane maintenant sur son gouvernement, celui du dossier afghan. La mort de huit soldats durant le congé de Pâques a déjà servi d'avertissement. La confusion et les contradictions qui entourent la participation à des missions de combat au-delà de février 2009 ont aussi fait monter l'opposition aux barricades. Mais rien n'avait préparé le gouvernement aux dernières révélations sur le traitement réservé aux prisonniers faits par les Canadiens et remis aux autorités afghanes.
Le Globe and Mail révélait lundi qu'une fois dans les prisons afghanes, ces détenus étaient souvent soumis à la torture et à des traitements dégradants. Hier, le quotidien ajoutait que la Commission indépendante des droits de la personne d'Afghanistan ne pouvait assurer le suivi que le Canada attendait d'elle, faute de moyens.
Il faut remonter à mars 2006 pour comprendre le poids que traîne ce gouvernement. À l'époque, les allégations de torture dans les prisons afghanes surgissent sur la scène internationale. L'opposition s'inquiète mais apprend de la bouche du ministre de la Défense, Gordon O'Connor, que le Canada a conclu à la fin de 2005 un accord avec le gouvernement afghan sur le transfert de prisonniers. Il ajoute que cette entente prévoit la collaboration de la Croix-Rouge, qui l'avisera en cas d'abus. Cette version tient des mois, jusqu'à ce qu'on apprenne, à la fin de février dernier, que trois détenus remis aux autorités afghanes ont disparu.
Le Globe and Mail, encore une fois, décide de fouiller l'affaire et découvre que la Croix-Rouge n'a jamais conclu d'entente avec le Canada pour superviser les prisonniers transférés. Le CICR est informé du transfert, sans plus. Elle visite les prisons afghanes mais ne dévoile jamais ses observations à un tiers. Si elle constate des abus, elle alerte le gouvernement de Kaboul, pas le Canada.
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Le ministre se défend d'abord d'avoir menti, puis le reconnaît aux Communes le 19 avril. Il affirme avoir simplement mal compris la teneur de l'entente, pourtant signée par le chef d'état-major Rick Hillier. Mais ce n'est qu'après avoir été pris en défaut publiquement que le ministre s'est empressé de chercher une autre solution en demandant la collaboration de la Commission indépendante des droits de la personne d'Afghanistan. Dans les jours qui ont suivi la conclusion d'une nouvelle entente, un des dirigeants de l'organisation a toutefois avoué manquer de moyens pour garder un oeil sur les détenus transférés par le Canada.
Malgré cela, Stephen Harper défend son ministre et s'accroche depuis deux jours à l'entente avec la commission afghane. Quant aux nouvelles allégations, il dit les prendre au sérieux mais, avec tout le manque de nuance dont il est capable, ajoute ne pas pouvoir prendre de décisions sur la base d'allégations venant de présumés talibans. Il veut des preuves. Mais à qui Ottawa les a-t-il demandées? Au gouvernement afghan et à la même commission qui se dit incapable de remplir son mandat.
Il n'est pas question de mettre fin aux transferts ni de négocier un nouvel accord avec le gouvernement afghan. D'autres pays de l'OTAN, dont les Pays-Bas, ont pourtant prévu des mécanismes de suivi de leurs prisonniers. Ils leur rendent visite eux-mêmes pour vérifier qu'ils ne sont pas maltraités. Rien n'empêche le Canada d'en faire autant.
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Le manque de transparence du gouvernement et l'incapacité du ministre à donner l'heure juste sur la mission afghane font de cette dernière un talon d'Achille pour les conservateurs -- un de plus avec l'environnement. (Un dossier où là encore la désinformation est la règle.) Chaque fois que la situation des prisonniers a été soulevée aux Communes, Stephen Harper a opté pour la désinvolture à l'endroit de l'opposition. Dans la plus pure logique du «nous contre eux», il a accusé les libéraux de se préoccuper davantage du sort des talibans que de celui des militaires canadiens. Ce n'est qu'une fois l'affaire à la une du plus grand quotidien du pays que son gouvernement a bougé ou a prétendu le faire.
Stephen Harper pourrait, pour sauver les apparences, décider de sacrifier son ministre, comme il l'a fait avec Rona Ambrose à l'Environnement, mais c'est le fond de l'affaire qui pose problème.
Et le gouvernement ne pourra pas s'en sauver en écrasant les citoyens sous une chicane de chiffres et de mesures techniques, comme il tente de le faire au sujet des changements climatiques. Le traitement des prisonniers décrit par le Globe ramène à un débat de valeurs.
Les conservateurs jouent avec le feu. Les Canadiens sont attachés au respect des droits fondamentaux et n'accepteraient pas de voir la réputation du pays compromise à ce sujet. Or les faits donnent l'impression que le sort des détenus est, et reste, le dernier souci de ce gouvernement. Si tel est le cas, il s'agit d'une contravention possible à une convention internationale qui interdit la torture, mais aussi le transfert de prisonniers à un autre pays qui y a recours ou qui est soupçonné d'en faire usage.
L'opposition n'a jamais manqué de relever chaque déclaration du ministre de la Défense, Gordon O'Connor. L'affaire des détenus vient de lui donner de nouvelles munitions, elle qui capitalise déjà sur la confusion qui entoure la durée de la mission. Les Canadiens, eux, se sont fait une opinion. Selon un sondage réalisé par Ipsos-Reid et publié hier par la chaîne CanWest, 63 % d'entre eux veulent que la portion offensive de la mission prenne bel et bien fin en février 2009, ce à quoi la motion libérale défaite hier faisait écho.
Cet état d'esprit n'est pas près de changer avec la controverse sur le traitement des détenus afghans. Au contraire. Et pis pour les conservateurs, elle pourrait ressusciter la méfiance que bien des Canadiens ont longtemps entretenue à leur égard en matière de justice et de défense. Voilà qui est bien plus préoccupant qu'un mauvais sondage.
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mcornellier@ledevoir.com


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