Sans vouloir défendre l'ex-lieutenant-gouverneur Lise Thibault, un personnage dont les trop nombreuses déclarations publiques ont toujours été aussi insignifiantes que le poste qu'elle occupait, une question s'impose à la lecture de l'accablant rapport sur ses dépenses: comment se fait-il que Son Excellence ait pu mener un tel train princier pendant 10 ans sans que personne ne lui demande de rendre des comptes?
Une décennie de party aux frais des contribuables, un total de 700 000$ en dépenses grossières et en «double dipping» et personne, à Québec ou à Ottawa, n'a jugé bon de poser quelques questions?
En fait, correction: il y a bien eu quelques questions, c'est ce qui rend les abus de notre ex-chef d'État encore plus scandaleux. En effet, dès 2002, il y a cinq ans donc, le gouvernement Chrétien avait réclamé à Mme Thibault le remboursement de frais inadmissibles remontant à 1998.
En vérifiant les dépenses de tous les lieutenants-gouverneurs du pays, les fonctionnaires de Patrimoine canadien avaient détecté des sommes louches dans les factures de Mme Thibault. La dame s'était fait rembourser des dépenses de repas et de rondes de golf faites pendant ses vacances en Floride.
La somme n'était pas astronomique, soit 1800$, mais son origine aurait dû mettre la puce à l'oreille des vérificateurs. Voici ce qu'elle disait pour sa défense à notre chef de bureau à Ottawa, Joël-Denis Bellavance, après avoir dûment remboursé les 1800$: «Je prends mes vacances au soleil en Floride. Je n'étais pas au courant que je ne pouvais présenter des factures qui représentaient des frais que j'avais encourus et que je considérais à l'intérieur de mes fonctions, même si je suis en Floride.»
Apparemment, le golf et les repas en Floride n'étaient pas les seules dépenses qui cadraient, selon Lise Thibault, dans la description de tâches de lieutenant-gouverneur. Voilà qui aurait dû inciter quelqu'un, quelque part, à surveiller d'un peu plus près les dépenses de la dame.
Idem, en 2004-2005, quand Mme Thibault n'a pas honoré son engagement pris auprès de Patrimoine canadien de publier chaque année des états financiers. Là encore, quelqu'un dormait au gaz à Ottawa.
À la décharge de Mme Thibault, il semble que les balises des dépenses admissibles devant être fixées par Ottawa étaient aussi floues que sa propre perception de ses fonctions publiques. De facto, les dépenses étaient aussi libérales que les vérifications.
Dans son rapport, le vérificateur général du Québec blâme le cabinet de l'ex-lieutenant-gouverneur pour son manque de rigueur. Trop facile. Ottawa et Québec ne peuvent se laver les mains parce qu'ils ont laissé coulé.
Voici ce qu'on lit dans le rapport: «La situation n'a pas été redressée au fil du temps malgré le fait qu'en 2002, Patrimoine canadien a fourni à l'ancien lieutenant-gouverneur et à son Cabinet des indications en vue d'accroître le nombre et la qualité des pièces justificatives (). Il leur demandait de préciser la date, la ville, le titre ou la description de l'événement ainsi que le nom des membres du personnel accompagnant le lieutenant-gouverneur.»
Ce n'était pourtant pas sorcier. Comment se fait-il que cette demande soit restée lettre morte pendant cinq ans?
On lit plus loin: «Le ministère du Conseil exécutif du Québec n'a pas élaboré de directives claires et précises traitant de l'admissibilité des dépenses du lieutenant-gouverneur. Divers coûts pris en charge par le gouvernement montrent la nécessité de fixer de telles balises. Il suffit de penser au paiement de dépenses reliées à la pratique d'activités sportives, comme la rémunération versée à un professeur de ski (). Mentionnons l'aller-retour en avion, au coût de 12 000 $, dans le cadre d'une excursion de pêche jumelée à la visite d'un parc provincial.»
On savait qu'il y avait un problème, mais rien n'a été fait. Jugeait-on les sommes en cause trop peu importantes pour intervenir? Voulait-on éviter de relancer le débat autour de l'utilité du lieutenant-gouverneur? Craignait-on, à Ottawa, d'exciter les souverainistes, toujours chatouilleux quand il est question de reliques monarchiques?
Ou, plus plausible, Ottawa et Québec se foutaient-ils de ce poste archaïque, comme l'immense majorité des Québécois, d'ailleurs?
C'est pourtant la fonction qui a créé les abus. Vous donnez du «Votre Excellence» et de l'«honorable» à quelqu'un pendant 10 ans. Vous lui offrez une limousine, un chauffeur et du personnel pour l'amener un peu partout couper des rubans, donner des médailles et faire des discours sur le sens de la vie. Vous remboursez ses dépenses sans poser de question. Vous lui laissez même croire qu'elle aurait, peut-être, un jour le pouvoir de désigner le gouvernement du Québec. Un moment donné, l'occupant du trône finit vraiment par croire qu'il est de lignée royale.
Mme Thibault aurait dû être remplacée il y a au moins deux ans par Paul Martin, mais la garde rapprochée de l'ancien premier ministre voulait rééditer le coup médiatique de la nomination de Michaëlle Jean au poste de gouverneure générale, sans toutefois trouver le candidat rêvé. Ensuite, le changement de gouvernement a encore retardé le départ de la dépensière.
Cela n'excuse en rien Son Excellence, mais cela explique tout de même la récurrence des abus.
Le moins qu'elle puisse faire maintenant est de rembourser une partie des 700 000$ litigieux. Après tout, la dame a touché un salaire annuel de 114 000$ (à la fin de son mandat) par année et, apparemment, elle ne dépensait pas souvent de sa poche. Il doit bien en rester un peu.
Lisez un peu ce qu'elle disait au collègue Bellavance dans cette même entrevue d'août 2002: «Je mets tellement d'âme dans l'institution que je porte que je trouverais cela triste que les citoyens se posent des questions sur l'honnêteté du lieutenant-gouverneur quand je suis aussi présente que je peux l'être dans la communauté.» Reste à voir si ces nobles sentiments tiennent encore, maintenant qu'elle est ex-Son Excellence.
Quant au gouvernement du Québec, à défaut de pouvoir abolir cette fonction, il devrait profiter du scandale pour couper dans le gras et circonscrire ses activités au strict minimum.
Son Excellence abuse, l'État ferme les yeux
Quant au gouvernement du Québec, à défaut de pouvoir abolir cette fonction, il devrait profiter du scandale pour couper dans le gras et circonscrire ses activités au strict minimum.
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