La culture du «tout m'est dû»

Et vous allez voir qu'avant longtemps, le débat va changer de ton

L'affaire Lise Thibault


Il y a des modèles qui, s'ils sont trop fabriqués, deviennent des supercheries. Lise Thibault était plus qu'une profiteuse du régime, elle constituait une vaste supercherie pour toutes les personnes handicapées.
On voit venir la ligne de défense de l'ancienne Lieutenante-Gouverneure: elle se servait de sa fonction, prestigieuse et très en vue, pour montrer aux personnes handicapées que tout leur est accessible. Ainsi pourront-ils, comme elle, pratiquer la pêche sportive, jouer au golf, faire du ski. Bien sûr que tout est possible, mais à quel prix?
Qui peut se payer les véhicules spécialement adaptés, les leçons particulières, les avions pour se rendre au bord des lacs du nord? Et surtout, qui peut se payer le garde du corps devenu compagnon et facilitateur de toutes les activités, des plus naturelles aux plus fantaisistes. Oui, jouer au golf ou faire du ski, c'est «fantaisiste» dans votre état, Madame Thibault.
Mais qui aurait osé reprocher à Madame de la voir se livrer à de telles activités? Personne bien entendue. D'ailleurs, personne ne s'est posé de questions lorsque cela est survenu. On s'est même tous empressés de diffuser les images de ces excentricités. Si on le lui reproche aujourd'hui, c'est que cela s'inscrit dans le cadre de dépenses exagérées, dont certaines sentent d'ailleurs la fraude ou, à tout le moins, l'abus de biens publics. Facturer à l'État plusieurs milliers de dollars pour défrayer les coûts d'une réception soulignant l'anniversaire d'un membre de sa famille, c'est de la fraude. Même chose pour les repas dans la région de Québec qui avaient manifestement un caractère privé. Même chose encore pour les petites réclamations de plusieurs dizaines de milliers de dollars qu'elle a autorisées pour le remboursement des pourboires supposément versés par ses gardes du corps, ou pour l'achat de soi-disant «cadeaux» à des invités.
Lise Thibault
La seule explication de ces abus, qui se sont étalés sur dix années entières c'est que Lise Thibault avait fini par conclure - comme d'autres politiciens, hauts fonctionnaires ou fournisseurs de l'État avant elle - que tout lui était dû. «Chargez ça au gouvernement!» devait-elle ordonner à sa secrétaire sans davantage réfléchir.
Après tout, la femme a accédé aux plus hautes fonctions non par le mérite, mais en remerciement de services rendus à la cause du Canada et au Parti libéral. Cela se passant à l'époque de Jean Chrétien, il était possible de confondre l'un et l'autre. Militante active dans le Comité du Non au référendum de 1980, elle a été deux fois candidate libérale en 1981 au provincial et en 1984 au fédéral, et elle a présidé le comité provincial des Fêtes du Canada. Elle avait donc bien mérité du pays et ces petits suppléments qu'elle ajoutait elle-même à son salaire de Lieutenante-Gouverneure étaient une façon de se rembourser de ses nombreuses heures au service du parti et du pays...
Acharnement
Et vous allez voir qu'avant longtemps, le débat va changer de ton. Certains crieront à l'acharnement contre cette pauvre femme de 68 ans, handicapée de surcroît. Doit-on absolument l'obliger à rembourser ces sommes que, dit-elle, elle a réclamées de bonne foi, et que des hauts fonctionnaires des deux gouvernements - du Canada et du Québec - ont approuvées. Il y aura d'ailleurs prescription pour une partie de ces sommes.
Lise Thibault n'est pas à la rue tout de même. Elle est bien mariée, elle «a du bien» comme on dit, et elle cumule deux ou trois pensions - comme ancienne présidente de l'Office des personnes handicapées du Québec notamment. Mais par-dessus tout, elle a empoché pendant dix ans un salaire non imposable de 110,800 $. Ajoutons à cela le fait qu'elle était virtuellement logée pour rien, et qu'une bonne partie de ses repas, étant pris lors d'activités officielles, sont remboursés ou payés par d'autres : c'est donc presque du «cent mille dollars, net d'impôts et nourri logé!» Après dix ans dans la fonction, cela fait un million de dollars dans le compte d'épargne puisqu'elle se faisait même rembourser les petits cadeaux à la famille.
Qu'on ne me dise pas que la dame n'a pas deux ou trois cent mille dollars quelque part pour rembourser l'État...


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé