Les voyages de Stephen Harper

Il faut être naïf pour ne pas voir que Toronto veut tout, avec la complicité active des hauts fonctionnaires fédéraux.

Le Québec et la Chine


Le Canada est le seul pays au monde qui soit à la fois membre du Groupe de Huit - les grands pays industrialisés actuellement réunis en Allemagne -, le Commonwealth, la Francophonie, l'OTAN - Défense occidentale -, la Coopération des pays d'Asie et du Pacifique, et que sais-je encore. Quand on est un petit pays, sans grande influence parce que sans pouvoir économique et sans puissance militaire, on fréquente tous les clubs possibles et inimaginables. Les clubs de grands s'entend!
N'en rions pas trop. Certes sur les photos officielles, le premier ministre du Canada est souvent le gars au bout de la ligne, à moitié en dehors du cadre. Mais au moins, le Canada est là. Une fois, Jean Chrétien a été présenté, par l'Agence de presse, comme «un fonctionnaire non identifié». Pierre Trudeau faisait des pirouettes ou quelque autre pitrerie pour se faire remarquer. Les photographes l'adoraient.
Mais il n'était pas davantage écouté. Je me souviens d'une réunion du Conseil de l'OTAN d'où il était sorti complètement furieux. C'était en Allemagne comme cette année et il y avait plus d'un demi million de manifestants dans les rues de la capitale, protestant contre le déploiement de missiles américains en Europe. Ronald Reagan et Margaret Thatcher discutaient de la question comme s'il n'y avait aucun manifestant dans les rues. Le premier ministre canadien est sorti de la réunion en claquant la porte, protestant contre le caractère futile des discussions.
Cela n'avait rien changé mais au moins Trudeau s'était-il démarqué des autres. Stephen Harper, qui en est à son deuxième Sommet, ne dit rien. Et c'est bien là le problème. Face au bloc européen, qui parle avec une certaine unité, face au Japon et à la Russie, le Canada n'existe pas. Il est le voisin des Etats-Unis ce qui dans l'esprit de bien des partenaires, veut dire «le satellite des États-Unis». Le communiqué final - disponible en anglais seulement au Canada mais en français sur le site de la France ! - fait vaguement référence à l'intention du Canada de réduire au moins de moitié les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050. Mais c'est tout.
Le Canada, plus que jamais sous la direction du conservateur Stephen Harper, est perçu comme un bon élève - qui ne fait pas de déficits et paie ses dettes! - et qui ne fait pas de vagues. Un partenaire peu dérangeant mais bien pratique pour les États-Unis puisqu'il en est, -plus souvent qu'autrement, la caution morale.
Le seul bon coup qui ait distingué Stephen Harper est sa visite à Paris au nouveau président de la République Nicolas Sarkozy. Le Canada a en effet obtenu l'assurance qu'il ne sera pas assujetti aux sanctions dont les pays qui ne respectent pas les objectifs du Protocole de Kyoto sont menacés. L'exception canadienne est donc reconnue. Mais lorsque le premier ministre prétend qu'il a servi une leçon de démocratie au président de Russie, Vladimir Poutine, cela en fait sourire plusieurs!
Le Bureau du premier ministre avait tenté de faire le même coup lors d'une rencontre avec le président de la République populaire de Chine. Ces déclarations, qui relèvent avant tout de la propagande, nuisent au Canada plutôt qu'elles ne rehaussent son prestige. Les gens d'affaires canadiens paient encore le prix des fanfaronnades de Stephen Harper avec la Chine comme ils paieront longtemps ces déclarations publiques à propos de Poutine.
Car un des grands bénéfices des Sommets comme celui du Groupe des Huit, c'est de multiplier les occasions de conversations privées, sans aucun témoin, entre chefs d'État et de gouvernement. De cela, le premier ministre du Canada peut bénéficier autant que les plus grands, mais à condition de savoir s'en servir.
Pour le reste, la semaine de Stephen Harper en Europe l'a au moins tenu loin de la Chambre des Communes et des critiques des trois partis d'opposition. Avec le temps et comme tous ses prédécesseurs, le premier ministre conservateur va apprendre à apprécier ces virées à l'étranger. Au point d'en provoquer les occasions. Dès le mois prochain, il sera en Haïti, en Colombie, à la Barbade et au Chili. Contrairement aux apparences, le jeune chef conservateur est l'un des plus grands voyageurs de l'histoire de tous les gouvernements du Canada
Toronto la vorace...
Toronto ne se contente pas d'avoir ravi à Montréal, dans les années 60, le titre de métropole économique du Canada. Elle veut maintenant être considérée comme la métropole culturelle du pays. Elle sera New York pendant que Montréal rapetissera à la taille d'un gros Boston
La présidente de la Chambre de commerce de Montréal est revenue ébahie par le succès du nouveau Festival Luminato à Toronto. «Il faut prendre comme un beau compliment qu'ils s'inspirent de nos succès, mais il ne faut pas se laisser écraser» dit Isabelle Hudon. Ils ne s'inspirent pas, chère Madame, ils piquent. Après les films, le jazz. Sans compter les grandes destinations ariennes, et la Bourse. Il faut être naïf pour ne pas voir que Toronto veut tout, avec la complicité active des hauts fonctionnaires fédéraux.
On savait qu'il existait une volonté délibérée d'empêcher le développement économique de Montréal. Rappelez-vous les problèmes de Paul Desmarais (père) avec les institutions financières, et ceux de Pierre Péladeau dans le domaine des médias de Toronto. Rappelez-vous encore les décisions biaisées du ministère fédéral des Transports et d'Air Canada en faveur de Toronto dans le domaine du transport aérien.
Pour les grands événements culturels, ce n'est pas tant les ministères fédéraux qui vont faire la différence - encore qu'on peut se poser des questions sur le comportement actuel de la ministre fédérale du Patrimoine, Beverley Oda. En affaiblissant les grands Festivals montréalais, on aide indirectement les événements torontois à prendre leur place.
Mais ce sont surtout des fonds privés qui sont à l'oeuvre à Toronto. À Montréal ? Il faudrait poser la question à... Isabelle Hudon justement! Que font les membres de sa chambre de commerce? Il ne suffit pas de tenir des propos lénifiants et quelque peu innocents, il faut mobiliser les milieux d'affaires et rappeler le gouvernement du Québec à l'ordre. Quartier des spectacles, nouvelles salles de concerts, on en est toujours au stade des palabres en comité.
Je préfère les cris d'alarme du coprésident de Spectra, André Ménard, à l'admiration béate d'Isabelle Hudon pour une métropole qui n'est rien d'autre qu'une concurrente prête à tous les coups, même les plus bas, pour tirer toute la couverture à elle...


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé