Séparatistes sans nation

Chronique de José Fontaine


En regagnant mon véhicule tantôt, au sortir de mon école, un homme m’a demandé quelle inscription il y avait sur le coq wallon au dos de ma voiture. Je lui ai dit que c’était “Présence wallonne en Europe”, du nom de la liste que les indépendantistes wallons avaient présentée aux élections européennes de 1984 (cela ne me rajeunit pas!).
Il m’a dit sa haine des séparatistes. Je lui ai répondu que le séparatisme était déjà un fait puisque, en Belgique, l’Etat unitaire a transféré 51% de ses compétences (je vais dire tout de suite comment on arrive à ce chiffre), aux Etats fédérés. Il m’a dit que j’étais un défaitiste. Non, lui ai-je lancé.
La conversation s’est arrêtée là, je devais aller voir un spectacle à Bruxelles.
Mais ce qui est certain, c’est que je comprends bien le terme dont il s’est servi : séparatiste.
Pourtant, comme je l’ai souvent expliqué, la Wallonie et la Communauté française Wallonie-Bruxelles gèrent déjà 51% des compétences étatiques. C’est un chiffre que l’on obtient en additionnant tous les budgets publics de l’Etat fédéral et des Etats fédérés: au total 49% des budgets globaux vont à l’Etat fédéral et 51% aux différents Etats fédérés. C’est-à-dire que, en fait, le citoyen wallon ou francophone dépend d’ores et déjà plus de son Etat fédéré que de l’Etat fédéral.
Si, cependant, telle est bien la réalité, elle n’est pas pour autant perçue comme cela. L’opinion ne se trompe pas tout à fait en un sens car même en supposant que l’Etat fédéral n’aurait plus que 10 ou 20% des budgets globaux, il demeurerait que nationalement, nous demeurons en Belgique. Et cela d’autant plus qu’il n’y a aucune définition du fait d’appartenir à tel ou tel Etat fédéré. Dans les faits, appartenir à la Wallonie ou à la Flandre, c’est être wallon ou flamand. Subjectivement, dans ces entités fédérées (y compris en Flandre), beaucoup continuent à se sentir et à se dire belges avant tout.
Avant 1980, année où le passage des compétences aux Etats fédérés n’a cessé de devenir un fleuve de plus en plus massif, la presse unitariste ne cessait de décrire cette évolution comme menant au séparatisme. Et il est absolument certain qu’elle le disait sans même avoir conscience de l’ampleur du transfert qui allait se produire. Pensez un peu : on est passé de 0% des compétences aux Etats fédérés à 51%. Même les autonomistes les plus radicaux n’auraient osé imaginer de tels transferts, aussi abondants.
Et pourtant, alors qu’ils se sont bien réalisés, que le “séparatisme” d’avant 1980 est maintenant devenu une réalité, cette réalité n’est pas vécue comme telle par une partie importante de la population.
C’est une situation étrange: nous avons le flacon (la structure très fédérale et même d’ailleurs confédérale), mais nous n’avons pas l’ivresse (le sentiment d’appartenance à la Wallonie).
Je sais qu’en URSS, le Pouvoir avait songé à octroyer le fédéralisme aux divers peuples de la Russie non pas (comme l’avait souligné Carrère d’Encausse), pour répondre à leur besoin d’affirmation nationale, mais pour épuiser cette revendication en leur donnant l’os à ronger du fédéralisme. Elle explique ensuite que le fédéralisme a été le plus souvent, pour ces peuples, l’occasion de consolider leur identité nationale et que le fédéralisme russe conçu pour unifier a de fait morcelé. Prophétie de 1979 qui s’est réalisée.
Qu’en est-il en Belgique? C’est difficile à dire. Christophe Traisnel explique que le mouvement wallon n’est pas encore arrivé à transmettre au peuple wallon la croyance en une destinée commune et je suis assez d’accord avec lui.
Une question intéressante est à poser dans la mesure où tout indique que le transfert du fédéral aux Etats fédérés va encore s’amplifier: quand les Wallons et les Flamands s’estimeront-ils être devenus véritablement une nation? A mon sens, ce n’est pas pour tout de suite. J’imagine même une Belgique où le gouvernement central n’aurait plus rien à dire et où, malgré tout, les habitants du pays se considéreraient encore comme belges.
C’est d’autant plus curieux que l’autonomie culturelle est souvent ce qu’un Etat unitaire accepte de concéder le plus vite à une Région qui revendique une certaine autonomie. En Belgique en tout cas, cette autonomie culturelle, qui existe bel et bien aussi, n’entraîne aucun sentiment national. Et pourtant, tout nous sépare des Flamands, pas seulement la langue mais aussi toutes les associations concrètes des citoyens entre eux, des (autrefois) ordres religieux aux mouvements de jeunesse. La façon d’associer les citoyens dans les syndicats, la défense des familles, de l’environnement, tout cela diffère profondément.
Mais il n’est pas facile de fonder une nation sur la démocratie, la plupart des nations classiques tenant en fait leur fondement de leur coagulation dans la violence face à l’ennemi extérieur, même si elles opposent à une telle remarque les plus fortes dénégations.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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