Seins politiques et logo commercial

Chronique de José Fontaine

L'adoption d'un logo de la Wallonie par le Gouvernement wallon a soulevé des dizaines de débats sur la toile et a été surtout perçue négativement. Enfin, produisons d'abord l'objet du délit :

Sarcastique, le premier Président d'une Wallonie autonome, Jean-Maurice Dehousse fait la différence entre un logo et le drapeau wallon qui, lui, a été décidé par une Assemblée, le premier Parlement wallon (officieux), de la Wallonie, l'Assemblée wallonne réunie en avril 1913. Elle comptait pas mal de parlementaires officiels (une majorité) et elle a été la première affirmation politique forte de la Wallonie.
Après tout c'est du commerce
L'Assemblée fixa aussi la date d'une fête «nationale», les historiens de la Wallonie insistent sur l'adjectif choisi. Dehousse rappelle que si l'on fixe un logo après avoir consulté des spécialistes et une enquête sur la meilleure image possible de la Wallonie (elle a coûté 500.000 € : le logo reste, lui, dans des proportions raisonnables pour les spécialistes : 60.000 €), il faut au contraire un décret pour changer le drapeau de la Wallonie. Et puis, à quoi bon tous ces chiffres! Ce qui porte provient toujours du monde vécu cher à Habermas, non pas le monde affectif, mais celui dans lequel s'élabore le sens : les drapeaux wallons aux façades des grandes villes wallonnes contre Léopold III, la statue de Jules Destrée à Charleroi, les belles réalisations du bureau Greisch en Wallonie, en Europe, en Afrique, la naïade à Tournai, les hommes et les femmes qui marchent en Wallonie contre l'Europe de la dictature.
Mais pourquoi Dehousse s'exprime-t-il ainsi? Peut-être parce que dans la présentation du logo, l'actuel Président wallon (et, dit-on, surtout bourgmestre de Tournai), semble insister sur le fait que ce logo était une façon de rompre avec un passé romantique pour se tourner vers l'avenir. Ce logo exprimerait aussi l'ouverture de la Wallonie sur le monde. Le caricaturiste Pierre Kroll a sans doute dérisoirisé le mieux l'adoption du nouveau logo qui au fond congédie le coq wallon ancien logo : un Coq se demande pourquoi on l'exclut et il lui est répondu qu'il est au chômage comme tout le monde (le chômage est élevé en Wallonie sans atteindre des proportions trop inquiétantes sauf dans certaines grandes villes).
Il paraît aussi que l'important - toujours commercialement - c'est d'avoir une marque qui se distingue le mieux de toutes les autres et que la com peut rapporter gros et - dit-on - jouer même un rôle dans la croissance. Et c'est vrai que ce qui est fondateur du mouvement wallon, c'est la grande grève générale de 1960-1961 qui peut se concevoir comme une protestation face à un Etat belge laissant aller la Wallonie à vau-l'eau.

L'autre moment fondateur de la Wallonie
L'autre moment fondateur de la Wallonie c'est le Congrès wallon du 7 juillet 1912 et la prise de conscience que dans le système politique belge, la Wallonie risquait d'être dominée à perpétuité par la Flandre. Cette année-là, en effet, on pouvait dire que, malgré le suffrage universel, malgré l'union des oppositions (socialistes et libéraux), il a semblé (non sans raisons), que la majorité catholique (essentiellement flamande bien que basée aussi en Wallonie), était à la tête de la Belgique depuis 1884 et y demeurerait encore toute une éternité. De sorte que le 7 juillet 1912, le Congrès wallon émit le voeu «que la Wallonie soit séparée de la Flandre en vue de l'extension de son indépendance à l'égard du pouvoir central»
Le commercial a-t-il pris l'avantage sur ce qui est le plus fondateur dans le mouvement wallon et qui n'exclut pas - au contraire, on l'a vu avec la grève de l'Hiver 60, les préoccupations économiques, une grève a bien aussi en vue le développement? Sans doute. Les mots du Congrès wallon de 1912 sont chargés d'émotion et l'émotion sera sans doute rangée par les concepteurs du logo dans le romantisme.
Au demeurant, je l'ai expliqué plusieurs fois dans ces colonnes, à la faveur étrange du passage au fédéralisme, les émotions populaires, démocratiques ne sont plus de nature à poser de gros problèmes aux dirigeants wallons. Ils sont désignés comme ministres dans le Gouvernement de la Wallonie par les Présidents de parti qui détiennent au surplus le vrai contrôle de l'élection de la plupart des parlementaires. En outre, les ministres déjà désignés perdent leur mandat de député le temps qu'ils restent au gouvernement et sont remplacés par des suppléants qui ont été mis à la bonne place sur la liste (des suppléants), et ne sont donc pas à proprement parler des élus alors qu'ils participent au «contrôle» des ministres (les guillemets sont de rigueur : ces députés-là, entre autres, ne jouissent d'aucune indépendance à l'égard de l'appareil de leur parti).

Le bon texte classique sur le sujet a été publié par La Libre Belgique et la revue TOUDI. Même si les chiffres devraient être actualisés, rien ne change quant au fond, à savoir la confiscation des pouvoirs de la population par l'Oligarchie politique. On peut comprendre que l'on ne consulte pas la population pour l'établissement d'un logo, mais quand il s'agit de la Wallonie, la population wallonne n'est quand même jamais consultée non plus. C'est à peine si elle est informée. Si le Contrat d'avenir pour la Wallonie au début de ce siècle pouvait encore apparaître comme un plan d'avenir auquel les citoyens étaient associés (il y a eu des assemblées nombreuses, notamment avec les syndicats ouvriers et paysans), le plan qui lui a succédé baptisé Plan Marshall demeure entre les mains de technocrates et de patrons, même si les syndicats y sont quand même encore associés, mais peu de Wallons seraient à même de définir de quoi il s'agit et quels sont les résultats de l'effort. Ce qui m'amène à penser finalement que ce logo de la Wallonie qui est peut-être excellent bien qu'usant d'une langue étrangère pour nous désigner, est aussi le symbole de l'usurpation des pouvoirs citoyens par une Oligarchie politique que les élections ne dérangent pas tellement les enjeux en sont brouillés.
La farce des élections de 2014

Nous allons vers des élections qui en 2014 vont sans doute demeurer dans l'histoire comme la plus grande farce électorale jamais montée par l'Oligarchie. Le même jour, les citoyens wallons seront invités à élire les députés au Parlement wallon, au Parlement fédéral et au Parlement européen. En outre la dualité côté francophone (Bruxelles et la Wallonie, la Communauté française Wallonie-Bruxelles qui a aussi un Parlement certes dont les membres sont soit les députés wallons, soit une partie des Bruxellois), fait que le vote engage la mise en place d'un quatrième parlement. Comme, en outre, la formation des gouvernements à la Région bruxelloise, en Wallonie et à la Communauté française, dépendent des résultats en Wallonie mais aussi à Bruxelles, cette étape importante pour le citoyen qui vient de voter et qui est de savoir comment ses concitoyens ont voté comportera donc l'analyse des élections en Wallonie, à Bruxelles, mais aussi en Flandre. Tant (pour la Flandre) au plan régional qu'au plan fédéral, car l'Etat fédéral qui perd peu à peu ses compétences demeure important dans un fédéralisme où les composantes ne sont pas nombreuses (comme au Canada où il y a 10 Provinces, mais chez nous il n'y a que deux Régions importantes et une Communauté).

On va d'ailleurs aller répétant dès que l'on s'approchera de mai 2014 que tout va se jouer en Flandre, les Flamands ayant la capacité de voter pour un parti neuf, à même de jouer les trouble-fêtes, tandis que tout est figé en Wallonie (les personnes populaires le restent tout le temps de leur carrière dans les sondages, je l'ai déjà montré ici).
Il y a, en plus, une proposition défendue par d'importantes forces unitaristes en Flandre qui proposent que l'élection fédérale aient deux volets : des députés fédéraux élus dans leurs circonscriptions et des députés fédéraux élus dans une circonscription nationale. Cela dans le but que des Wallons disposant d'une popularité en Flandre ou des Flamands disposant d'une popularité en Wallonie, jouent un un rôle pacificateur lors de la formation du futur gouvernement fédéral. Cette réforme est sans doute voulue par des gens bien intentionnés. Mais le problème à l'ordre du jour en Wallonie depuis le 7 juillet 1912 n'est plus le maintien de l'Etat belge mais comment la Wallonie peut s'en soustraire pour échapper à la mort. Des analyses récurrentes le montrent à l'envi et on peut les résumer en dix lignes claires.

Ensuite, l'introduction d'une telle réforme compliquera encore la perception de l'enjeu des élections de 2014. Car, enfin, il est déjà impossible de s'y retrouver quand on doit pour comprendre, comprendre aussi les élections dans une petite dizaine d'espaces politiques : le fédéral aux plans wallon, bruxellois et flamand, le régional aux trois mêmes plans, le communautaire en Wallonie et à Bruxelles et - il ne faut pas l'oublier - l'Europe [[Il y a d'ailleurs aussi l'élection dans la Communauté germanophone, élection importante pour cette Communauté de 70.000 personnes mais face à 6 millions de Flamands, 3,5 millions de Wallons et 1 million de Bruxellois. Evidemment les concepteurs de schémas l'intègrent, trop heureux de rester dans le cadre belge et de faire le plus compliqué possible. Au fond, le citoyen ne s'intéressera bientôt plus à ce dont on lui dit qu'il ne le compre,d et que cela ne le regarde pas.]]. On peut dire aussi que le vote au Parlement européen ne sert probablement à rien dans la mesure où là, les choses se compliquent à l'infini avec 28 Etats et un Parlement dont la plupart des citoyens européens ignorent les membres et ce qu'ils font, même ceux de leur propre pays.
A tout cela il faut ajouter que les Parlements que l'on vient d'évoquer en Belgique auront, avant 2014 abdiqué (certains l'ont déjà fait en Flandre et au fédéral, je crains que le Parlement wallon ne le fasse aussi) en adoptant le traité d'austérité qui limite, voire supprime leurs prérogatives.
Tout se complique précisément aun moment où tout cela perd son sens. Pour la première fois de ma vie j'envisage même de ne pas aller voter du tout.
Les seins humains

En ouvrant mon journal ce matin, je vois une grande photo annoncant l'interview de Margo Fruitier, une femen française très active chez nous et qui explique que les femens interviennent toujours les seins nus, mais d'une manière qui entend rompre avec l'usage et la manipulation du corps féminin à des fins commerciales. De sorte que ces seins nus sont politiques.
Je la crois et crois ce qu'elle explique de manière un peu étrange : que ses seins ne sont pas la partie d'une femme-objet mais d'une femme si l'on peut dire, humaine. Le fait même que cette militante soit à même de s'expliquer intelligemment et longuement sur le sens de son action politique en dit long sans doute sur le vide politique abyssal que j'explique à longueur de chroniques pour ce qui est de l'Europe et de la Wallonie, vide que vient encore rehausser, si l'on peut dire, le fameux logo.
Pourquoi parler de tout cela? On pourrait me l'objecter.
Mais c'est que le gouvernement wallon prend peu souvent la parole. Il gère. Il n'explique pas les choses. Un ami bien informé me suggère aussi que ces ministres songent aussi à attirer dans la ville où ils ont été élus telle ou telle institution. Ils se partagent le gâteau.
Cela ne dérangerait pas si, derrière tout cela il y avait une vision politique et globale de la Wallonie.
Donc humaine (mais il n'y en a pas).
C'est d'ailleurs pour cette raison humaine que le politique doit parler.
Mais il ne parle pas. Les décisions technocratiques qu'il prend, il les défend, il le faut bien (comme ici : expliquer un logo! n'est-ce pas rageant à la fin?). Quant aux décisions politiques, elles sont prises au plus haut niveau de la particratie et de la présidentocratie. Dans le secret de ses conclaves et ce dont elle ne s'explique pas.
Cela ne regarde qu'elle à ses yeux. Donc pas le gouvernement wallon, encore moins les citoyens à qui on dit déjà depuis longtemps que les décisions sont prises dans son intérêt, ce qui semble suffire.
Il faut bien décrire et écrire toutes ces choses négatives et s'y arrêter longuement. Mais il n'y a là chez moi nulle complaisance. Au contraire même, tout ce que je décris ici négativement, patiemment, au fil de toutes ces chroniques depuis plus de dix ans, j'y passe de plus en plus de temps, persuadé qu'un jour l'humain défiguré et détruit par le théâtre d'ombres de la sinistre politique wallonne prendra sa revanche. L'envers de ces lignes nécessairement critiques, c'est la foi que j'ai dans les destinées de mon pays, même si comme le dit Joseph Malègue, «Croire est harassant».[[Augustin ou Le Maître est là, Spes, Paris, 1966, p. 481.]]

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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