Se pourrait-il que nous soyons en train de perdre?

Tribune libre 2008



Le territoire du Québec est vaste et étendu. C’est même, en terme de superficie, l’un des plus grands états au monde. Nous nous plaisons à le considérer dans son ensemble comme le foyer national de notre peuple, le peuple Québécois. Un peuple qui se définit comme francophone, possédant une culture qui lui est propre, une culture vivante peinte, sculptée, écrite, chantée et jouée par nos artistes. Le Québec peut se venter d’avoir engendré des entreprises multinationales d’envergure, créé un système social démocrate enviable au moyen des leviers économiques qu’il s’est appropriés pendant la révolution tranquille. Mais le peuple Québécois détient-il vraiment son territoire, culturellement du moins? Ce territoire est-il homogène et cohérant?

On représente souvent le Québec comme un bastion français entouré d’une mer anglophone avec au Sud, les États-Unis, à l’Ouest et à l’Est, le Canada. Mais jamais n’entend-t-on parler d’un peuple encerclé dans son propre territoire. Comme on le sait, la population québécoise se concentre en majorité dans la principale région des basses terres du Saint-Laurent et s’étend aux régions ressources, mais la question de sa périphérie reste pour sa part négligée.

Si l’on connaît bien certaines régions comme les cantons de l’est, la Beauce, l’Outaouais, pour leur haute concentration anglophone, on évite pourtant de parler de la Côte-Nord, de la Baie-James et du Nord du Québec, soit les autres extrémités du territoire. Si le caractère anglais des premières régions mentionnées nous apparaît historiquement naturel de par leur promiscuité avec les principaux foyers anglophones que sont les É-U et le Canada, la question des régions plus éloignées reste plutôt nébuleuse. Or, pour conserver le peu de maîtrise politique de ce territoire, il faudrait œuvrer au plus tôt à en assurer une certaine cohésion culturelle avec la majorité francophone. Pour avoir travaillé sur la basse Côte-Nord et dans les communautés côtières de la baie James, je peux vous en parler comme on parle d’un voyage à l’étranger.

C’est qu’à Chisasibi ou à Blanc Sablon, ce ne sont pas les téléromans et les chanteurs Québécois qui ont la cote, mais bien les soap et les rapeurs américains… Comme enseignant dans la communauté Crie de Chisasibi, ma vie se déroule en Anglais, à l’école comme à la chasse… Mes étudiants n’ont aucune idée qu’au sud, on parle, on vie et l’on chante en français, c’est la culture américaine qui prend tout…

La domination de l’Anglais à la baie-James ne date pas d’hier. Elle date du règne de la Hudson’s Bay company sur le commerce de la fourrure dans ces régions. Ici, le commerce et la religion protestante ont fait leurs œuvres d’assimilation, dépouillant ainsi les nations autochtones côtières de pans entiers de leurs cultures, les isolant par le fait même, du peuple francophone vivant plus au sud. On note toutefois une certaine amélioration dans la connaissance du français, mais celle-ci reste fragile. C’est qu’un travail de titan, la route de la baie James, est venu ravir l’espace économique de la région au nord-est ontarien, qui l’approvisionnait encore par voie navale à partir de North-Bay, il y a moins de 30 ans. La route de la baie-James aura permis de créer un lien économique jusque là inexistant entre le Québec et ces communautés nordiques. Mais l’approvisionnement de la région est encore confié à des compagnies étrangères. En fait, c’est toujours la compagnie du Nord-Ouest, ( Hudson’s Bay co.) qui commerce avec le nord Québécois. Ne cherchez pas ici d’affichage en français, vous n’en trouverez aucun. La loi 101 n’a jamais pénétré dans un « Northern Store ». Je fais mon épicerie en anglais… J’y achète des DVD en anglais et plusieurs produits dont le manufacturier étranger n’a pas pris la peine de traduire les l’étiquettes. Culturellement, commercialement et historiquement, Chisasibi n’a jamais fait partie du Québec… Les ententes de la Paix de Braves et la « Jame’s Bay convention » n’y auront rien changé. Paul Piché? Pauwl Who? Fucking Hydro! Blue eyes lyer!

Sur la côte-Nord, la situation est encore plus inquiétante. Contrairement aux nations Cries de la baie-James, la Côte-Nord représente une perte nette par assimilation. On y trouve des Beaudoins, des Joncas, des Labrie, des Monger qui conversent entre eux en Anglais. À Blanc-Sablon, on a même un mouvement annexionniste au Labrador. John, le marchand général, va même jusqu’à porter ses vidanges au dépotoir de l’Anse au Loup pour justifier son refus de payer des taxes au Québec.

Encore là, la faute revient au gouvernement du Québec, jusqu’ici peu soucieux d’unifier économiquement son territoire. N’ayant jamais reconnu la cession du Labrador, celui-ci n’a jamais rien fait pour conserver son effectivité sur la côte-Nord. C’est ainsi que des villages comme Blanc-Sablon, situé à moins de 20Km de Ste-Barbe ( Terre-Neuve) se sont intégrés à l’espace économique Terre-neuvien. La culture et la langue ont suivi et le caractère français du village relèverait de plus en plus du folklore si une partie de sa communauté ne s’était pas battu pour conserver une école française ( qu’on a voulu fermer sous un gouvernement péquiste d’ailleurs…) ou[1] les élèves se parlent en anglais pendant les récréations… Il ne faut pas compter sur les services assurés par le Québec pour maintenir de facto un sentiment d’appartenance de cette collectivité à l’ensemble géopolitique Québécois. Des services comme la santé et l’éducation sont aisément substituables à long terme… Ils ont d’ailleurs à concurrencer les services canadiens comme Pêches et Océan Canada… En attendant, le village frontière est connecté au réseau routier du Labrador et de Terre-Neuve ( par traversier), mais reste toujours isolé du reste du Québec avec lequel il a des liens maritime, aérien et par motoneiges fort coûteux et non compétitifs avec l’espace terre-neuvien.

J’ai le regret de vous dire que je ne me sens pas chez nous en périphérie Québécoise. Même si les gens d’ici et de la Côte-Nord sont des plus accueillants et chaleureux, il n’en demeure pas moins qu’un fossé culturel et linguistique nous sépare… À moins qu’une réelle politique d’unification du territoire axée sur le transport, l’éducation et le développement économique ne voie le jour d’ici quelques années, il se pourrait bien que la bataille du français ne soit perdue pour de bon dans nos régions éloignées.

Frédéric Labrie, Chisasibi
[1] Excusez-moi pour la faute, c’est que justement, je vous écris depuis un ordinateur de l’école Eeyou de la baie James, OU il n’y a pas de clavier en français et je ne sais pas comment faire l’accent grave sur le U avec les commandes habituelles…)

Frédéric Labrie

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