Les frais de scolarité, plus qu'une question d'accessibilité

La gratuité c’est la Liberté…

Tribune libre

La gratuité c’est la Liberté…
C’est autour d’une table entre amis ‘’expatriés dans le grand nord’’ que nous discutions des revendications étudiantes au Québec. Il faut bien se trouver à Chisasibi pour asseoir à la même table, des souverainistes purs et durs et des fédéralistes indécrottables, des unilingues anglais de l’Alberta et des unilingues français de Chicoutimi. Peut importe les différences, ici, chez les Cris, nous sommes tous également minoritaires… On finit par se comprendre, par s’apprécier, et inévitablement par se chicaner, s’invectiver, en s’énervant solidement, jusqu’à ce que nos gorges sèches réclament à grand cris l’ouverture d’une autre bouteille de ‘’Ménage à Trois’’ ou de ‘’ Pisse dru’’.
C’est alors que le calme revient, momentanément, malgré qu’aucun de nous n’ait réussi à arracher quelque compromis à l’autre et que pour ramener les discussions à la cordialité la plus élémentaire, nos tendres épouses nous imposent un changement de sujet qui malgré toute notre bonne volonté, finira par dégénérer comme pour le sujet précédent. Que voulez-vous, c’est notre sport de groupe… Il n’y a rien à faire d’autres pour nous désennuyer.
L’empêche que ces foires d’empoigne hebdomadaires sont parfois très instructives. Cette semaine, nos amis avaient lancé comme boutade en anglais bien sûr : ‘’ S’ils devaient payer 8500$ pour leur session d’université, ils y penseraient à 2 fois avant de sécher un seul cours pour aller bloquer la circulation en ville.’’ Cette phrase banale nous a fait réaliser une chose essentielle. Nous vous ferons grâce du reste de la discussion pendant laquelle nos amis anglais du ROC semblaient tout à fait désapprouver le mouvement étudiant… Fiers que chez eux, les étudiants restent dans leur classe et ne se mêlent pas de politique… En fait, la chose essentielle, c’est que l’augmentation des frais de scolarité, au-delà d’une question d’accessibilité aux études, c’est aussi une question de liberté de conscience, une question de démocratie, une question de salut publique.
Quant à nous, tous pères de familles, honnêtes travailleurs et payeurs de taxes, nous continuons de regarder, avec une pointe d’envie dans le regard, nos jeunes manifester contre ce gouvernement que nous détestons plus que tout, en souhaitant pouvoir nous joindre à eux pour cogner des casseroles.
Dans la trentaine avancée, avec une famille à faire vivre, une maison et une voiture à payer, nous n’avons plus les moyens d’exprimer dans la rue notre désaccord. Chaque journée de travail perdue signifie un paiement en retard ou une réprimande du patron… Il ne nous reste que la plume pour écrire et notre droit de vote à tous les 5ans. Entre temps, le gouvernement peut bien causer tous les torts qu’il veut à la société québécoise, nous, les citoyens ordinaires, les ‘’honnêtes payeurs de taxes ‘’ comme disent les lucides, nous les membres de la majorité silencieuse, somme confinés au silence… Et lorsque nous élevons la voix pour réclamer le maintien de nos conditions de travail, on nous assomme d’une loi spéciale… puis, docilement, nous rentrons tous travailler gentiment… parce que sans ce gagne pain nous ne sommes plus rien. Quoi qu’en disent les radios-poubelles de Québec, les gens ordinaires que nous sommes envient très certainement les étudiants pour cette liberté que le destin ne leur a pas encore enlevée.
Augmenter les frais de scolarité c’est aussi faire taire les étudiants. Taire leur conscience. Les écarter vilement de la chose publique en opposant l’exercice de leur prérogative de citoyens aux sacrifices qu’eux et leurs proches auront à faire pour les envoyer à l’école. Nos amis du ROC ont tout à fait raison… Aux prix que coûtent les études dans le reste du Canada, on y pense à deux fois avant de sécher un cours. Si certains se glorifient de la docilité ou du non-engagement politique de la jeunesse dans leur province, c’est qu’ils ont en réalité une conception très étroite et individualiste de l’utilité des études post-secondaires. Selon eux, on étudie pour un job, pour gagner de l’argent, pour contribuer financièrement à la société, pour accéder à un meilleur niveau de vie. De là à dire que les études permettent de devenir riche, puissant et d’exploiter les faibles, et que ce privilège doit se payer à sa juste valeur, il n’y a qu’un pas…
Ce n’est toutefois pas le sens que nous avons donné à nos propres études, ni les valeurs que nous comptons transmettre à nos propres enfants pour les inciter à poursuivre les leurs. Nous nous rappelons tant de soirées assis dans un café enfumé, à refaire le monde avec nos idéaux; tentant voluptueusement de soumettre à l’épreuve des faits les grandes théories que déversaient en nous nos professeurs de philo, de science, d’économie, d’histoire et de sociologie. Nous étions libres! Nous ne devions rien à personne! Et si, comme aujourd’hui, un gouvernement corrompu, affairiste et entêté s’était avisé de porter atteinte à cette liberté et à l’avenir du peuple même, nous aurions sans doute pris la rue nous aussi… ( À vrai dire, nous avions fait la grève contre les frais afférents de quelques centaines de dollars et le gouvernement d’alors n’avait pas attendu 2 mois pour négocier un accord convenable… Mais c’est de l’histoire ancienne…)
Nous croyons qu’il est sain et souhaitable pour nos jeunes de vouloir un monde meilleur et de s’insurger contre un gouvernement aussi peu crédible, qui tente au nom de dogmes néo-libéraux fort discutables, d’imposer sa loi à l’encontre des choix et des intérêts de la société qu’il est sensé représenter.
À quoi servirait-il de réfléchir si l’on n’avait pas la possibilité d’agir en fonction de nos idéaux, nos convictions profondes et sans avoir même l’impression que l’on dispose d’une part du pouvoir de changer les choses dans le bon sens. La démocratie, c’est aussi permettre aux jeunes de s’approprier la chose publique et de leur faire prendre conscience que protéger nos droits nécessite davantage que d’exercer un droit de vote à tous les 5 ans… Aussi, nous en appelons au respect le plus élémentaire de ceux qui marchent dans la rue, jours après jours et qui ont perdu leur session. Comme aime bien le rappeler le gouvernement, les études universitaires mènent à des emplois payants. En sacrifiant ainsi un trimestre d’université ou de collège, ces étudiant repoussent volontairement leur entrée sur le marché du travail et perdent en suivant cette logique une part de salaire largement supérieure à l’augmentation des frais contre laquelle ils se battent. D’autant plus que cette hausse ne les touchera pas directement pour la plupart d’entre eux, puisqu’ils auront terminé leur scolarité au moment où elle sera pleinement appliquée.
Nous nous insurgeons donc contre le fait de traiter ces gens d’enfants gâtés et nombrilistes puisqu’ils semblent se battre pour une cause qui concerne davantage les générations à venir. L’ampleur du sacrifice auquel les a conduits l’intransigeance bornée du gouvernement commande le plus grand respect et la plus grande reconnaissance de la société civile québécoise, que l’on soit d’accord ou non avec la hausse.
Les dérives du gouvernement Charest illustrent bien les limites de la démocratie Québécoise : un gouvernement élu avec 35% du vote exprimé dans un taux de participation frôlant les limites du ridicule a-t-il la légitimité d’agir de la sorte? Bien sûr que non! Il a même l’obligation morale de négocier et de mettre beaucoup d’eau dans son vin. À quelques mois des élections, un gouvernement responsable devrait à tout le moins retarder l’exécution d’un plan qui rencontre autant de résistance et en faire un enjeu électoral. Comme il devrait le faire pour son fameux Plan de braderie des ressources naturelles du grand nord Québécois… Dans ce contexte, la rue, c’est l’expression de la souveraineté du peuple. Les jeunes qui manifestent ont l’appui de leur famille. Ils sont le produit des valeurs et principes de leurs parents et amis. Ils forment un tout dynamique qui considère qu’un gouvernement n’a pas le droit de prendre des décisions aussi déterminantes pour les années à venir sans obtenir l’approbation de ses commettants. En ce sens, les étudiants en grève ne le sont pas par plaisir. Ils le font par devoir.
Augmenter les frais de scolarité de façon aussi drastique ne fera qu’augmenter le désengagement de la société envers la chose publique. En imposant un fardeau financier aussi lourd aux étudiants, le gouvernement menotte toute opposition aux décisions arbitraires des gouvernements à venir. La jeunesse est une force vive de notre société; comme c’est elle qui aura à subir les conséquences des choix de nos dirigeants le plus longtemps dans l’avenir, il est aussi juste de la considérer comme la gardienne légitime de notre démocratie et de veiller à ce qu’elle conserve la liberté et l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ce rôle de la plus haute importance pour nous.
En tant que citoyens, nous ne pouvons pas compter sur le contribuable ordinaire, croulant sous le poids des obligations que la vie a placées ordinairement sur son chemin, pour se mobiliser de façon aussi soutenue et prolongée contre les abus de pouvoirs d’un gouvernement cynique et corrompu; puisqu’il n’en a pas les moyens. Comme parents, si nos enfants ont un jours à prendre la rue comme les enfants d’aujourd’hui, nous ferons notre part en les soutenant dans la mesure de nos moyens, en nous assurant qu’ils aient de quoi manger et un toit pour dormir, espérant que le sacrifice d’une session ne comporte pas de coût indument élevé qui ne les empêche de reprendre les études une fois la mobilisation terminée…
Nous sommes de la majorité silencieuse! Nous sommes de ceux qui attendent la fin d’un mandat et des élections avec impatience! Nous sommes de ceux qui croient qu’un peuple ne devrait pas avoir à attendre 5 ans pour démettre un gouvernement ou signifier son désaccord avec certaines politiques. En attendant qu’il en soit ainsi, nous sommes de ceux qui souhaitent que notre jeunesse reste libre, éclairée et confiante, tout en gardant conscience que ce pays lui appartient et qu’en découle le devoir de s’opposer à l’inacceptable et de travailler pour l’avenir à l’amélioration de nos institutions démocratiques!
Frédéric Labrie avec l’approbation tacite des convives de la semaine dernière à Chisasibi…


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2012

    Très bon et très beau texte. Je vous félicite pour votre lucidité et votre rigueur intellectuelle.
    Vous avez bien compris que la majorité silencieuse est réduite au silence par la nécessité de gagner sa vie dans un monde marchand individualiste et souvent cruel.
    Vous avez mis le doigt sur le bobo de notre "démocratie" déficiente, celle où le peuple ne vote qu'une fois à tous les 5 ans pour désigner ses maîtres.
    Cette forme de démocratie est bien malade. Les politiciens professionnels n'arrêtent pas de nous dire que le peuple est souverain, mais nous savons tous que, dans la vraie vie, ce n'est pas le cas.
    Le peuple n'a rien à dire dans les décisions quotidiennes qui sont prises en son nom. Rien, à part écrire et voter une fois à tous les 5 ans.
    Il nous faut une constituante citoyenne pour changer tout cela. Une constitution rédigée PAR et POUR les citoyens tirés au sort et non pas par et pour les élus et leurs maîtres du pouvoir économique.
    Il nous faut une vraie démocratie directe et participative où les citoyens auront l'opportunité de participer aux décisions qui les concernent, soit par des référendums d'initiative populaire, soit par une chambre citoyenne tirée au sort pour des mandats courts et non renouvelables, soit par des jurés citoyens ponctuels.
    Ce que nous vivons, ce n'est pas une démocratie. C'est un système de gouvernement représentatif, dans lequel le peuple a le seul pouvoir de désigner ses maîtres une fois à tous les 4-5 ans et qui est, dans le fond, une oligarchie, c'est-à-dire le pouvoir de quelques personnes.
    Pierre Cloutier ll.m
    avocat à la retraite