Sarkozy abandonnera-t-il le Québec?

France-Québec : fin du "ni-ni"?



Il serait dommage que le président français torpille le déroulement du Sommet de la Francophonie tout en l'utilisant pour abandonner le Québec une deuxième fois
Le 28 mars dernier, Michel Dolbec rapportait, dans un article de la Presse canadienne, le souhait du président de la France, Nicolas Sarkozy, de redéfinir la politique étrangère française envers le Canada et le Québec. C'est du moins ce qu'on peut comprendre de la déclaration de l'ancien premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, grand collaborateur de Nicolas Sarkozy, qui affirme que le président profiterait du douzième Sommet de la Francophonie, à Québec, pour annoncer une réforme importante de la position française dans le dossier des relations Québec-Canada.
Évidemment, il serait malvenu d'attribuer des propos à Nicolas Sarkozy, qui n'a pas encore annoncé sa position officielle, mais certains éléments (s'ils sont avérés) nous semblent inquiétants pour la vitalité de la diplomatie québécoise. À travers les indices laissés par Jean-Pierre Raffarin, nous sommes désormais en mesure de voir poindre deux redéfinitions de la politique française envers le Québec et le Canada.
Fin du «ni-ni»
Depuis 1977, la politique étrangère française en matière de relations Québec-Canada est basée sur la formule de la «non-ingérence, non-indifférence» lancée par le ministre gaulliste Alain Peyrefitte. Derrière cette formule, la France consentait à ne pas s'immiscer dans le débat interne canado-québécois mais décidait d'«accompagner» le Québec s'il choisissait l'indépendance dans une démarche démocratique. Jean-Pierre Raffarin nous annonce donc que le président de la République française est mal à l'aise avec la doctrine du «ni-ni».
Au-delà de la pertinence de cette position et de l'avenir national du Québec, il faut mentionner que cet aspect de la politique étrangère française ne transparaît pas de manière évidente au quotidien. En réalité, cette position historique de la France ne s'est déployée -- et non sans grandes difficultés -- qu'en temps exceptionnel. Autrement dit, elle prend forme lorsque la question indépendantiste est saillante et inéluctable: en période référendaire.
En fait, l'opérationalisation de cette «non-indifférence» envers la question nationale ne peut que s'amorcer lors d'un référendum et ne se développera concrètement que si celui-ci s'avérait gagnant. Il serait donc erroné de voir aujourd'hui une grande révolution détruisant la faisabilité du projet souverainiste: celui-ci dépend uniquement de la volonté interne des citoyens québécois. Cette redéfinition est certes majeure, mais il serait inadéquat, pour les raisons explicitées précédemment, d'y concentrer nos réflexions et nos analyses.
Impact sur la diplomatie
La deuxième redéfinition potentielle amènerait un changement profond de la pratique diplomatique québécois au jour le jour. En effet, ce qui est le plus troublant, c'est la déclaration indiquant le souhait de participer à la «gestion du monde» en évitant l'opposition Québec-Canada. En d'autres mots, le président Sarkozy veut participer à une normalisation du cas canado-québécois, ce qui ne peut que représenter une soumission de la diplomatie québécoise à la «normalité» westphalienne de l'État souverain canadien.
Premièrement, cette «nouvelle» position française de la «normalisation» représente une véritable gifle à l'action française et québécoise des 40 dernières années. En effet, le gouvernement français a été un interlocuteur important -- voir essentiel -- pour l'existence et le développement du réseau diplomatique québécois.
Cet accompagnement essentiel a permis au Québec d'entreprendre des actions très intéressantes: présence à la Francophonie, Convention sur la diversité culturelle, mission conjointe des premiers ministres québécois et français au Mexique pendant le premier mandat Charest, etc.
Deuxièmement, un fait demeure: la diplomatie québécoise s'est constamment développée en opposition à la diplomatie canadienne, non par choix mais par obligation, et plus particulièrement parce que la diplomatie canadienne refusait et refuse encore de reconnaître la voix québécoise dans le domaine des relations internationales.
Double revirement
Cette non-accommodation, qui prend même la forme d'une véritable politique de sabordage à l'occasion -- pensons à la visite de Lucien Bouchard au Mexique à la fin des années 90 --, est typique de l'attitude canadienne envers les velléités internationales du Québec. Il existe donc un double revirement dans les propos de l'ancien premier ministre français, qui brigue aujourd'hui la présidence du Sénat français. Non seulement il renierait 40 ans d'histoire, il ferait également preuve d'une méconnaissance de la réalité canadienne et québécoise en matière de diplomatie.
Il faut avouer que le voeu du président français de se rendre à Québec, tout particulièrement dans le cadre du Sommet de la Francophonie, afin de jeter un pavé qui risque de secouer le déroulement de cette rencontre ne fera qu'affaiblir davantage le rayonnement de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). On peut se demander si le président français est conscient du fait que la Francophonie s'est principalement construite (ou déconstruite) à travers l'ordre (ou le désordre) constitutionnel Canada-Québec.
Grande déception
L'ironie est grande. Surtout, elle risque de planter le dernier clou dans le cercueil d'un sommet qui se dirige déjà vers une grande déception alors que les problèmes «administratifs» monopolisent les ressources et attirent beaucoup d'attention. En d'autres mots, l'OIF pourrait très bien se passer d'un scandale «québéco-canadien», gracieuseté du président français, afin de se concentrer sur les défis de demain pour la Francophonie internationale.
Les éditorialistes du journal The Gazette, qui voient dans le réseau international québécois un «rêve de grandeur» inutile et coûteux, se réjouiraient probablement s'il advenait que les propos de M. Raffarin étaient avérés. Peut-être recommanderont-ils le développement d'antennes provinciales à Saskatoon et à Thunder Bay au lieu de voir la représentation étrangère québécoise se perdre en futilités à New York, à Paris, à Bruxelles...
Nicolas Sarkozy leur donnera-t-il raison? Cela reste à voir. Toutefois, outre les querelles souverainistes-fédéralistes, il serait dommage que le président français torpille le déroulement du Sommet de la Francophonie tout en l'utilisant, ainsi que le formulait le chroniqueur Michel Vastel, pour abandonner le Québec «une deuxième fois».
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Jean-Marie Girier, Titulaire d'un DEA en sciences humaines de l'École normale supérieure de Lyon, l'Institut d'études politiques de Lyon et l'Université Lumière Lyon 2
Marc-André Gosselin, Candidat à la maîtrise en science politique à l'université McGill
Christian Bordeleau, Candidat à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal et directeur des analyses en communication politique chez Intangible Communication


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