D'abord ne pas nuire

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IDÉES - la polis

Photo: Clip Art - «L'obscurantisme est revenu mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se recommandent de la raison. Face à cela, on ne peut pas se taire » - Pierre Bourdieu (1999)
Selon La Presse du 22 septembre 2008, si son gouvernement est réélu, M. Harper se promet d'imposer des peines obligatoires plus dures aux jeunes contrevenants de 14 ans et plus qui commettent des crimes violents tels que le meurtre, l'homicide involontaire ou une agression sexuelle grave. Il semble que ces mesures projetées prévoient des peines de prison à vie pour les jeunes reconnus coupables de meurtre au premier ou au second degré ainsi que l'abolition de l'interdit de publication du nom des jeunes impliqués dans certains actes criminels. Dans cet ordre d'idées le chef conservateur a annoncé une série d'autres mesures visant à axer la loi davantage sur des principes de «dissuasion et de responsabilité», dont l'inclusion d'un énoncé qui déclarerait que «la protection de la société est l'un des objectifs premiers de la loi».Cette croyance selon laquelle des peines obligatoires plus dures envers les adolescents violents permettraient de mieux protéger la société, est extrêmement critiquable à plusieurs titres.
En premier lieu, non seulement le principe de «responsabilité» est déjà inclus dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents , mais encore une modification de la formulation actuelle risque d'avoir pour effet de faire disparaître l'auteur de l'acte (ce qui est alors contraire au principe d'individualité des peines) derrière le geste qui est posé.
En second lieu, soulignons qu'en mai 2008, la Cour suprême a rappelé l'importance du principe voulant que les jeunes contrevenants soient traités avec moins de sévérité que les justiciables adultes. Le plus haut tribunal du pays a jugé inconstitutionnelle la loi actuelle, qui voudrait forcer les adolescents coupables de crimes graves à démontrer pourquoi ils ne devraient pas se voir imposer des sentences d'adultes (généralement il faut démontrer pourquoi un jeune devrait se voir imposer une sentence adulte). Selon la Cour suprême du Canada, le principe d'une présomption morale moins élevée chez les adolescents est essentiel à notre conception du bon fonctionnement du système de justice. «Nous respectons la décision de la Cour suprême», a dit M. Harper. «Nous n'imposons pas des peines adultes. Nous avons l'intention d'imposer des peines plus sévères aux jeunes.»
Sur son site web, Laurence Cannon déclare quant à lui qu'un «gouvernement conservateur réélu «rétablira un équilibre» en adoptant une nouvelle loi sur les jeunes contrevenants (http://www.lawrencecannon.com/FR/417/17066). Parlant d'équilibre, on est justifié de conclure que c'est à une marche de funambule que se prépare le parti conservateur: des peines pour les jeunes qui restent «proportionnelles», tout en étant «plus sévères», «sans être des peines adultes», mais qui pourraient «aller jusqu'à la prison à vie». De plus, à l'heure actuelle, on ne sait pas trop dans quel type d'institution les jeunes seraient détenus. Des établissements pour jeunes? Ou pour adultes? Ou les uns, suivis des autres? Le moins qu'on puisse dire c'est que tout cela est bien tortueux. À moins qu'on ne fasse qu'entretenir l'ambiguïté jusqu'au moment où on aura accédé au pouvoir.
De tels propos engendrent également un questionnement face à la connaissance de l'actuelle Loi sur la justice pénale pour les adolescents puisque le paragraphe 38.1 précise déjà que l'assujettissement de l'adolescent aux peines spécifiques a pour objectif de faire répondre celui-ci de l'infraction qu'il a commise (...) en vue de favoriser la protection durable du public. Et rappelons, qu'à part quelques mouvements épisodiques, les taux de criminalité des jeunes ne sont pas à la hausse.
En troisième lieu, ces projets se posent en opposition totale avec l'état des connaissances. Depuis 1985, les milieux scientifiques et milieux d'intervention ont pu prendre connaissance de plusieurs méta-analyses portant sur l'intervention auprès des jeunes contrevenants dont certaines portaient spécifiquement sur les jeunes contrevenants «sérieux» ou violents.
Combinant les résultats statistiques de séries d'études indépendantes de façon à en faire une synthèse empirique fiable, toutes ces méta-analyses concluent sur l'efficacité des méthodes de réadaptation qu'il s'agisse de méthodes psychoéducatives ou cognitivo-comportementales, de la dispensation de services multiples, de formation scolaire ou encore d'initiation au travail. À contrario, les interventions basées sur la punition et ou la dissuasion sont de manière générale présentées comme des échecs, soit en raison d'une absence de résultat (Lipsey, Wilson et Cothern, 2000) soit, et c'est plus grave, parce que ces programmes sont plutôt associés à une augmentation de l'activité criminelle des participants (Sherman et coll, 1997).
Enfin, les quelques études évaluatives disponibles ne démontrent aucune efficacité quant au renvoi des adolescents devant les tribunaux pour adultes. Il est plutôt question de taux de récidive plus élevés, ce qui contribue à la mise en danger de la collectivité (à ce propos, voir Fagan, 1995) . Aux États-Unis en 2008 on a ainsi pu lire : «Les données disponibles indiquent que le transfert (des adolescents) au système de justice pénal adulte généralement augmente, et non pas diminue, les taux de violence chez les jeunes transférés»
Notre intention ici n'est pas d'excuser ni «de surprotéger» les jeunes auteurs de crimes violents. Et il ne s'agit même pas de défendre ici des «valeurs québécoises» ou un «modèle québécois de la rééducation» (même si l'occasion est belle). Notre intention est plutôt de dénoncer cette manière obscurantiste de se référer au «bon sens» pour mieux balayer du revers des résultats de plusieurs centaines d'études et les ramener à de simples «opinions d'experts».
Depuis une trentaine d'années, le mouvement dit des «pratiques fondées sur des données probantes» s'appuie avec sur les résultats des évaluations et des méta-analyses parce qu'elles se veulent: explicites et transparentes quant à leur méthode; standardisées ou «systématiques» dans leur démarche. Dans cette perspective, on arrive à la conclusion qu'il est illusoire de penser qu'on arrivera à mieux protéger la société avec l'adoption d'une loi plus dure envers les adolescents violents. Ça ne fonctionne pas.
Une bonne politique n'est-elle pas censée produire les effets désirés? Il semble bien que non. « La prévention du crime aujourd'hui comme dans le passé a tendance à être conduite plus par la rhétorique que par la réalité» écrivaient Visher et Weisburd , (1998). Voilà que la rhétorique obscurantiste des conservateurs invoque le réalisme et le «gros bon sens». C'est un peu comme si M. Harper nous disait qu'il y a «beaucoup de voix, de monsieur et madame tout le monde, qui «savent» que le réchauffement de la planète n'est pas dû aux activités de l'homme et qu'on doit, pour relancer notre économie, avoir des politiques «réalistes» qui mettent en valeur les sables bitumineux de l'Ouest.
À la vue de ce qui se passe depuis quelques jours on aurait envie d'ajouter qu'il est bien malheureux que des politiciens récupèrent la détresse des familles de victimes d'adolescents violents pour l'inclure dans leur argumentaire et dans leur campagne électorale. On ne peut se taire devant une telle attitude.
Il est faux de prétendre que la promesse de M. Harper va dans le sens de l'intérêt général. Ce projet part dans la mauvaise direction et ne repose sur aucune base empirique. Il nous place même devant une situation où le remède est pire que le mal. Ces jeunes sortiront un jour de prison, en libération conditionnelle, et la prison risquera de les avoir endurcis dans leur criminalité plutôt qu'autre chose. Voilà pourquoi, non pas sur la base «d'opinions d'expert» mais de données empiriques, il faut s'opposer à ce type de réforme.
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Jean Paul Brodeur, directeur du Centre International de Criminologie Comparée
Marie Marthe Cousineau, présidente de la Société de criminologie du Québec, École de criminologie de l'Université de Montréal
Jean François Cusson, coordonnateur à l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec
Dr. Jean Yves Frappier, président de l'Association canadienne pour la santé des adolescents, Hôpital Ste Justine
Claude Leblond, travailleur social, président de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec
Richard Lusignan, président du Regroupement pour la création d'un ordre professionnel en criminologie
Marcel Renou, ps.éd., président de l'Ordre des conseillers et conseillères d'orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
Jean Toupin, directeur scientifique au Centre jeunesse de Montréal - Institut Universitaire et Université de Sherbrooke
Julie Achim, Département de psychologie de l'Université de Sherbrooke
Marc Alain, Département de psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Karine Baril, Département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke
Jacqueline Berger, psychologue à l'Hôpital Charles Lemoyne
Huguette Bérubé, chef du Service de psychologie de l'Hôpital Charles Le Moyne
Dr. Jean-Pierre Bienvenu, psychiatre - psychanalyste et chef du service de pédopsychiatrie Hôpital Charles LeMoyne
Dr. Annie Breault, pédopsychiatre au Pavillon Albert Prévost, Hôpital du Sacré Coeur de Montréal
Serge Brochu, École de criminologie de l'Université de Montréal
Natacha Brunelle, Département de psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Louis Brunet, directeur du Département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal
Stéphane Cantin, École de psychoéducation de l'Université de Montréal
Dianne Casoni, École de criminologie de l'Université de Montréal
Claire Chamberland, École de service social de l'Université de Montréal
Louis-Georges Cournoyer, École de criminologie de l'Université de Montréal
Isabelle Daigneault, Département de psychologie de l'Université de Montréal
Dr. Sylvaine De Plaen, pédopsychiatre au Pavillon Albert Prévost
Julie Desrosiers, Faculté de droit de l'Université Laval
Danny Dessureault, Département de psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Sylvie Drapeau, École de psychologie de l'Université Laval
J. Eric Dubé, Département de psychologie de l'Université Concordia
Normand Durocher, coordonnateur de projets à Boscoville 2000
Jean Sébastien Fallu, École de psychoéducation de l'Université de Montréal
Chantal Fredette, Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire
Annie Gendron, doctorante en psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières
Danielle Gosselin, psychologue
Dr. Nancy Haley, Pédiatre à l'Hôpital Ste Justine
Pascale Hamet, travailleuse sociale au CLSC Montréal-Nord
Mylène Jaccoud, École de criminologie de l'Université de Montréal
Jacques Joly, Département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke
Louis Lacroix, Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire
Éric Lacourse, Département de sociologie de l'Université de Montréal
Denis Lafortune, École de criminologie de l'Université de Montréal
Nadine Lanctôt, Département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke
Stéphane Leman-Langlois, École de criminologie de l'Université de Montréal
Dr. Odile Lapierre, pédopsychiatre au Pavillon Albert Prévost
Simon Larose, Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval
Denis Laurendeau, pédopsychiatre au Pavillon Albert Prévost
Catherine Laurier, Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie de l'Université du Québec à Montréal
Diane Lauzier, psychologue et Chargée de cours à l'Université de Sherbrooke
Claire Malo, Centre jeunesse de Montréal - Institut Universitaire
Florence Marcil-Denault, psychologue à la clinique externe de psychiatrie pour enfants et adolescents
Dominique Meilleur, Département de psychologie de l'Université de Montréal
Carlo Morselli, École de criminologie de l'Université de Montréal
Alexandre Morin, Département de psychologie de l'Université de Sherbrooke
Dr. Nicole Nadeau, pédopsychiatre à l'Hôpital Ste Justine de Montréal
Frédéric Ocqueteau, École de criminologie de l'Université de Montréal
Kathy Parent, Centre de santé et de services sociaux de Montmagny-L'Islet
Chantal Plourde, Département de psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Eve Pouliot, unité d'enseignement en travail social à l'Université du Québec à Chicoutimi
Jean Poupart, École de criminologie de l'Université de Montréal
Anne-Louise Robichaud, psychologue au Pavillon Albert-Prévost
Isabelle Sénécal, Candidate au doctorat, département de psychiatrie, Hôpital du Sacré-Coeur
Miguel M. Terradas, Département de psychologie de l'Université de Sherbrooke
Jimmy Théberge, Psychologue au Pavillon Albert Prévost
Marc Tourigny, Département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke
Michel Tousignant, Département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal
Jean Trépanier, École de criminologie de l'Université de Montréal
Marcel Trudel, Département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke
Lyse Turgeon, École de psychoéducation de l'Université de Montréal
Marion Vacheret, École de criminologie de l'Université de Montréal
Pierrette Verlaan, Département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke


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