Retour de Key West

Chronique de Patrice Boileau


J’ai toujours aimé les plages étatsuniennes. Leur sable blanc et fin, la présence de végétations tropicales, les pélicans, la mélodie des vagues qui se brisent sur la grève et l’horizon infini droit devant! Voilà un sentiment d’éternité qui est toujours parvenu à recharger mes batteries.
L’île que j’ai visitée détonne des stéréotypes qui caractérisent plusieurs villes de nos voisins du sud. Probablement son échelle humaine qui explique cela. Il est en effet possible de la parcourir à pied. On y loue des vélos à 6$ par jour si on préfère la pédaler. Des petits véhicules électriques sans portes ni pare-brise sont aussi à la disposition des visiteurs. On est donc loin des 4X4 obèses qui pullulent et polluent ailleurs comme à Miami, cité où j’ai également séjourné.
La population insulaire m’a également semblé plus saine. J’y ai vu moins de cas d’embonpoint et de corpulence. Les gens sont gentils et discrets, tout comme les habitations qui sont pour la plupart dissimulées dans une luxuriante verdure tropicale. L’architecture typique de l’endroit évoque l’époque coloniale ainsi que la culture caraïbéenne. Les maisons de bois de deux étages serties d’un long balcon en devanture, sont coiffées d’une toiture en pente. Elles sont entretenues avec soin. Les larges volets de bois, partiellement soulevés au-dessus des fenêtres, sont soutenus par un simple bâton. Charmant.
Dans la discrète piscine du El Patio, petit hôtel de deux étages des années 1940, magnifiquement agrémenté par cette cour intérieure où triomphent un jardin tropical et une fontaine, j’ai discuté avec cet Américain également en vacances. L’homme devait avoir la jeune soixantaine. Nous avons parlé de Barack Obama. Manifestement, mon interlocuteur est tiraillé dans sa tête. Il désapprouve fortement le projet de réforme du système de santé que caresse le Président démocrate. L’État intervient déjà beaucoup trop dans la vie des gens, à ses yeux. À ce compte, rajoute-t-il, celui qui tient les rennes à Washington devrait d’abord assainir le service postal. Cette entreprise publique coûte trop cher aux contribuables pour le rendement qu’elle offre. C’est un chantier de trop qu’entame Obama : il s’y cassera les dents, assure le sexagénaire.
L’homme connaît le Québec. Il l’a reconnu dès que je l’ai nommé. J’aime d’ailleurs dire que je viens du Quebec state, lorsqu’on me demande ma nationalité. Il était curieux de savoir si la récession y sévit aussi gravement que dans son pays. N’ayant pas d’industries automobiles, je lui ai répondu que la tempête frappait avec modération. J’ai ajouté que l’absence de « subprimes » dans notre système bancaire n’avait pas exacerbé le taux d’endettement des ménages, comme aux États-Unis. Les hypothèques sont d’ailleurs consenties moins facilement qu’au pays de l’Oncle Sam. L’homme a alors pesté contre la cupidité des banques étatsuniennes qui en a fait mourir plus d’une.
Seule l’intervention de l’État peut enrayer ce libéralisme économique abusif qui a engendré la récession. Idem pour ce qui est des grosses entreprises comme General Motors et Chrysler. Ces motoristes ont sottement ignoré le dernier choc pétrolier en construisant des camions toujours plus gros. Les voilà maintenant maintenus en vie artificiellement, grâce aux mamelles de Washington. Ce sont vos taxes et impôts qui payent les salaires de ceux qui ont adopté ces mauvaises décisions, que je lui ai dit. On ne peut plus laisser sans surveillance des entreprises susceptibles d’ébranler dramatiquement toute l’économie d’un pays, si elles font faillite. Voilà la leçon qu’il faut retenir du marasme que nous endurons présentement. Mon propos a presque provoqué la noyade du baigneur, lui qui estime déjà couler sous le poids de son fardeau fiscal!
Nous avons poursuivi sur ce sujet. J’ai avoué que les Québécois sont sollicités puissamment en matière de taxes et d’impôt. Le système n’est certes pas parfait, mais il offre tout de même des services appréciés comme l’accès universel aux soins de santé, un système d’éducation abordable jusqu’à l’université et un service de garderie à prix modique. Une société guidée par des valeurs trop individualistes n’est pas souhaitable.
Je lui ai parlé de la Californie, actuellement menacée de faillite. Des gens de l’endroit, sans enfants, sont parvenus voilà quelques années à éliminer la taxe scolaire qu’ils trouvaient injuste. C’est l’État qui assume dorénavant le financement du domaine de l’éducation. Sa piètre situation financière l’a forcé néanmoins à licencier un grand nombre d’enseignants, amenant l’apparition de classes parfois composées de soixante élèves! C’est pourtant une population instruite qui génère la richesse d’une nation. Où va la Californie, ais-je demandée respectueusement à mon interlocuteur?
Je n’ai pu m’empêcher d’ajouter que le Québec ne se porte pas bien mieux. Sa dette est inquiétante puisqu’elle continue de croître. De plus, sa population active peine à se renouveler de manière à préserver la pérennité de la gratuité des services publiques. Des choix collectifs douloureux seront à faire bientôt. L’ennui, c’est que ceux qui gouvernent présentement sont en début de mandat. Un mandat de trop qui se déroule ouvertement sous le signe de la corruption et de la dilapidation des fonds publics. J’ai soigneusement évité de lui révéler cette dernière information. Il y a des choses gênantes que la décence élémentaire commande de ne pas dévoiler…
***
Idem pour l’apathie des Québécois. Je ne pouvais avouer que la présente administration libérale a été fraîchement réélue, alors qu’elle est éclaboussée par plusieurs scandales et que le navire prend l’eau de toutes parts! Votre humble serviteur en a lui-même été tellement ébranlé qu’il lui fut difficile de rédiger ses dernières chroniques. Au point de remettre en question sa contribution hebdomadaire sur Vigile durant la période estivale. Commenter le désert politique et idéologique s’avère une tâche ardue à relever. Pourquoi encourager encore la résistance, alors que mes compatriotes sont de moins en moins distincts de l’Amérique anglo-saxonne?
Voilà des états d’âme qui ennuient le lecteur! Qui n’a pas ses moments de morosité? On a bien assez des nôtres sans devoir hériter de ceux des autres! Reste qu’entreprendre un autre mandat qui pourrait ne pas se terminer n’est pas ma marque de commerce. Et rendre mon tablier cavalièrement, sans poser de geste protocolaire, non plus! Mine de rien, subrepticement, voilà le premier billet de la nouvelle saison qui prend forme! D’autres suivront. Probable que leur fréquence déterminera la suite des choses.
Patrice Boileau


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 novembre 2009

    Bonjour Patrice (et bonjour O),
    Ayant été mon professeur d'histoire au secondaire, j'aimerais pouvoir poursuivre en se tutoyant.
    Pour ma part, j'estime que nous sommes bombardés de préjugés sur les Américains au quotidien, même dans des journaux que l'on croit impartiaux - ce qui n'existe pas (je souligne l'intervention de O qui est le condensé, parfois vrai mais souvent faux et exagéré, de toute cette propagande et de cette peur irrationnelle).
    Préjugé 1: «Une société guidée par des valeurs trop individualistes n’est pas souhaitable.»
    Les Américains, et même les honnis habitants du ROC - que l'on aime pas si nous sommes des nationalistes linguistico-centristes, ne croient pas en la concentration des pouvoirs et de leur argent dans les mains de quelques politiciens, qu'ils se nomment Bush ou Obama.
    Cependant, en regardant les moyennes, les Américains et les ROCeurs (rions donc de cette expression nombriliste où nous sommes le centre et eux, wouark!, le reste...) donnent plus par habitant en dons que le font les Québécois.
    Ils donnent aussi plus en temps de façon VOLONTAIRE et GRATUITE que nous le faisons ici.
    http://www.antagoniste.net/2009/11/05/arguing-with-idiots-2/
    Ce que j'aime du don, c'est qu'il n'est pas inconditionnel et qu'il est consenti par la personne qui détient l'argent ou qui offre du temps.
    Ainsi, si on apprend qu'un organisme détourne de l'argent au profit des administrateurs, le donateur peut retirer ses billes et donner dans un autre organisme qu'il trouve, à son goût, bien et plus sain.
    Malgré les nombreuses irréguliers (favoritisme) dans l'octroi de contrats, malgré les nombreuses fois où les ministères connurent des dépassements majeurs de coûts, j'aimerais bien pouvoir retirer mes billes, MON argent, du Ministère du Développement économique, par exemple.
    Je ne crois d'ailleurs pas que l'État a un rôle à jouer dans l'investissement aux entreprises, je ne crois pas plus que ce soit sain de donner MON argent sans mon consentement selon une grille (wow! rien de mieux que de voir toute la complexité de la réalité derrière une grille...) pour l'octroi de subventions.
    Au Québec, les politiciens et même les pseudo-intellectuels crypto-marxistes qui pullullent ici proposent plutôt que le volontariat devient FORCÉ, que CERTAINS PAIENT car INJUSTEMENT TROP RICHES. Une culture de jalousie envers qui vous voudrez et peu importe les raisons.
    Ensuite, on se dira pour l'égalité et l'équité. D'abord, si tu veux être égalitaire et montrer que tes politiques ne cherchent pas à punir injustement les uns pour octroyer des privilèges particuliers à un groupe d'individus (que tes privilèges spéciaux s'adressent à des lobbys sociocommunautaires, de chômeurs polygénérationnels ou à des intérêts commerciaux, industriels, manufacturiers), commence donc par imposer tout le monde de la même façon.
    Préjugé 2: «J’ai avoué que les Québécois sont sollicités puissamment en matière de taxes et d’impôt. Le système n’est certes pas parfait, mais il offre tout de même des services appréciés comme l’accès universel aux soins de santé, un système d’éducation abordable jusqu’à l’université et un service de garderie à prix modique.»
    En fait, encore ici, il faut préciser que certains ne paient AUCUN impôt, donc bénéficient gratuitement de ce que les autres sont forcés de payer.
    Et lors des récents sondages, les Québécois ont montré, comme tout humain logique et individualiste, qu'ils sont d'accord avec des hausses de taxes partout où ces hausses de taxes ne leur touchent pas. Bref, là où les AUTRES PAIERONT encore POUR LES SERVICES QU'EUX-MÊMES UTILISERONT.
    http://geloso-breguet.blogspot.com/2009/10/les-tarifs-et-moi-ou-plutot-et-vous.html
    Dis-moi ensuite que nous sommes moins individualistes ici qu'ailleurs! Préjugé!
    Bien sûr les gens ne veulent pas payer leurs frais de santé ou leur éducation, pour qu'eux deviennent le spécialiste qu'ILS veulent.
    Plus tôt que les Américains nous avons collectivisé les coûts des choix individuels.
    Patrice, je me permets d'ajouter que l'État américain n'avait pas à subventionner des entreprises en perte de vitesse comme GM ou Chrysler.
    Joseph Schumpeter et sa «destruction créatrice», tu connais?
    Patrice, je me permets d'ajouter que la FED et les politiciens n'avaient pas à la fois à forcer les banques américaines à prêter aux gens insolvables et aux banques elles-mêmes (Community Reinvestment Act? Fair House Act? http://www.antagoniste.net/2009/04/08/quand-letat-reglemente-vi/ ).
    Dans un véritable libre-marché, de telles interventions n'auraient jamais été faites.
    Cette crise est donc le fait d'un étatisme déjà croissant sous Bush et même avant, pas le fait de gens trop libres vivant dans un véritable monde libéral-libertarien.
    Deux liens avant de finir:
    - http://www.leblogueduql.org/2008/09/tatistes-de-gau.html (ce qui unit conservateurs, marxistes et socialistes)
    - http://www.leblogueduql.org/2009/05/leffondrement-du-dollar-am%C3%A9ricain-2.html (...la conséquence de l'impression massive de billets pour "stimuler" l'économie)

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    26 août 2009

    Monsieur Boileau,
    Je vous trouve bien courageux… ou encore, bien jeune. Je ne sais pas si je pourrais encore aller à la recherche des plages des États-Unis, Virginia Beach, Cape Hatteras, Ste-Augustine, Sanibel Island, Sarasota ou les Keys… La police de Floride qui t’extirpe de ton véhicule en voyant ta plaque de separatist… et on dit que les douaniers ne sont toujours pas les champions de l’hospitalité. Les campings, même sur la côte ouest : You’re damn away from home, buddy. Et ces vagues où l’on se laisse flotter sur le dos, ébloui de soleil, une dernière fois, fin août, avant la rentrée… cauchemar ! Discuter avec les Étatsuniens, de politique, avec la retenue que vous dites, pour éviter de les amener sur le terrain de notre indécision… Éviter de parler de gaspillage d’eau : les fleuves Colorado ou Rio Grande del Norte, tellement piratés sur leur parcours qu’ils ne se rendent plus à la mer. Éviter de parler des frontières, où des milices armées pourchassent les illégaux au sud, bientôt au nord, la nuit, à la lampe infrarouge. L’omniprésence militaire qui aspire jusqu’à nos jeunes. La torture que nous en venons à imiter. All you can eat. Racisme, misère urbaine des trous de beigne. Maladie de Lyme. Peine de mort. Milices de justiciers à la Far West. Décadence.
    Bien sûr, il y a encore le Grand Canyon, à descendre à pied pour un camping en bas. Il y a les autres grands parcs naturels où l’on peut passer des jours sans croiser de prédateurs à deux pattes, comme dans le Big Bend pour le bird watching au Texas, croiser un puma inquiétant. Les petits parks naturels longeant le Mexique sont maintenant encerclés d’asphalte et de stationnements à Motor-homes, comme d’ailleurs toute la péninsule de la Floride : autoroutes à 12 voies à 110 kms/hre. Showney’s Friday Seafood Buffet.
    Bon je crois que vous avez encore toute l’énergie qu’il faut pour ce pensum. Cette énergie que j’eus, en 1999, quand je conduisis mon petit camper à Key West, pour y prendre ce Ferry jusqu’à Dry Tortugas, île fortifiée que je découvris avec ma légitime qui voulut y faire cette dernière visite des États-Unis avant son grand voyage.
    Après plus de 25 ans, je refais connaissance avec Paris, les escaliers de la Butte. Le 13 septembre, anniversaire du massacre des plaines d’Abraham par l’ancêtre des É.-U., j’espère être à l’Assemblée nationale de la République de France, notre ancêtre, ou à la Place du Québec, ou à la délégation, portant mon T-shirt Québec libre (risque de cachot sarkozien? :-)