Monsieur André Boisclair,
J'aimerais attirer votre attention sur le fait que les écrits de votre candidat Robin Philpot, qui se présente dans la circonscription de Saint-Henri-Sainte-Anne, nient l'existence du génocide des Tutsis du Rwanda, des viols systématiques subis par les femmes rwandaises pendant ce génocide, et le fait que des listes aient été dressées en vue de mettre en oeuvre ce génocide. Endossez-vous ces propos? Allez-vous demander à votre candidat de se rétracter?
Dans son livre Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali, Robin Philpot prend la défense de Jean-Paul Akayesu, reconnu coupable par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Selon ce Rwandais, il s'agissait d'un conflit strictement politique, sans qu'il y ait eu de génocide visant les Tutsis. C'est la version de l'histoire que défend Robin Philpot.
«Le parcours qu'a suivi ce terme de génocide en dit davantage sur les visées et les politiques des puissances concernées et des belligérants que sur le crime lui-même», écrit-il: «L'unanimité commence par l'utilisation cavalière et abusive du terme génocide'.» Et encore ceci: «Les Québécois en savent quelque chose. Au début des années 1990, dans la foulée de la crise constitutionnelle du lac Meech, de la crise d'Oka (...), des accusateurs qui ne connaissaient pas le Québec (...) ont lancé les mêmes massues: génocide', racisme', violation des droits humains'.»
Tueries massives
Dans une réplique à l'accusation d'être négationniste, Robin Philpot affirmait en 2004: «Dans aucun de mes écrits, ai-je nié qu'il y ait eu des tueries massives, même parfois à caractère ethnique. Par contre, je rejette catégoriquement l'utilisation abusive du terme génocide'.»
M. Boisclair, il n'y a pas eu «parfois» un génocide. Il y a bel et bien eu un génocide. Dans ses mises au point régulières dans les journaux, votre candidat dans Saint-Henri/Saint-Anne fait usage des termes «tuerie», «tragédie rwandaise», «massacre», «drame», toujours en évitant le terme génocide. Dans son livre, il évite systématiquement de reconnaître que la grande majorité des victimes ont été des Tutsis. «Voilà donc pour le principal crime commis au Rwanda en 1994: le sacrifice de centaines de milliers de Hutus et de Tutsis au nom d'objectifs impériaux stratégiques», écrit-il.
Les Nations unies, son Secrétaire général, le pape, Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l'homme, Amnesty Internationale, l'International Center for Human Rights and Democratic Development et d'autres organisations non gouvernementales, ont tous reconnu qu'il y a eu un génocide au Rwanda en 1994. Sans parler des preuves qu'apporte le TPIR à chacun de ses verdicts.
Dans son récit, le général Roméo Dallaire rapporte l'existence de listes de victimes utilisées par les génocidaires.Voici comment Robin Philpot interprète ce fait: «Que le gouvernement établisse des listes de personnes soupçonnées d'espionner pour le compte de l'ennemi, il n'y a là rien de plus normal.» Et encore ceci: «Quel pays en guerre n'a pas mené de campagne de ce genre? En soi, cela ne prouve aucunement qu'il y ait eu une véritable volonté d'exterminer une partie de la population.» M. Boisclair, est-il «normal» qu'un gouvernement établisse des listes de personnes à exterminer selon leur origine ethnique?
Indépendance rwandaise
Il n'est jamais question dans le livre Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali de l'idéologie qui a mené au génocide: les Tutsis sont définis comme des étrangers, ou des insectes, qui s'attaquent aux véritables Rwandais, c'est-à-dire ceux qui ont réalisé l'indépendance du pays en 1961. Il n'est jamais question non plus des propos bien connus de la Radio des Milles Collines et de ses appels au génocide des Tutsis. On estime que 75% de la population Tutsie habitant le Rwanda en 1994 a été exterminée, dans des conditions horribles.
Robin Philpot endosse également les propos qui nient les viols lors du génocide de 1994: «D'où viennent les récits de viol? demande-t-il. N'y a-t-il là quelque vérité? Jean-Paul Akayesu n'évite pas la question», écrit Robin Philpot.» Selon Akayesu: «Les mariages entre Hutus et Tutsis étaient fréquents. (...) Quand le FPR a gagné la guerre, on a convaincu ces filles tutsies de quitter leur mari. Une véritable campagne a été menée pour que ces filles accusent leurs fiancés hutus de les avoir violées.»
Le candidat dans Saint-Henri/Saint-Anne reprend à son compte la négation des viols en écrivant ceci: «(...) les récits de viol dans la tragédie rwandaise servent principalement à exprimer une supposée supériorité morale des sociétés occidentales à une époque où des grandes puissances, les États-Unis en tête, veulent justifier une mainmise plus directe sur les ressources africaines et un contrôle directe du continent».
Quelle que soit la complexité de la situation politique, la nature du régime politique à Kigali, l'ampleur dans cette région des crimes contre l'humanité perpétrés par diverses parties et l'influence intéressée de pays occidentaux, le génocide rwandais de 1994 a visé tout particulièrement les Tutsis. Ça s'est passé comme ça à Kigali. Le nier est une insulte innommable.
Pierre Trudel
L'auteur est professeur d'anthropologie au cégep du Vieux Montréal.
Qu'en pense Boisclair?
Québec 2007 - Philpot et le Rwanda
Pierre Trudel12 articles
Professeur d'anthropologie au cégep du Vieux-Montréal et chargé de cours au Département de science politique de l'UQAM
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