Une position scandaleuse

Québec 2007 - Philpot et le Rwanda


J'ai enseigné au Rwanda en 1964, 1965 et 1967. Je suis retourné donner des cours à l'Université du Rwanda en 1977, puis en 1978. Mon dernier voyage dans ce pays remonte à 1996, deux ans après le génocide au cours duquel plusieurs de mes anciens étudiants ont été tués.
Par ailleurs, il se trouve qu'avant l'élection de 1976 qui a porté le Parti québécois au pouvoir, j'étais le président du Parti québécois dans le comté de Sainte-Anne.
On comprendra que je réagisse au fait que les couleurs du Parti québécois dans le comté de Saint-Henri-Sainte-Anne soient actuellement portées par un candidat qui s'est fait connaître par des prises de position qui ont systématiquement tenté de minimiser la responsabilité du régime en place en 1994 dans le génocide des Tutsis rwandais et à prendre la défense de personnes qui ont été accusées, puis condamnées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Monsieur Philpot, c'est de lui qu'il s'agit, et plusieurs autres personnes qui pensent comme lui prétendent que le génocide des Tutsis a commencé avec l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Habyarimana qui a déclenché le génocide rwandais. Ils ajoutent que, selon eux, c'est le président actuel du Rwanda, Paul Kagame, qui aurait organisé cet attentat et que, par conséquent, Paul Kagame (qui est lui-même Tutsi) est le vrai responsable du génocide des Tutsis puisqu'il a fourni aux tueurs le prétexte pour passer à l'acte.
Ainsi, Kagamé serait le grand responsable de ce génocide, plus que les tueurs eux-mêmes et que ceux qui ont planifié, organisé, perpétré, encouragé et encadré ce génocide. Pour mettre tout cela en perspective, il est bon de rappeler certains faits.
Le génocide rwandais n'a pas vraiment commencé le 6 avril 1994. Un historien français anti-Kagamé spécialiste du Rwanda, Bernard Lugan, écrit dans son livre intitulé Rwanda: le génocide, l'Église et la démocratie: «Après ceux de 1959, les massacres de Tutsis continuèrent en 1961, en 1963, en 1973 et de 1990 à 1994. Durant trente-cinq ans, l'«habitude» de tuer des Tutsis dans une totale impunité - quand ce n'était pas avec les encouragements ou les félicitations des autorités - était devenue normale» (p. 18). Ailleurs, il écrit aussi: «Le 10 novembre (1959) les Hutus de Save entreprirent de massacrer leurs voisins Tutsis. Un génocide de trente-cinq ans débutait» (p. 72).
Un an avant l'attentat contre l'avion d'Habyarimana, les 20 et 22 janvier 1993, «des massacres de Tutsis et d'opposants ont lieu dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri, Kibuye et Byumba», comme le souligne un autre auteur anti-Kagamé, Abdul Ruzibiza (Rwanda, histoire secrète, p. 466). Trois mois avant l'attentat, le 11 janvier 1994, le général Roméo Dallaire commandant la force de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda a envoyé au siège de l'ONU un télégramme annonçant qu'un génocide était en préparation et qu'il désirait effectuer des raids contre les caches d'armes préparées en vue de l'extermination des Tutsis (ce à quoi l'ONU s'est objectée). Déjà, à cette époque, la radio Mille collines appelait, depuis plusieurs mois, en des termes à peine voilés, au génocide des Tutsis.
Prétendre dans ce contexte que, sans l'attentat, il n'y aurait jamais eu de génocide et que le premier responsable du génocide des Tutsis, c'est l'auteur de l'attentat, c'est mentir ou rêver en couleur. Monsieur Philpot devrait reconnaître qu'il a fait fausse route jusqu'ici dans cette affaire.
La vraie question est de savoir ce que devait faire le général Kagamé qui commandait alors l'armée du Front patriotique du Rwanda (la principale force d'opposition à Habyarimana) et qui savait, comme le général Dallaire, que les tueurs s'apprêtaient à éliminer tous les Tutsis.
Pouvait-il ne rien faire? S'il devait faire quelque chose pour prévenir la suite du génocide, que pouvait-il faire? Pouvait-il arrêter chacun des milliers de tueurs pris individuellement? Pouvait-il toucher la tête du complot? Et s'il l'a cru, peut-on le lui reprocher? M. Philpot devrait se poser toutes ces questions avant de tenter de disculper, de façon totalement scandaleuse, les tueurs de Tutsis.
Il reste à souhaiter que M. Philpot se concentre dorénavant uniquement sur le Québec, ce que je lui souhaite.
Luc-Normand Tellier
L'auteur est professeur au département d'études urbaines et touristiques de l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal.


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