Robin Philpot, chercheur de vérité

Québec 2007 - Philpot et le Rwanda

C'est un bien triste spectacle que celui d'une réalité complexe jetée en pâture à des esprits simplistes. Les événements qui ont ensanglanté le Rwanda en 1994 se prêtent mal, en effet, à des interprétations primaires fondées sur le manichéisme ou, pis encore, sur le fait d'avoir visionné [«au moins deux films sur cet événement-là» (Jean Charest)->5127]. Les thèses de Robin Philpot, développées dans un essai intitulé Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali (Les Intouchables, 2003), sont certes dérangeantes, troublantes, mais, jusqu'à preuve formelle du contraire, légitimes. Pas avérées; légitimes. Aussi, la chasse aux sorcières, orchestrée par le journal La Presse, dont a été victime le candidat péquiste de Saint-Henri-Sainte-Anne est disgracieuse et injustifiée.

[En titrant à la une, le jeudi 8 mars, qu'«un candidat du PQ nie le génocide rwandais»->5023], manchette à laquelle s'ajoutait, en sous-titre, «Robin Philpot ne croit pas que 800 000 Tutsis ont été tués en 1994», La Presse et son réputé reporter André Noël ont vraiment fait dans le sensationnalisme de bas étage.
Robin Philpot n'a rien d'un négationniste, à la manière de ceux qui nient l'existence de la Shoah. Jamais il n'a nié l'ampleur des massacres de 1994. Suggérer le contraire relève de la supercherie. Il est vrai, toutefois, que Philpot a affirmé qu'il rejetait «catégoriquement l'utilisation abusive du terme "génocide", entre autres, parce que cela exonère l'un des belligérants de la guerre, l'armée du Front patriotique rwandais» (FPR). Que faut-il comprendre de cette affirmation?
Pas le seul
Contre l'opinion majoritaire des experts, Philpot, après une longue enquête, refuse de trancher sans nuance entre les bons et les méchants dans cette tragédie. Selon lui, le Rwanda en 1994 a été le théâtre d'une guerre civile meurtrière dont un des principaux responsables est Paul Kagame, aujourd'hui président du pays et à l'époque chef du FPR (une armée composée, principalement, de Tutsis de l'extérieur). C'est ce dernier qui aurait été responsable de l'attentat commis le 6 avril 1994 contre l'avion du président hutu Habyarimana, événement qui a marqué le déclenchement du massacre.
Pendant des années, ce crime a été attribué à des extrémistes hutus. Plusieurs enquêtes tendent pourtant, depuis, à accréditer la thèse de Philpot. En 2000, Carla del Ponte, qui fut procureure du Tribunal pénal international pour le Rwanda, a écrit: «S'il s'avérait que c'est le FPR qui a abattu l'avion, l'histoire du génocide devra être réécrite. Bien que cette situation n'atténue en rien la responsabilité des extrémistes hutus dans la mort de centaines de milliers de personnes, elle ferait apparaître le FPR sous un jour nouveau. Le FPR a été jusque-là considéré en Occident comme victime et comme celui qui a mis fin au génocide.»
Le commandant français Jacques Hogard, qui a participé, à l'été 1994, à la controversée mission Turquoise visant à mettre fin aux massacres, écrit, dans son essai intitulé Les Larmes de l'honneur (Hugo doc, 2005): «On voit bien aujourd'hui que la thèse du complot ourdi par le FPR pour, en quelque sorte, pousser au crime les durs du pouvoir hutu n'est pas si invraisemblable que certains ont pu le prétendre.»
Hogard, avec raison, reconnaît la responsabilité du régime hutu, «qui a laissé prospérer en son sein des assassins en puissance et surtout qui n'a pas su les empêcher de passer à l'action», mais il accuse aussi le FPR, qui «a encouragé la politique du pire, déclenchant un cataclysme prévisible par l'assassinat programmé du président Habyarimana». Selon le militaire, d'ailleurs, l'ONU a lâchement abandonné les victimes, et le général Dallaire «aurait dû être immédiatement relevé pour faiblesse de caractère et incapacité».
Sur ces bases, on comprend mieux le sens de la réserve de Philpot à l'égard de «l'utilisation abusive du terme "génocide"». Le grand reporter français Pierre Péan, dans une somme sur le Rwanda de 1990-94 intitulée Noires fureurs, blancs menteurs (Mille et une nuits, 2005), abonde dans le même sens: «Peut-on encore ne parler que du génocide des Tutsis alors que, depuis 1990, le nombre de Hutus assassinés par les policiers ou les militaires obéissant aux ordres de Kagame est bien supérieur à celui des Tutsis tués par les miliciens et les militaires gouvernementaux?» Péan parle donc, même si la chose «n'est pas encore audible», de «double génocide».
Anathèmes déplacés
Que cette thèse choque l'anthropologue Pierre Trudel et l'urbaniste Luc-Normand Tellier, deux connaisseurs et amis du Rwanda qui défendent la thèse majoritaire, est compréhensible et respectable. Chercheurs de vérité dans ce dossier complexe, ces deux intellectuels contribuent sainement au débat en défendant avec conviction leur point de vue. L'avenir leur donnera peut-être raison.
Ce qui est moins acceptable, toutefois, ce sont les anathèmes qu'ils prononcent contre Philpot en l'accusant d'être négationniste, un des qualificatifs les plus infamants qui soient. «Pour rendre leur thèse inexpugnable, écrit Pierre Péan, les défenseurs inconditionnels de Kagame ont déployé un "plan com" redoutable: assimiler ceux qui contestaient leurs thèses aux révisionnistes qui nient la réalité des chambres à gaz ou le nombre de victimes de la Shoah.»
Philpot, redisons-le, n'est pas dans cette logique, et [Lysiane Gagnon, qui sauve l'honneur de La Presse dans ce dossier->5126], a raison d'écrire (le 10 mars) qu'«il a peut-être tort» mais qu'il défend «une opinion parfaitement légitime».
Jean Charest et Mario Dumont, questionnés sur le sujet, n'ont pas été à la hauteur. Ils auraient mieux fait de suspendre leur jugement plutôt que de se prononcer sur la base de «deux films». Simon Durivage, à RDI, qui n'a convoqué que [Pierre Trudel pour commenter->5102], n'a pas réagi plus rigoureusement en se contentant de déclarer, sur un ton innocent, que «tout le monde dit qu'il y a eu un génocide au Rwanda».
Un reportage de la télévision de Radio-Canada a fait pire. Après avoir laissé la parole à une Rwandaise «violée 500 fois» qui se scandalisait des propos de Philpot, la journaliste enchaînait: «Cela n'ébranle pas Robin Philpot [...].»
Plus que toutes ces personnes (j'exclus ici Trudel et Tellier), pourtant, Philpot a été ébranlé par ce drame au point de lui consacrer des années de recherche. Sa thèse, étayée, de la folie meurtrière collective -- comme Péan, il a aussi parlé de «double génocide» -- n'est pas assimilable à un quelconque négationnisme. Au contraire. Elle est peut-être contestable, mais elle est celle d'un chercheur de vérité, pas celle d'un délirant barbare.
***
Louis Cornellier, Professeur de français au cégep régional de Lanaudière à Joliette et chroniqueur au Devoir, l'auteur a rendu compte, dans le cahier «Livres» du Devoir, d'une dizaine d'essais portant sur le Rwanda


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