Les intellectuels rejettent le populisme adéquiste et le conservatisme libéral

Divisés entre Québec solidaire et un PQ qui déçoit, les intellectuels québécois se sont faits discrets dans la campagne en cours

Québec 2007 - Analyse


Par l'entremise d'une lettre circulaire envoyée par courriel, Le Devoir a sondé une vingtaine d'intellectuels au sujet de leurs intentions de vote et de leurs convictions. Pour qui entendent-ils voter le 26 mars 2007? Quelles sont les raisons de ce choix? Quelques-uns, prétextant le caractère privé de la chose, se sont défilés. La plupart, toutefois, ont réagi avec empressement et enthousiasme.
En France, à l'occasion des grand rendez-vous politiques, la tradition est au coming out, voire à la transparence tapageuse. Les intellectuels se disputent les porte-voix pour communiquer leurs couleurs politiques aux citoyens.
Qu'en est-il, au juste, de leurs collègues québécois, qu'on n'entend presque pas depuis le début de la campagne électorale québécoise? Nos intellectuels cultivent-ils volontairement la discrétion à cet égard ou manquent-ils de tribunes pour se prononcer sur les enjeux de ces élections?
Les intellectuels québécois, sur le plan politique, ne forment pas un choeur unanime. Ils s'entendent toutefois sur deux choses: le Parti vert ne les inspire pas (seulement deux répondants en parlent, au passage) et le Parti libéral n'aura pas leur vote. Ainsi, pour le politologue Jean-Marc Piotte, qui votera pour Québec solidaire, le «conservateur Charest» ne vise qu'à «matraquer les organisations syndicales protégeant les salariés». Le journaliste Laurent Laplante, encore indécis, affirme que le PLQ l'inquiète «par son profond cynisme en matière d'environnement, par son préjugé favorable à l'égard des conglomérats, par sa propension à affirmer sans prouver et surtout par ses présentes accointances avec le dangereux Parti conservateur de Stephen Harper».
Pour le romancier et éthicien Henri Lamoureux, un péquiste pragmatique, le mandat que recherche Jean Charest ne mènerait qu'à une «accélération de ses politiques réactionnaires». Le PLQ -- c'est donc une évidence, même chez les répondants qui n'insistent pas là-dessus -- n'a pas la cote dans les rangs intellectuels.
L'Action démocratique de Mario Dumont ne trouve pas non plus grâce à leurs yeux. Le politologue Guy Laforest, qui, dans La Presse du 1er mars dernier, se disait «fier d'être un compagnon de route de l'ADQ depuis la fondation du parti, en 1993-94» et saluait «la vision cohérente, celle d'un humanisme responsable», de cette formation, ne rallie donc pas ses collègues.
De l'ADQ, Laurent Laplante retient «sa démagogie, la superficialité de ses improvisations et sa triste capacité à aller chercher ce qu'il y a de pire dans les passions primaires». Jean-Marc Piotte la qualifie de formation populiste «qui attise la xénophobie du Québec profond contre les nouveaux Québécois». Pour les autres, la cause est entendue: ce parti ne devrait même pas être sur l'écran radar.
Le Parti québécois, malgré tout
Dans son bloc-notes du 15 février dernier publié dans le magazine Le Point, Bernard-Henri Lévy écrit qu'une des règles qui doivent présider à la prise de position des intellectuels «par temps de campagne électorale» est la conscience de faire «un choix par défaut, un choix de moindre mal», puisque la politique n'est plus «le règne du bien mais celui du préférable».
Les intellectuels d'ici qui appuieront le Parti québécois le 26 mars prochain le font dans cet esprit, c'est-à-dire avec pragmatisme et sans illusions. Le sociologue Jacques Beauchemin est de ceux-là. La victoire du PQ, écrit-il, est loin d'être acquise et, le cas échéant, la perspective d'un référendum gagnant ne l'est pas plus. S'il accorde néanmoins son vote au PQ, c'est simplement qu'il veut signifier, par ce petit geste et «par-delà toutes les considérations stratégiques du monde, [...] le vieux désir d'achèvement qui est au fond de la conscience historique québécoise» et qu'il se sent «le devoir de prolonger».
Le philosophe Michel Seymour votera lui aussi pour le PQ, «mais ce sera la mort dans l'âme». Il appréhende une défaite cuisante, suivie d'une période d'arrogance fédéraliste qui relancera peut-être le mouvement souverainiste. Il se désole de devoir passer par là puisqu'il aurait «préféré que les souverainistes eux-mêmes ouvrent le jeu en adoptant un souverainisme d'ouverture, impliquant une ouverture au fédéralisme multinational», une démarche qui aurait mené «à la souveraineté partenariale, étant donné l'impossibilité de réaliser le fédéralisme multinational». Malgré tout, puisqu'il est souverainiste (membre du SPQ libre), il votera PQ.
Henri Lamoureux, qui se dit «indépendantiste de gauche» et partisan d'une «conception socialiste de l'organisation de la société», invoque trois motifs pour justifier son appui pragmatique au PQ. Ce dernier, explique-t-il, est le seul parti souverainiste apte à prendre le pouvoir et à faire avancer le projet, il propose «une plateforme électorale de centre-gauche» et il est le seul parti à même de barrer la route à la droite libérale.
Des indépendantistes déchirés
Les écrivains Andrée Ferretti et Jean Larose, deux indépendantistes notoires, ne croient plus, eux, à la pertinence de ce vote pragmatique. «Déchirée», la militante craint «le danger que représente l'éventuelle tenue d'un nouveau référendum sous la gouverne d'André Boisclair». Habitée par la «conviction de l'impuissance du PQ à mener le Québec à son indépendance», elle affirme qu'une victoire péquiste «ferait perdre quatre nouvelles années» au mouvement et pense «que le PQ ne doit pas prendre le pouvoir». Elle se dit donc, pour l'heure, indécise, même si l'idée de la réélection de Jean Charest l'horripile.
Auteur, en 1994, de La Souveraineté rampante, une critique décapante du souverainisme mou, Jean Larose abonde dans ce sens. Incapable de croire en André Boisclair «comme père fondateur», retrouvant dans la déclaration du chef du PQ sur le retrait du crucifix de l'Assemblée nationale un «esprit nihiliste» plutôt qu'un «esprit républicain», l'écrivain dénonce «la peur de l'indépendance» qui paralyse le PQ. Pour la première fois de sa vie, il ne votera pas pour ce parti, qui «ne se sert de l'idée de souveraineté que comme d'une rente périodique de pouvoir, peut-être parce qu'il ne sait plus, puisqu'il n'en parle pas, ou que ce n'est plus qu'une évidence muette, pourquoi il faudrait que le Québec soit indépendant».
Québec solidaire : pour un avenir différent
Très critiques à l'endroit des trois principaux partis qui pratiqueraient tous, à des degrés divers, une politique de «droite déprimante», trois intellectuels clairement associés à la gauche québécoise montent avec enthousiasme dans le train de Québec solidaire. L'économiste Louis Gill, qui signait il y a quelques mois un essai intitulé Rembourser la dette publique - La pire des hypothèses, en appelle à «une rupture avec ce cycle infernal de l'alternance au pouvoir de partis qui, sitôt élus, trahissent nos intérêts, qu'ils se réclament ou non de la social-démocratie». Il votera donc QS, «malgré sa faiblesse actuelle et dans la perspective de son renforcement, tant pour la souveraineté du Québec que pour faire avancer les choses sur le plan social».
Militant socialiste et indépendantiste de longue date, l'essayiste Jacques Pelletier affirme que «Québec solidaire incarne aujourd'hui la seule véritable solution de rechange aux partis qui se succèdent à Québec en faisant grosso modo la même politique, asservie d'abord aux intérêts des possédants et des dominants qui les contrôlent et les dirigent directement ou en sous-main». Il voit en QS un espoir de changement, une perspective que partage Jean-Marc Piotte, qui évoque «le jeune, dynamique et étonnamment bien organisé Québec solidaire qui, animé par une Françoise David convaincante, défend des objectifs de justice sociale, de respect de l'environnement, d'égalité entre les genres et de lutte contre la discrimination». Piotte affirme qu'il votera «pour l'avenir».
Anonymement, certains des intellectuels sondés par Le Devoir ont déclaré ne pas vouloir se prononcer par attachement au caractère secret du geste ou sous prétexte que leur point de vue n'était pas plus intéressant que celui de n'importe quel citoyen. «Les intellectuels, écrit pourtant BHL, sont des personnes publiques et il est normal qu'ils s'expriment publiquement sur la question.» Et le philosophe André Glucksmann d'ajouter: «Voter n'est pas entrer en religion, c'est opter pour le projet le plus proche de ses convictions.» La plupart des intellectuels québécois en sont bien conscients, tout comme ils savent que leur parole ne changera pas le monde à elle seule.
Collaboration spéciale


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