Politique spectacle ou politique réalité?

Québec 2007 - Analyse

Le budget fédéral ayant été rendu public, on peut maintenant dire que la campagne électorale est entrée dans sa phase finale. Nous avons demandé à trois observateurs privilégiés de la scène politique de faire le point à quelque 100 heures de l'ouverture des bureaux de vote.
Politique spectacle ou politique réalité?

Frulla, Liza
Nous sommes au dernier acte de la campagne. Avec comme décor, un budget présenté par un ministre des Finances fédéral qui ne se présente pas à cette campagne électorale. Cette pluie de dollars aura d'ailleurs permis aux partis de tenter de réaligner leur stratégie et leurs promesses.
Au cours de cette campagne, nous avons assisté à une suite interminable d'insultes, de lapsus, d'anecdotes et même d'insignifiances qui occupèrent une part disproportionnée de l'espace médiatique. Chaque parti a tenté de scénariser au mieux sa propre campagne. Quelquefois avec succès, souvent avec infortune. Il y eut des shows montés pour la télé, des déclarations fracassantes, des ralliements partisans et des visites d'usines, certaines réussies, d'autres moins bien. Cette mise en scène électorale tire à sa fin. Les autobus de campagne rentreront bientôt au garage.
Un constat
Un grand constat émane de cette campagne: la fatigue des citoyens face à la vieille façon de faire de la politique. Une lassitude face à une classe politique qui semble de plus en plus déconnectée de leur réalité quotidienne et de leurs véritables préoccupations. On a beaucoup parlé du Québec du 450, du 418, du 819 en opposition à celui du 514. Mais il y a un autre Québec, celui qui a le goût de passer à autre chose. Un Québec qui a le goût de faire un bond en avant. Un Québec confiant, convaincu qu'il a les ressources et le talent pour embrasser l'avenir avec optimisme. Un Québec qui démontre une ouverture sur le monde et ses différentes cultures, soit, mais qui veut que l'on respecte ses valeurs profondes.
Les citoyens en ont ras le bol des vieux discours. Ils sont exaspérés de voir leurs politiciens toujours se plaindre, charrier du négatif et se chicaner pour la galerie. Ils veulent des engagements réalistes sur la santé, l'éducation, la famille et qu'une fois au pouvoir, les choses changent. Ils veulent des politiciens qui respectent leur parole une fois élus.
Humilité
Dans quelques jours, nous élirons un gouvernement. Ce gouvernement sera sous surveillance. Les élus, quels qu'ils soient, devront prendre fait et acte de cette lassitude. Ils devront reconnaître que notre société change et évolue à un rythme beaucoup plus rapide qu'ils veulent bien le reconnaître. Lorsqu'ils entreront dans leurs bureaux de l'Assemblée nationale, dans quelques semaines, ils devront se rappeler ce qu'ils auront entendu pendant la campagne. Ils devront laisser de côté l'arrogance et la prétention pour retrouver avec humilité, le sens de leur engagement politique et être à l'écoute des citoyens. Ils devront apprendre à parler vrai, à agir vrai.
La politique des dernières décennies s'est définie sous l'hégémonie d'un seul enjeu, la souveraineté. La campagne que nous venons de vivre aura peut-être permis de nous éloigner de ce cul-de-sac et de commencer à ramener au premier plan des débats de société de première importance pour notre développement humain, social, économique et culturel.
Les citoyens ont envoyé des messages clairs. Souhaitons que ceux et celles que nous élirons lundi auront compris ces messages et sauront comment passer de la politique spectacle à la politique réalité.
Professeure associée à l'Université de Sherbrooke et présidente du Canal Évasion. Liza Frulla fut députée libérale à l'Assemblée nationale et ministre de la Culture et des communications, puis députée à Ottawa, ministre du Développement social et ministre du Patrimoine.
Le miroir aux alouettes

Beaudoin, Louise
Le spectacle donné par le gouvernement canadien lors du dépôt du budget fédéral porte en lui-même toutes les contradictions du régime dans lequel nous vivons.
Car à quoi avons-nous assisté?
D'abord et avant tout à une nouvelle ingérence dans les affaires du Québec, dans la plus exclusive de toutes les compétences: l'élection. Le gouvernement Harper tente, avec son budget - c'est cousu de fil blanc malgré les démentis du ministre Michael Fortier - d'influencer le vote des Québécois.
Nous avons aussi assisté cette semaine à une nouvelle illustration du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, sans encadrement, sans limite aucune, sur fond d'absence de règlement du déséquilibre fiscal. Car si règlement il y a un jour, il viendra sous la forme d'un transfert de points d'impôt, sous la forme d'une entente durable, consignée, convenue et non pas via un décret temporaire et unilatéral du gouvernement fédéral.
"Astuce" d'Ottawa
Pour tout dire, nous avons été témoins d'une nouvelle "astuce" harpérienne. Déjà en mai dernier, nous en avions connu une première avec l'entente concernant la présence d'un fonctionnaire québécois dans la délégation canadienne à l'UNESCO, annoncée en grande pompe comme historique alors que, si monsieur Harper avait respecté sa parole, le Québec aurait obtenu un siège comme lors des Sommets de la francophonie et occupé sa place, dans cette enceinte internationale, sous l'appellation Québec-Canada, côte à côte avec le Canada. La seconde nous a été servie cet automne avec cette reconnaissance de la nation québécoise, une reconnaissance sans conséquence juridique et constitutionnelle. Nous en sommes donc à la troisième "astuce".
Enfin, plus grave encore, nous avons assisté à une nouvelle et cynique démonstration de la dépendance du Québec par rapport à Ottawa.
Ce qui nous ramène à l'essentiel: l'avenir politique du Québec ou comment sortir de cette dépendance? Nous avons le choix le 26 mars. Le Parti libéral du Québec nous propose, à son habitude, la résignation tranquille, l'Action démocratique de jouer dans un vieux film, vu et revu cent fois, celui de l'autonomisme. Or Mario Dumont connaît parfaitement l'irréalisme de sa position. Il sait que tout changement le moindrement significatif sur le plan constitutionnel ou plus largement dans les rapports Québec-Canada est tout à fait impensable, compte tenu aussi bien du carcan imposé en 1982 que de la dynamique inéluctable liée au mouvement de fond engagé dans le sens du nation-building à Ottawa. Sa voie est une voie de garage où il rejoint le PLQ. Les positions du PLQ et de l'ADQ ne portent en germe qu'une reddition du Québec dans un avenir pas si lointain.
Je sais que je n'étonnerai personne en affirmant que je préfère la solution nette et ferme mise de l'avant par le Parti québécois, celle de se donner un pays, mais je le redis parce que j'y crois, au delà des mirages à la mode qui ne reflètent que des horizons bouchés.
Ancienne ministre du Parti québécois, l'auteure est professeure associée au département de science politique de l'UQAM
Besoin d'oxygène

Laforest, Guy
Depuis le débat, M. Charest agit comme si le pouvoir lui était dû et comme un homme prêt à tout pour ne pas le perdre. Le PQ, de son côté, croit encore et toujours détenir la vérité sur notre destin. Tout cela finit par agacer. Le résultat du 26 mars sera d'abord un appel à l'humilité.
Cette modestie m'apparaît justifiée sur le terrain de l'autonomie. Disons-le sans mesquinerie, libéraux et péquistes ont fait plusieurs tentatives pour rendre le Québec plus libre. Leur succès sur ce terrain a été mince. Le virage proposé par l'ADQ: une réorientation stratégique. Tandis que le PLQ privilégie les demandes de reconnaissance du Québec par le Canada, et que le PQ transforme en dogme l'idée de l'indépendance "normale", l'ADQ choisit de commencer par un dialogue permettant aux citoyennes et aux citoyens du Québec de se reconnaître entre eux, dans une constitution proclamant les valeurs de notre communauté politique et les traits de notre identité nationale.
Les partis de Robert Bourassa et de René Lévesque y avaient songé, mais sans jamais passer des paroles aux actes. À qui appartient le droit, fondamental et immensément souverain, de définir les règles et les principes de l'appartenance à la communauté nationale québécoise? L'approche autonomiste de l'ADQ estime que ce droit, c'est à nous toutes et tous qu'il revient, bien plus qu'à la Chambre des Communes et incomparablement plus qu'aux pontifes de la presse anglophone du Canada qui ont un besoin criant de renouveler leur stock de connaissances sur notre société.
Et justement, que se passe-t-il au Québec en mars 2007, sinon une campagne vraiment passionnante où s'offrent de véritables choix touchant les dimensions socio-économiques, identitaires et constitutionnelles de notre vie collective? On dit que beaucoup d'intellectuels du Québec sont déprimés. Ils ont tort. Les dilemmes contemporains invitent plutôt à redoubler d'ardeur, comme l'ont fait avant nous les générations d'Étienne Parent, d'André Laurendeau et de Henri Bourassa. (Parlant de ce dernier, je respecte une promesse faite à un lecteur en corrigeant une erreur dans mon texte de jeudi dernier: "Nous ne sommes qu'une poignée, c'est vrai; mais à l'école du Christ, je n'ai pas appris à compter le droit et les forces morales d'après le nombre et les richesses".)
La campagne de 2007 fait du bien au Québec et je m'en réjouis. La semaine du débat a confirmé la tendance fondamentale de cette campagne: le coeur de l'action se trouve du côté de Mario Dumont et des idées de l'ADQ. Le budget fédéral n'a pas changé cela. J'ignore comment cette stimulante campagne se terminera lundi prochain. L'état d'esprit des gens qui veulent donner une chance méritée à l'ADQ est bien résumé par ces paroles d'une chanson de Diane Dufresne: "Donnez-moi de l'oxygène". Le Québec politique du printemps 2007 s'apprête à le clamer, ce besoin d'oxygène. Dans sa première souveraineté, trop souvent négligée, le peuple québécois veut une classe politique plus imaginative. Cela s'appelle aussi l'axe de la vie.
Professeur de science politique à l'Université Laval, l'auteur a été président de l'ADQ et candidat lors des élections de 2003.


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