Quels devoirs pour Pornhub?

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Il faudrait punir cette entreprise qui diffuse des viols de jeunes femmes


Souvent qualifié de « YouTube de la pornographie », Pornhub, qui a pignon sur rue à Montréal, est le site Internet pour adultes le plus visité dans le monde. Son succès repose en grande partie sur le libre accès des usagers aux contenus qui sont mis en ligne par des producteurs ou d’autres tiers. Annabelle Caillou rapportait dans Le Devoir du 9 mars que « chaque année, 6 millions de vidéos sont mises en ligne et génèrent plus de 42 milliards de visionnements ».


Pornhub et les autres sites semblables incarnent ce qu’est devenu Internet. Un réseau largement dominé par des méga-plateformes qui, souvent, ne décident pas directement elles-mêmes de la mise en ligne de contenus. Ces espaces virtuels sont configurés de telle façon que ce sont les usagers qui ont le loisir de partager des documents en les téléchargeant sur la plateforme. Un tel modèle investit le moindre internaute d’une importante capacité de diffuser toutes sortes de contenus. Appliqué aux contenus « pour adultes », le modèle révèle des côtés sombres.


Le 9 mars dernier, des manifestants ont souligné la Journée internationale des droits des femmes en dénonçant les abus qui seraient survenus sur la plateforme Pornhub. Des femmes, victimes de pornographie rancunière (« revenge porn »), dénonçaient la diffusion de vidéos les mettant en scène sur le site Internet sans que la plateforme ait pris soin de vérifier leur consentement. Un groupe de parlementaires incluant la sénatrice indépendante Julie Miville-Dechêne réclame la mise en place de mesures législatives afin de responsabiliser les plateformes intermédiaires dans lesquelles sont diffusées des vidéos à caractère pornographique.


À la différence des sites Internet exploités par des entreprises qui exercent la maîtrise éditoriale des contenus diffusés, les plateformes de type Pornhub sont des intermédiaires. Ceux qui décident de mettre en ligne les documents sont des tiers, des usagers individus aussi bien que des producteurs qui ont recours à ce type de plateforme pour promouvoir ou simplement « partager » leurs vidéos. Comment alors faire en sorte que de telles plateformes intermédiaires intensifient leurs vérifications ? Comment s’assurer qu’elles en font plus pour vérifier si les personnes qui apparaissent dans les documents téléchargés sur la plateforme ont effectivement consenti à y apparaître ? Comment garantir que les plateformes en feront plus afin de prévenir et surtout de supprimer le plus vite possible des contenus illégaux comme la pornographie rancunière ?


À la source du problème, il y a le fait que le cadre juridique de ce type de plateformes est structuré en partant du postulat que ce sont les usagers qui mettent en ligne les vidéos qui sont responsables de leurs contenus. C’est aux usagers des plateformes qu’incombe l’obligation de s’assurer du consentement des personnes figurant sur une vidéo.


Au regard des lois, la plateforme n’est pas la première responsable des contenus rendus ainsi disponibles. En Europe ou au Québec, la plateforme intermédiaire ne peut être tenue responsable des contenus délictueux qu’une fois qu’elle a connaissance de leur caractère illégal. Le cadre juridique qui prévaut aux États-Unis est encore plus protecteur des plateformes. Celles-ci bénéficient d’une immunité très étendue, qui les protège de pratiquement toute responsabilité dès lors que le contenu émane d’un tiers. Inspirées par un souci de ne pas transformer les plateformes intermédiaires en censeurs, la plupart des lois n’obligent pas les plateformes à vérifier les contenus avant qu’ils soient téléchargés sur Internet.


À ce jour, les lois canadiennes n’imposent pas aux intermédiaires de vérifier si les personnes qui apparaissent dans des vidéos ont effectivement consenti ou si elles ont effectivement l’âge légal exigé pour se retrouver dans de telles productions. Déposé fin janvier dernier, le rapport Yale recommande de revoir des lois canadiennes sur de tels enjeux après avoir constaté que « la facilité avec laquelle des contenus et des comportements préjudiciables peuvent être partagés et amplifiés à l’aide d’intermédiaires numériques, au détriment des normes de sécurité individuelle et des normes sociétales collectives, représente un défi de taille pour des organismes de réglementation et des législateurs partout sur la planète ».


Il n’y a pas que les plateformes de partage de documents pornographiques qui fonctionnent selon le modèle décrit plus haut. Les intermédiaires numériques forment une grande catégorie d’acteurs œuvrant dans une kyrielle de domaines allant de la vente d’objets usagés au partage de logements et qui utilisent la technologie pour faciliter ou gérer des relations entre utilisateurs et acheteurs et producteurs et vendeurs. Dans plusieurs pays, on convient de la nécessité d’agir afin que les plateformes en fassent plus.


Par exemple, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé, dans un livre blanc, son intention d’aller de l’avant pour implanter un nouveau régime de responsabilité et de surveillance pour les plateformes. On préconise de leur imposer des devoirs spécifiques pour assurer la sécurité des utilisateurs, en particulier les enfants. Un régulateur indépendant serait chargé d’établir des normes claires de même que des exigences plus étendues de reddition de comptes. Au Canada, ces questions relèvent à la fois de la responsabilité fédérale et des provinces.


Aux problèmes évidents posés par la pornographie rancunière et autres abus associés à la pornographie s’ajoutent ceux découlant de la violence, de la criminalité et des autres activités préjudiciables facilitées par les plateformes de partage de contenus sur Internet. Tout en évitant de transformer les plateformes en juges de ce que nous pouvons voir en ligne, les lois doivent imposer des devoirs plus explicites aux entreprises qui s’enrichissent en habilitant des milliers d’usagers à partager des images et des sons.




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