L’annonce de mesures destinées à protéger la viabilité financière des médias d’information, fragilisés notamment par le déplacement des revenus publicitaires vers les plateformes en ligne, en a fait sourciller certains. La viabilité de la fonction d’information libre et indépendante est une dimension pourtant fondamentale du système de gouvernement parlementaire. Des médias libres et capables d’assurer la production et la diffusion d’informations critiques sur les affaires de la collectivité sont essentiels aux équilibres démocratiques.
Les critiques des mesures gouvernementales annoncées récemment n’ont pas porté sur le retard des pouvoirs publics à mettre en place des mesures conséquentes pour assurer le passage au numérique en préservant les impératifs démocratiques. Pourtant, c’est la négligence à anticiper les mutations induites par les transformations numériques qui a fini par rendre urgente une telle intervention des pouvoirs publics. Faute d’avoir en temps utile songé à baliser les conditions du développement des plateformes en ligne, il faut aujourd’hui rattraper le retard engendré par des années d’indifférence.
Indépendance éditoriale
L’une des objections les plus souvent évoquées à l’égard de l’intervention gouvernementale afin de soutenir la vitalité des médias d’information est la crainte de les transformer en vassaux dociles du pouvoir politique. L’argument est bien connu : on ne mord pas la main qui nous nourrit. Si l’État accorde des ressources aux médias, la tentation sera forte pour celui-ci d’attendre des retours. Les médias aidés pourraient de leur côté être tentés de ménager un gouvernement qui les dorlote si bien !
C’est toutefois oublier que les médias publics — financés par les fonds publics — existent depuis le début du XXe siècle. On peut certes déplorer qu’il existe, dans certains pays, une troublante tradition de subordination des médias bénéficiant des soutiens publics. Mais le Canada s’inscrit plutôt dans la tradition britannique fortement attachée à l’indépendance éditoriale des médias. La BBC, le diffuseur public anglais, est universellement connue pour sa haute crédibilité et son degré d’indépendance élevé face aux pouvoirs politiques. En plus, des principes constitutionnels imposent que ces mesures soient conçues de façon à garantir la liberté éditoriale de tous les médias.
Hérité de cette tradition britannique, le principe de la liberté éditoriale n’est pas nouveau au Canada. Il est bien établi à l’égard des médias écrits et il est une donnée fondamentale de la réglementation des activités des radiodiffuseurs. Dès le début du XXe siècle, bien avant l’avènement des chartes des droits, la Cour suprême affirmait dans une décision portant sur des lois albertaines prétendant dicter aux journaux la teneur de leurs textes que les autorités publiques ne peuvent s’ingérer dans les processus de décision des médias. La Cour expliquait alors que les médias indépendants, capables de porter un regard critique sur les décisions gouvernementales, sont un rouage essentiel du système parlementaire de gouvernement.
Le principe de la liberté éditoriale réserve au diffuseur, à l’exclusion de toute autre autorité, le droit de décider des contenus qui seront diffusés. Ce principe découle désormais des garanties constitutionnelles de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et des autres moyens de communication énoncées à la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, il ne peut être mis de côté par une mesure gouvernementale. S’il advenait que les mesures d’aide compromettent l’indépendance des médias, les tribunaux pourraient être appelés à intervenir pour protéger la liberté éditoriale.