Confiner par cellulaire?

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Vers la banalisation du Big Brother permanent


Pour l’heure, les autorités canadiennes n’envisagent pas de réquisitionner les données générées par les téléphones portables pour assurer le respect des directives de confinement et disposer d’informations qui pourraient donner des indices sur l’évolution de la pandémie. Un tel confinement par les données émises par les dispositifs portables impliquerait une intrusion dans la vie privée contre laquelle les lois actuelles offrent peu de protection. Faute d’avoir prévu en temps utile la mise à niveau des lois, nous voilà exposés au risque d’usages abusifs des technologies fondées sur les données massives. Une fois le calme revenu, il sera urgent de prévoir des conditions strictes pour ceux qui fondent leurs processus décisionnels sur les données que tous génèrent dans le monde connecté.


La comparaison des mesures prises dans certains pays asiatiques avec celles mises en place en Europe révèle les différences dans les conceptions des droits des individus à leur vie privée et les limites qui peuvent leur être imposées au nom de la lutte au fléau collectif. À Taïwan, les autorités ont déployé ce qui a été désigné comme une « clôture électronique » qui analyse des données produites par les téléphones portables. Le système permet d’alerter la police si les personnes en quarantaine s’éloignent de leur adresse ou éteignent leur téléphone. Lorsque les données générées par l’objet connecté donnent à croire que la personne effectue un déplacement qui n’est pas conforme, les autorités peuvent intervenir. Il y a quelques jours, motivées par une vision différente des enjeux de vie privée, les autorités de l’Union européenne ont réclamé des fournisseurs de téléphonie mobile l’accès aux données agrégées des usagers afin de mieux comprendre et anticiper l’évolution de la pandémie. Il s’agit « d’analyser la densité de population dans le temps pour voir le lien entre les mesures de confinement et la propagation du virus, avec comme objectif clair d’anticiper les pics de contamination ».


Ces technologies fondées sur l’analyse des données produites par les objets connectés sont là définitivement. En ces temps de pandémie, on convient plus facilement qu’il est impossible de tout simplement les bannir. On constate qu’il existe des motifs légitimes d’avoir recours à de tels procédés pour protéger la santé publique. Bien sûr qu’ils mettent à risque nos libertés. C’est pour cela que leur usage doit être encadré.


Mais souvent, au lieu de réclamer des encadrements conséquents, on nous fait croire que les individus peuvent avoir le « contrôle » de leurs données personnelles. On nous sert des discours résignés sur la « société de surveillance » et on fait appel aux réactions individualistes en guise de réponse aux défis collectifs posés par les objets connectés. D’autres insistent sur des moyens technologiques qui peuvent être individuellement utilisés afin de tromper certains systèmes de collecte et d’analyse de données. Des bricolages techniques qui ne font que renvoyer aux individus le fardeau de répondre à des enjeux qui concernent la collectivité.


Assurer l’usage non liberticide des données


En cette période d’urgence, on voit en temps réel des usages bons et néfastes qui peuvent être faits des données générées par les appareils électroniques. Les usages des données de connexion dans des pays comme Taïwan et la Corée du Sud illustrent comment les données produites par chacun alimentent les processus décisionnels. Même sur notre continent, on a publié des cartes montrant, à l’aide des données captées des cellulaires, les déplacements entre des régions entières. La technologie est là, on peut choisir de laisser foisonner des usages non encadrés et possiblement liberticides et crier à la « société de surveillance ». Les processus décisionnels de plusieurs entreprises carburent depuis déjà longtemps aux données massives recueillies au fil des innombrables mouvements de tout un chacun. Il est plus que temps de se demander comment permettre l’usage des données à des fins publiques sans que la vie privée des individus y passe.


En temps de crise comme en temps normal, le recours aux données afin de comprendre les comportements n’est pas en soi liberticide. Cela le devient si on omet de faire respecter des limites claires quant à ce qui peut ou non être fait avec les données produites par les objets connectés. Pour que la vie privée soit possible, la vie elle-même doit être protégée. C’est justement ce départage entre les usages légitimes et ceux qui doivent être prohibés que les lois doivent expliciter.


Par défaut, les objets connectés produisent des masses de données qui peuvent alimenter des processus décisionnels. Sans encadrement adéquat, ces processus peuvent conduire à des décisions arbitraires. Les lois doivent encadrer les processus de décision qui font usage des données massives. À cet égard, il est absurde de fonder le droit d’usage des données sur le seul consentement individuel de chacun. Tant les autorités publiques que les entreprises privées doivent être tenues à de strictes obligations de transparence et de reddition de comptes pour tous leurs usages de ces données.


Face aux technologies de traçage des individus, les lois doivent fixer des limites efficaces et exiger la transparence des processus décisionnels. Ceux qui utilisent des données émanant de tous les individus munis d’objets connectés doivent être en tout temps tenus de rendre compte de leurs processus décisionnels. Ce qui est liberticide n’est pas tant l’usage des données dans des circonstances particulières et ciblées afin de prévenir un péril clairement déterminé. Le danger pour les droits et libertés découle de l’usage occulte, non supervisé ou mal régulé de ces outils technologiques. Les législateurs devront vite y voir lorsque le calme sera de retour.




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