Pourquoi font-ils tant de fautes ?

École - "le gâchis scolaire"


Les professeurs se perdront en efforts inutiles tant qu'une réforme en profondeur du système orthographique n'aura pas été faite. Archives La Presse
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En tant que professeur à l'Université d'Ottawa pendant 32 ans, j'ai eu à lire et à corriger de nombreux textes rédigés dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. J'ai aussi livré à l'intention des futurs traducteurs un cours intitulé "Grammaire et stylistique comparées du français et de l'anglais". J'ai enfin, en tant que linguiste et doyen de la Faculté d'éducation, participé à de nombreux débats concernant l'évaluation formelle de la qualité de la langue maternelle des étudiants des deux groupes linguistiques, compte tenu du fait que le problème semblait toujours plus aigu chez les francophones (dont de nombreux Québécois) que chez les anglophones.
Il serait peut-être bon, dans le débat entourant la piètre qualité du français écrit des futurs enseignants (et à vrai dire des étudiants francophones en général), de se demander pourquoi nos voisins anglophones ne passent pas leur temps à déchirer publiquement leur chemise devant les difficultés de leurs propres étudiants.
Deux codes
Au-delà de certaines différences culturelles quant à la perception qu'ont les deux groupes linguistiques de ce qu'est vraiment le bon usage de leur langue, il existe entre les deux codes orthographiques en particulier une différence si énorme qu'elle explique à elle seule une bonne part des difficultés des francophones, par rapport aux anglophones, dans la maîtrise de leur langue écrite. Il s'agit de ce qu'il est convenu d'appeler l'orthographe grammaticale, qui touche les innombrables suffixes dont on affuble les mots français pour exprimer des catégories telles que le genre, le nombre, le temps, le mode, la personne... Les fameuses règles d'accord du participe passé (il y en a plus de 50 dans Grevisse) font partie de ce système, dont la complexité est tout à fait disproportionnée par rapport à son utilité véritable dans la chaîne de communication.
En anglais, les suffixes grammaticaux, en plus d'être beaucoup moins nombreux qu'en français, sont toujours prononcés, ce qui est bien loin d'être le cas en français, et c'est ce qui explique une bonne partie des difficultés des francophones. Les règles d'accord du participe passé n'existent tout simplement pas en anglais, et en français elles sont inexistantes dans la grande majorité des énoncés oraux. Dans les phrases suivantes, la langue parlée ne fait aucun accord et la clarté du message ne s'en porte pas plus mal: les pommes que j'ai mangées; les violons que j'ai entendus jouer; les mesures qu'il a voulu prendre; les gens qui se sont vu refuser l'entrée. Dans la phrase "Toutes ces belles jeunes filles chantent", tous les mots écrits portent la marque du pluriel, alors que seul le démonstratif "ces" l'exprime à l'oral. En anglais, dans la phrase équivalente "All these beautiful young girls sing", seul le démonstratif "these" et le mot "girls" portent la marque du pluriel et dans les deux cas, elle se prononce.
Fouillis
Les efforts de simplification de l'orthographe lexicale (qui touche d'abord le noyau du mot: les consonnes doubles, les accents, les traits d'union...) sont très louables, mais il faudrait s'attaquer de front à ce fouillis qu'est l'orthographe grammaticale si on voulait vraiment économiser du temps et des efforts consacrés à ce sous-système linguistique au profit de l'enseignement de la capacité à organiser et à formuler clairement ses idées et les exprimer dans un vocabulaire riche et diversifié, adapté aux exigences de la communication.
Mais tant qu'il n'y aura pas une prise de conscience concertée du problème (qui devrait se faire, selon moi, dans une perspective globale de réforme en profondeur du système orthographique, comme l'ont fait les Allemands, les Espagnols...), on continuera, comme je le fais sans doute ici, à prêcher dans le désert, à subir l'esclavage des idées reçues, et à préférer corriger des fautes plutôt que simplifier notre orthographe.
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Pierre Calvé, Ph.D. (linguistique),
Gatineau


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