Paris Match

Pour célébrer les 400 ans de la fondation de la cité, Robert Lepage a transformé des silos en Moulin à images merveilleuses.

Québec 400e - vu de l'étranger

Par Mariana Grépinet
Une grosse cicatrice dans la ville », c’est ainsi que Robert Lepage décrit
les silos à grains de la Bunge. Un monstre de béton au milieu du Vieux-Port
de Québec qui masque le fleuve et les forêts des ­Laurentides. Lorsqu’on
propose à l’homme de spectacle d’apporter sa contribution aux festivités du
400e anniversaire de la ville, il a tout de suite l’idée « de le rendre
transparent pour l’enjoliver ». Et décide alors, avec l’aide des Français
de la compagnie ETC, de transformer son rêve en réalité.
Trois ans plus tard, le résultat est ­saisissant. Sur près de 600 mètres
de long, 50 mètres de haut et 30 mètres de large, son œuvre s’affiche comme
la plus grande projection architecturale au monde : gravures, dessins,
photos et ­vidéos se déploient, rythmés par la musique et des documents
sonores. Des ­illusions d’optique donnent l’impression que le building
bouge en trois dimensions, qu’une baleine surgit pour expulser un véritable
jet d’eau ou que l’immeuble s’enflamme... Tels des archéologues, les
membres de son équipe sont allés puiser dans les archives nationales,
l’Office national du film, et chez des collectionneurs privés pour créer
une sorte de grand dessin animé consacré à Québec. « Nous ne voulions pas
d’un documentaire, nous cherchions quelque chose d’impressionniste »,
analyse le chef du projet.
A 50 ans, Robert Lepage est un habitué des grosses machines et de la
démesure.
Il faut dire qu’il a commencé tôt. A 17 ans, il est reçu au conservatoire
d’art dramatique de Québec. Son enfance et son adolescence douloureuses –
une ­maladie le fait devenir chauve à 5 ans – le poussent vers la création.
« La trilogie des dragons » au théâtre en 1985 le fait connaître du grand
public. Il touche à tout : rock, cirque, opéra, cinéma avec l’adaptation de
sa pièce, « La face cachée de la lune », en 2003. Une consécration. « Le
mélange des genres est la seule chose qui entretient le dynamisme et
enrichit », explique-t-il. Il saute d’une discipline à l’autre avec
­aisance. Pour ce curieux, le Moulin à images se situe à mi-chemin entre le
cinéma et le spectacle pyrotechnique. « A l’instar d’un feu d’artifice, il
s’agit d’un événement ­public extérieur et grandiose. Nous y avons
construit des ­effets similaires à un point tel que je me suis parfois
surpris à emprunter aux artificiers leur ­vocabulaire, évoquant par exemple
des bouquets d’images. Notre plus gros défi, ce fut le son, précise Robert
Lepage. Pour qu’il atteigne l’autre rive en même temps que l’image, il faut
décaler cette dernière de deux secondes. » Tout le quartier est équipé de
haut-parleurs, créant une ambiance envoûtante pendant les quarante minutes
de spectacle. Lepage a pensé à tout : les touristes, depuis leur chambre
d’hôtel, les malades des hôpitaux peuvent profiter de l’intégralité du
spectacle puisque l’habillage sonore est diffusé en direct à la radio.
Céline et Reynald, 71 ans et 73 ans, qui assistent pour la deuxième fois à
la projection, s’enthousiasment : « C’est toute notre vie qui défile.
Lepage redonne chair au passé et magnifie l’espace. » Ambassadeur de cette
ville-capitale à laquelle Montréal fait souvent ombrage, l’artiste est né
et a grandi ici. C’est dans une ancienne caserne de pompiers offerte par la
municipalité qu’il a installé sa compagnie « de création multidisciplinaire
», Ex Machina. Adepte du travail collectif, il implique, rassemble et
consulte tous les acteurs de ses projets, dès le départ. Il aime tant que
ses créations restent inachevées qu’il jure que son Moulin à images va
changer au cours des prochaines semaines...
Ce qui ne déplairait pas à Régis ­Labeaume, le maire de Québec, qui a été
impressionné au point de suggérer d’en faire un spectacle permanent. De
garder sa forme tout en changeant le fond. ­Robert Lepage ne promet rien.
Pour l’heure, cet infatigable créateur reprend un opéra de Stravinsky à
Londres, prépare la mise en scène d’un spectacle avec la danseuse Sylvie
Guillem, qui mêlera danse, théâtre et kabuki, et réfléchit à son spectacle
de marionnettes géantes prévu à Hanoi en 2009. Où que vous soyez dans le
monde, il sera bien difficile d’échapper aux charmes de ce magicien !
« Le Moulin à images », à Québec, jusqu’au 24 août, tous les soirs à 22
heures.


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