Qu'est-ce qu'être québécois?

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Québec 400e - vu de l'étranger


Fraîchement débarqués ou natifs de la province, ils se sentent tous
porteurs d'une identité propre. Neuf Québécois nous expliquent leur
sentiment d'appartenance.
EMMANUELLE LANGLOIS

Propos recuelli par notre correspondante à Québec
"Le terreau de tout ce que je suis"
Véronique Nguyen-Duy, universitaire
«Je suis québécoise sans jamais y penser. J'ai été élevée dans un quartier
de Montréal où toutes les couleurs, les odeurs et les confessions se
confondaient en une même pauvreté. La quête collective du Québec, tour à
tour triomphante et désenchantée, n'a jamais porté atteinte à ma confiance
identitaire. Rien, ni mon sexe, ni mon âge, ni mes origines vietnamiennes,
ne m'ont empêchée d'avancer sur le territoire immense de ce pays imaginé.
Quand on décide de vivre au Québec, le plus important est de s'intégrer à
la société. S'il faut pour cela édulcorer la culture d'origine, alors
élaguons. Je comprends que la première génération n'abandonne pas tout,
mais elle doit accepter l'identité québécoise de laquelle se réclameront
leurs enfants. Ceux qui le refusent ne devraient pas s'expatrier. Notre
identité est celle que nous nous forgeons. Je ne suis pas québécoise parce
que j'aime le Québec mais par ce que j'aime au Québec. Le Québec, sa
culture, sa langue, ses particularités charmantes ou exaspérantes, ses
possibilités et ses limites, est le terreau de tout ce que je suis, de tout
ce pour quoi je vis et, aussi, de tout ce pour quoi je pourrais peut-être
mourir.»
«Les valeurs judéo-chrétiennes»
Geneviève Bergeron, mère au foyer
«Etre québécois n’est pas une identité politique, c’est une identité
culturelle : nous sommes les seuls à parler français dans un océan
d’anglophones. Qu’on ait la peau foncée ou les yeux bridés importe peu. Le
Québécois n’est plus seulement un descendant des colonisateurs français.
Nous accueillons les nouveaux arrivants les bras ouverts et nous respectons
leur culture. Ils doivent faire la même chose avec la nôtre. La religion
catholique reste omniprésente au Québec. Les valeurs judéo-chrétiennes font
partie de nous et refuser de voir le crucifix trôner sur le mur de
l’Assemblée nationale, c’est manquer de respect au peuple québécois. Le
gouvernement du Québec favorise l’immigration francophone, je ne vois pas
en quoi cela peut-être discriminant. Les anglophones au Québec sont
québécois. Mais leur langue n’est pas en péril et c’est ce qui fait toute
la différence.»
«Vivre dans une société tolérante»
Roggy Drouinaud, chimiste, d’origine haïtienne
«Certains immigrants, qui ont épousé un(e) enfant du pays ou qui vivent en
immersion totale, ont adopté les références du Québec. Ce n’est pas mon
cas. Mes parents ont toujours veillé à me transmettre leurs valeurs
haïtiennes. Il me manque plusieurs références culturelles : aucun de mes
oncles ne va chasser le caribou et mon père ne m’a jamais emmené pêcher des
saumons sauvages dans le Nord du Québec... Mais être québécois, c’est vivre
dans une société tolérante où la couleur de peau n’a aucune importance.
J’ai du mal à croire qu’on puisse avoir des difficultés à s’intégrer dans
cette société.»
«Avoir tous les mêmes droits»
Emmanuelle Péquin, administratrice artistique au sein de l’orchestre Les
Violons du Roi
«Je vis au Québec depuis dix ans, et j’ai obtenu la nationalité canadienne
il y a quelques années. Je me sens bien dans ce pays, mais je reste très
attachée à la France. J’y retourne une à deux fois par an pour voir ma
famille. Au Québec, lorsque j’ouvre la bouche, les gens savent
immédiatement que je ne suis pas québécoise. Je reste perçue comme une
Française qui vit au Québec et c’est sans doute ce que je suis. Je suis
venue ici pour finir mes études. Mon diplôme en poche, j’ai tout de suite
trouvé un emploi que j’aime toujours autant. C’est ici que sont mes amis et
que j’ai rencontré ma compagne. Tout me semble plus facile au Québec,
notamment en ce qui concerne l’homosexualité. Le Québec offre les mêmes
droits à tous en terme d’union, de procréation assistée, etc. La grande
liberté et la grande tolérance qui règnent au Québec sont quelque chose
d’extraordinaire.»
«Etre étrangère sur ma propre terre»
Caroline Nepton-Hotte, journaliste
«Je me sens écartelée entre deux identités, deux "moi". Je suis métisse,
membre de la communauté innue (deuxième communauté autochtone du Québec en
terme de population, ndlr). Je ne m’inclus pas quand j’évoque les
Québécois, je parle d’"eux". J’ai davantage d’amis autochtones et
étrangers, comme si nous partagions une sensibilité au déracinement. Être
québécois, ça veut peut-être simplement dire que j’habite dans cette
province, qu’on partage une même langue et que certaines de mes références
culturelles sont communes avec celles des Québécois. J’ai le sentiment
d’être une immigrante sur ma propre terre. Je peux comprendre l’attachement
des Québécois à la forêt, lié à leur histoire. Mais pour les autochtones,
le territoire c’est ce lieu de ressourcement et de guérison qui a assuré
leur survie. Les Innus et la communauté dont je suis membre, Mashteuiatsh,
revendiquent certaines terres dans la région du Lac Saint-Jean afin
d’assurer leur développement social et économique. Des familles québécoises
pourraient alors perdre certaines terres ou voir leurs droits restreints.»
«Vivre en communion avec la nature»
Donovan Moses, animateur à Radio-Canada
«Je suis Cri, et j’en suis fier, et je le suis aussi de vivre dans cette
province. Les Cris et les Québécois ont des points communs : ils veulent
sauvegarder leur langue et leur identité. La bataille du français au Québec
est quelque chose de très important ici. Les Cris ont une approche
similaire avec leur culture et leur langue. Nous avons préservé nos
traditions. Je vis à Montréal, mais chaque fois que je retourne dans ma
communauté d’Eeyou Istchee (territoire de la nation Cri de la région de la
Baie James - Nord québécois), je vais à la pêche ou à la chasse et je vis
en communion avec la nature. C’est un ressourcement nécessaire. Nous
parlons cri ainsi que le français et l’anglais. Mais nous avons pris
l’habitude de parler anglais, même entre nous, et nous devons veiller à ce
que notre langue ne disparaisse pas.»
«Il faut veiller à protéger l’anglais»
Geoffrey Kelley, député
« Je ne suis pas seulement québécois, je suis canadien. L’un ne va pas
sans l’autre. Il serait plus simple de dire que j’habite à Montréal. La
communauté anglophone du Québec est très hétérogène : à Montréal, il y a
des anglophones de la communauté juive, mais aussi des descendants des
Anglais ou des Irlandais. Sans oublier les nouveaux arrivants anglophones.
Si on mettait tous les anglophones du Québec sur un bateau en direction de
la Louisiane, il resterait toujours des anglophiles pour parler la langue
de Shakespeare. Il faut distinguer la vitalité de l’anglais dans le monde
de la force de l’anglais au Québec. Ici, l’anglais est menacé dans les
régions. Les communautés sont tellement fragiles qu’il est difficile de
trouver des livres en anglais, de rencontrer un médecin maîtrisant cette
langue ou d’aller dans une école anglophone. La situation est très
inquiétante. Le gouvernement doit absolument veiller à protéger les
services essentiels en anglais pour que les anglophones du Québec puissent
continuer à vivre dans leur langue.»
«J’ai voté deux fois oui à l’indépendance»
Richard Lacroix, artiste peintre et graveur
«Je suis un des descendants de Louis Hébert, reconnu comme le premier
cultivateur d’Amérique du Nord, arrivé sur les rives du Saint-Laurent en
1608 pour fonder Québec. Ma famille a toujours été enracinée sur ces terres
ancestrales. A 22 ans, j’ai fait le choix de voyager. Mon regard s’est tout
naturellement tourné vers la France d’où venaient mes ancêtres normands. En
1961, je suis allé vivre à Paris. Marié à une Française, j’avais envisagé
d’y rester. Mais, en 1963, l’appel de «La révolution tranquille» au Québec
a été le plus fort. Le retour à Montréal fut un choc. Tout était à faire.
La souveraineté du Québec m’est une évidence souhaitable. On ne doit y
parvenir ni par la violence ni par un quelconque procédé anti-démocratique.
J’ai voté oui lors des deux référendums sur l’indépendance du Québec (en
1980 et 1995) et si on devait le refaire je continuerais dans cette voie.
Pour certains, cela peut paraître utopique, mais je suis persuadé qu’une
reconnaissance formelle de la souveraineté va finir par s’imposer avec le
temps comme une évidence.»
«Nous sommes tournés vers le reste du monde»
Denys Boucher, ingénieur dans le secteur de l’aluminium
«Je suis déçu que le mot Américain désigne uniquement les habitants des
Etats-Unis car c’est celui que j’utiliserais pour me définir. A défaut, je
suis québécois : je suis canadien mais je possède une valeur ajoutée, car
je vis en français. Mais les Québécois sont tournés vers le reste du monde
: tous les jeunes de mon âge maîtrisent l’anglais. Au sein de mon
entreprise, nous avons moins de hargne à l’égard de nos collègues
anglophones que nos parents. Mais il n’est pas certain que nous réussirons
à défendre notre langue. Pourrons-nous faire face si le raz-de-marée
anglophone continue ? Je n’en suis pas sûr. En revanche, certaines de nos
valeurs me paraissent immuables, notamment notre attachement à la nature :
la puissance de nos rivières, les forêts de sapins qui s’étendent à perte
de vue sont une fierté. Si on s’éloigne d’une centaine de kilomètres d’un
centre-ville, on se retrouve au milieu de nulle part et on touche à la
virginité de l’espace. Je m’enorgueillis d’être québécois et de pouvoir
vivre des émotions aussi intenses.»


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