Le fondateur de Québec est un héros méconnu, estime Raymonde Litalien*, conservatrice honoraire des archives du Canada.
Que se passe-t-il exactement en 1608 sur les bords du Saint-Laurent ?
Samuel Champlain fait bâtir une « habitation » destinée à servir de poste de traite pour la fourrure à Québec, « là où le fleuve se rétrécit », en algonquin. Dans les textes qu'on a retrouvés sous sa plume, il anticipe que de là naîtra une ville qui sera un jour la capitale d'un empire français en Amérique. Il a repéré le site lors de son premier voyage sur le Saint-Laurent en 1603 pour ses attraits : un carrefour de rivières, des fortifications aisées à bâtir, de la vigne à proximité et des terres cultivables sur l'île d'Orléans. Mais, en 1604, c'est à Sainte-Croix qu'il tente d'installer un établissement, car la côte de l'Acadie est plus facilement accessible toute l'année par bateau. L'arrivée des Anglais sur la côte de l'actuel Maine l'oblige à se déplacer vers l'ouest. A Québec, donc.
Quel est alors l'objectif de la France ?
D'abord, développer une colonie qui vive du commerce des fourrures. Ensuite, trouver la route qui, croit-on, mène vers la Chine : ce sera l'obsession de Champlain jusqu'à sa mort. A cette fin, il s'enfoncera plus avant dans le continent, jusqu'aux Grands Lacs, mais sans mesurer pour autant son immensité.
Du personnage, que sait-on ?
On le connaît par ses nombreux écrits. Pourtant, sa vie privée est pleine de zones d'ombre. Ce qui donne le champ libre à toutes les remises en question. Il dit qu'il est né à Brouage d'un père capitaine de navire, mais on n'a pas retrouvé son acte de naissance. Pour expliquer l'intérêt qu'Henri IV lui a porté, un historien américain, David Hackett Fischer, vient d'avancer, par exemple, l'hypothèse farfelue qu'il serait l'un de ses bâtards ! Dessinateur, cartographe, excellent marin - il traverse 25 fois l'Atlantique - c'est un explorateur visionnaire qui prévoit l'importance que pourrait prendre ce territoire pour l'Etat qui y assoira son autorité.
Ce ne sera pas la France. Pourquoi cet échec ?
Les ressources de la colonie s'épuisent, car la mode des fourrures décline en Europe au début du xviiie siècle. Et puis la France a ouvert un territoire beaucoup trop vaste avec des postes et des lignes de communication trop distendus. A posteriori, il apparaît clairement que la colonie n'a pas été bâtie sur des fondations durables. Les Anglais, eux, sont restés sur la côte, ce qui leur a permis de consolider leur implantation.
Champlain, le père de l'Amérique française ?
Oui. C'est lui qui est à l'origine de l'arrivée de la première famille de colons, en 1617. C'est la souche du peuplement français en Amérique du Nord. Les familles acadiennes, elles, n'arriveront qu'un peu plus tard, en 1627. Un an après la mort de Champlain (en 1635), on compte 400 habitants à Québec.
Pourquoi est-il si méconnu en France, cependant ?
Comme tant d'autres explorateurs et d'administrateurs de la Nouvelle-France... Un Etat n'enseigne pas ses défaites à ses enfants. C'est pourquoi la France a éliminé cette histoire-là de sa mémoire. J'évoquerai une autre raison, plus contemporaine. Dans les années 1960, la France est en pleine décolonisation : pourquoi alors se rappeler son empire américain ? D'autant qu'il fut un projet positif, en tout cas moins cruel à l'égard des autochtones que celui des Espagnols et des Portugais. Dans votre débat actuel sur les bienfaits de la colonisation, je suis toujours frappée qu'il n'y ait jamais d'allusion à l'empire colonial français en Amérique du Nord.
***
* Raymonde Litalien a codirigé Champlain, la naissance de l'Amérique française (Septentrion, 2004) et La Mesure d'un continent (Presses de l'université Paris-Sorbonne et Septentrion, 2007).
***
Jean-Michel Demetz
400 ans de Québec
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé