Pas de censure

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C-10 - "code de vie" puritain et censure



L'actuelle Loi de l'impôt, que vise à modifier le projet de loi C-10 à l'étude au Sénat, oblige actuellement le ministre à délivrer un «certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne» à toute personne qui en fait la demande afin de bénéficier d'un crédit d'impôt, c'est-à-dire d'une subvention gouvernementale, au moins indirecte.

Cela veut dire que l'État se trouve à subventionner toute production canadienne, quelqu'en soit son contenu, même si ce contenu est en violation flagrante du Code criminel ou s'il est contraire aux valeurs considérées comme «d'ordre public» dans la société. Cela place le ministre dans un curieux dilemme.
La liberté d'expression garantie par la Charte canadienne n'est pas absolue. De nombreuses limitations sont prévues au Code criminel et dans d'autres législations et elle ont été jugées légitimes par les tribunaux au sens de l'art. 1 de cette même Charte. C'est le cas, par exemple, des publications obscènes qui ne servent pas «le bien public»; c'est le cas des représentations de pornographie juvénile; c'est le cas de la propagande haineuse ou incitation publique à la haine, de l'encouragement au génocide, etc.
Des oeuvres qui enfreindraient le Code criminel et donneraient lieu à des poursuites et condamnations auraient néanmoins été subventionnées par l'État! D'autres oeuvres pourraient, sans être directement contraires au Code criminel, véhiculer un contenu qui offense les valeurs dominantes de notre société; songeons par exemple à des oeuvres qui feraient l'apologie du terrorisme, du racisme, de la prostitution, de l'eugénisme, du tabagisme, de la violence, des sports extrêmes, du suicide etc...
La liberté d'expression constitutionnalisée par la Charte confère le droit de transmettre tout message non violent qui n'est pas contraire au Code criminel, mais elle ne confère pas le droit d'être subventionné par l'État pour produire et livrer ce message. La jurisprudence canadienne a consacré surtout une conception négative de cette liberté, référant à d'autres dispositions l'imposition à l'État d'obligations positives, comme la facilitation du droit de vote ou de l'expression électorale, la protection des minorités de langues officielles... (...)
Il nous paraît évident que le fait de ne pas subventionner une oeuvre n'a rien à voir avec la censure. L'auteur est entièrement libre de produire son oeuvre et de faire face aux conséquences qui s'en suivront.
Par ailleurs, on peut même se demander si en facilitant, par des subventions, la production d'oeuvres qui véhiculent un contenu contraire à l'ordre public, l'État n'est pas en pleine contradiction avec lui-même. Certains pourraient même soutenir qu'il a un devoir moral de ne pas subventionner de telles oeuvres.
Véritable débat
Le véritable débat n'est pas une affaire de droit constitutionnel ou de liberté d'expression, mais une question de droit administratif relative au bien-fondé du pouvoir discrétionnaire du ministre, à l'encadrement de ce pouvoir, à l'équité procédurale. Le fait d'accorder à une autorité publique un certain pouvoir discrétionnaire en matière de subvention ou d'aide publique n'est pas inusité et peut se justifier. Ce qui est alors souhaitable c'est que des normes ou critères suffisamment précis soient prévus afin d'assurer une transparence ou une motivation satisfaisantes.
Dans le projet de loi C-10, il est prévu que le ministre «publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées aux alinéas a) et b) de la définition de «certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne» au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires».
Cela est certes un bon début. Normalement, c'est par ces directives que les citoyens apprendront comment se conformer aux exigences de «l'ordre public». Et c'est au regard de ces directives que la décision sera motivée et pourra être contestée.
Quant aux exigences de l'équité procédurale, elles ne sont généralement pas très explicites en matière de subventions ou d'aide financière publique. Au surplus, il s'agit aussi ici d'une décision qui a un aspect fiscal (refus d'un crédit d'impôt), mais prise par une autorité autre que Revenu Canada. Pour les décisions à caractère fiscal, la Loi de l'impôt prévoit un mécanisme de révision ou d'opposition à une cotisation éventuelle et le droit de faire appel à la Cour canadienne de l'impôt.
Cependant, il serait préférable que face à un refus de certificat du ministre de Patrimoine Canada, la Loi prévoie un mécanisme de révision et un droit d'appel devant un Tribunal administratif, comme par exemple le CRTC , ou encore la Cour fédérale.
Il y a toujours un risque que les décisions administratives soient arbitraires ou ne respectent pas les principes et règles du droit administratif, mais ce risque est inhérent à tous les contextes administratifs. Voilà pourquoi il faut prévoir des mécanismes de révision et des recours au chapitre de ce qu'on appelle la justice administrative.
Isabelle Blais, Sylvie Drapeau et Angèle Coutu. (Photo Robert Mailloux, La Presse)
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Patrice Garant

L'auteur est professeur de droit public à l'Université Laval.


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