Texte publié dans L'Aut'journal le jeudi 19 février 2009
Saint-Prime au Lac-Saint-Jean, la compagnie AbitibiBowater exige de ses 85 employés, sous menace de fermeture de son usine de bois d'ingénierie, qu'ils produisent 160 000 pieds de bois par quart de travail. S'ils ne réussissent pas à le faire, ils doivent continuer à travailler sans être payés, même si la cause de leur incapacité à atteindre l'objectif fixé résulte de bris d'équipements désuets.
Ce chantage éhonté émane de la plus grosse entreprise de papier journal en Amérique du Nord. Fruit de la fusion de la canadienne Abitibi-Consolidated et de l'américaine Bowater, la nouvelle entreprise a hérité de 6 milliards de dettes et doit rembourser cette année 700 millions en intérêts.
Pour faire face à ses obligations, AbitibiBowater procède à une liquidation d'actifs. La plupart de ses papetières n'ayant pas été modernisées, les actifs les plus intéressants demeurent les installations hydroélectriques. C'est le cas en Ontario, mais également au Québec où la rumeur veut que la compagnie procède à la vente de barrages d'une capacité de 385 mégawatts et dont la valeur serait de 1,5 milliard de dollars.
L'exemple de Dany Williams
En Ontario, AbitibiBowater a un acheteur pour les 137 mégawatts de ses installations d'Iroquois Falls et Fort Frances, mais l'entreprise torontoise Brookfield Asset Management n'est pas intéressée à vendre l'électricité pour alimenter les papetières. Elle sait qu'elle peut obtenir beaucoup plus sur le marché de l'énergie.
Toutefois, l'approbation de la ministre ontarienne des Ressources naturelles, Donna Cansfield, est nécessaire pour le transfert des droits d'hydroélectricité. Si elle refuse, AbitibiBowater menace de se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers et de procéder à la fermeture des papetières.
En réaction à ce chantage, les travailleurs ontariens exigent de la ministre qu'elle suive l'exemple du premier ministre terre-neuvien Dany Williams, qui a exproprié les actifs hydroélectriques et les droits de coupe d'AbitibiBowater en réponse à la décision de la compagnie de fermer son usine de Grand Falls-Windsor.
Le contre-exemple de Raymond Bachand
Au Québec, AbitibiBowater possède sept usines et scieries au Saguenay-Lac-Saint-Jean dont les installations hydroélectriques ont une capacité totale de 175 mégawatts, alors que celle de Baie-Comeau a une capacité de 350 mégawatts. Précisons que cette dernière appartient à 40 % à Alcoa.
Déjà, des vautours sont aux aguets pour dépecer les actifs de la compagnie et mettre la main sur les installations hydroélectriques. Si les propriétaires privés de petits barrages rôdent dans les parages, ce n'est certes pas dans le but de continuer à alimenter les papetières en électricité. Leurs intentions ressemblent plus à celles de Brookfield en Ontario.
Rio Tinto Alcan et Alcoa sont aussi intéressées par les installations situées près de leurs usines au Saguenay et sur la Côte-Nord, et Alcan mise sur la présence au conseil d'administration d'AbitibiBowater de deux de ses anciens p.d.-g., Jacques Bougie et Dick Evans.
AbitibiBowater ne peut céder, transférer ou autrement aliéner les droits qui lui ont été consentis à moins d'avoir obtenu l'autorisation du gouvernement, mais l'attitude de ce dernier dans le cas de la fermeture de l'usine de Donnacona d'AbitibiBowater au début du mois de décembre 2007 n'a rien de rassurant. Le ministre responsable du Développement économique, Raymond Bachand, a alors admis que le gouvernement avait sacrifié la relance de l'usine de Donnacona en échange de la promesse de la compagnie de maintenir ses activités aux usines de Dolbeau et de Grand-Mère.
Par ce geste, le gouvernement autorisait AbitibiBowater à se désengager de son obligation d'exploiter de façon continue l'usine de Donnacona jusqu'en 2011. Cette obligation avait été contractée en 1998 en échange d'un investissement de 36 millions de dollars dans l'usine pour sa modernisation par la Société de développement industriel du Québec.
Prendre la Finlande comme modèle
Les effets dévastateurs du contrôle étranger sur la forêt, une de nos principales ressources qui génère plus de 100 000 emplois au Québec, sont mis en lumière lorsqu'on compare notre situation à celle de la Finlande.
Dans un dossier publié dans le magazine «Report on Business» du Globe and Mail (décembre 2007), le journaliste Konrad Yakabuski soulignait que la Finlande, un pays plus petit que le Québec avec à peine 5,3 millions d'habitants et où les arbres ne poussent pas plus vite qu'ici, comptait trois entreprises parmi les dix géants de l'industrie forestière mondiale.
Le Canada, rappelle le journaliste, est toujours le plus grand producteur de papier journal au monde, mais à peine 7 % de ses moulins à papier sont dans le quartile le plus productif.
Yakabuski souligne qu'une des trois plus grandes entreprises de construction de machine à papier est finlandaise. Au Canada, il n'y a même pas d'entreprise de fabrication de machines à papier.
Pour la nationalisation des barrages
En l'absence d'une véritable politique forestière, on a laissé les entreprises, en majorité étrangères, pratiquer une politique de pillage caractéristique de l'exploitation du Tiers-Monde et de chantage auprès des ouvriers, comme c'est le cas à Saint-Prime.
Aujourd'hui, AbitibiBowater veut disposer à son propre profit des barrages qui n'ont pas été inclus dans la nationalisation de l'électricité en 1962, tout comme ceux de l'Alcan, parce qu'ils étaient affectés à un projet industriel bien précis. Le gouvernement doit intervenir et l'empêcher de le faire.
Si AbitibiBowater veut s'en départir, les installations hydroélectriques doivent être nationalisées et servir de leviers pour le développement d'une véritable politique énergétique et forestière.
Notre eau, notre énergie, nos forêts!
Ne permettons pas qu'on humilie nos travailleurs
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