Régime forestier - Du principe à la réalité

Industrie forestière en crise

Dix ans après la sortie du film-choc de Richard Desjardins, L'Erreur boréale, et cinq ans après la publication du rapport de la Commission d'étude sur la gestion de la forêt, communément appelé «rapport Coulombe», le ministre des Ressources naturelles, Claude Béchard, présente un projet de loi qui vient modifier le régime forestier. Bien accueilli dans l'ensemble, ce projet ne fournit pourtant pas l'assurance que le Québec s'apprête à prendre le virage radical nécessaire pour une exploitation ordonnée vraiment durable de la forêt publique.
Dans la série de deux textes publiés hier et aujourd'hui dans nos pages, le chanteur et documentariste à ses heures Richard Desjardins dénonce l'absence de progrès dans la gestion des forêts du Québec depuis la sortie de son film, il y a dix ans. Pourtant, bien des choses ont changé dans le paysage forestier entre-temps, dont cette crise économique qui a décimé les exploitants de bois d'oeuvre et qui s'étend maintenant aux papetières.
La crise, qui a entraîné la fermeture de dizaines d'usines et la mise à pied de milliers de travailleurs, teinte aujourd'hui de doutes la réforme du régime forestier proposée par le ministre Claude Béchard.
Le projet présenté hier propose d'accorder plus de responsabilités à des commissions régionales où les compagnies siégeraient aux côtés des autorités locales, de viser un meilleur équilibre entre l'exploitation du bois et les autres usages comme le tourisme, la chasse ou la pêche, d'introduire une Bourse du bois pour fixer le prix d'une partie de la matière ligneuse qui serait désormais disponible pour la fabrication de produits à valeur ajoutée, de définir des zones de sylviculture intensive et des «forêts de proximité» confiées aux communautés locales ou autochtones.
Dans cette vision plus moderne d'un développement que l'on qualifie d'«intégré» et de «durable», le gouvernement Charest entend donc faire plus de place aux nombreux acteurs de cette industrie, notamment aux représentants régionaux, pour sortir de ce qu'on a qualifié de la «culture du 2 X 4». La question est de savoir si cette volonté politique se traduira dans les faits. Or, on nous permettra d'en douter.
Non pas que le nouveau régime forestier soit hors champ, au contraire, il va dans le bon sens. Le problème, c'est que la crise actuelle place l'industrie forestière dans un rapport de force inégalé avec les pouvoirs politiques. Celle qui a surexploité la ressource de façon scandaleuse pendant des décennies avec la complicité des politiciens obtient aujourd'hui l'appui solide des syndicats et des élus locaux pour continuer à puiser dans la ressource en la payant de moins en moins cher. Comme le rappelle Desjardins avec raison, sous prétexte de difficultés financières dont elle est pourtant la seule responsable à cause de son incurie et de sa cupidité passées, l'industrie a récemment obtenu de ne plus avoir à payer elle-même pour l'ouverture et l'entretien des chemins forestiers, pour combattre les incendies et même pour reboiser les zones exploitées. Et comme si ce n'était pas assez, voilà qu'elle exige désormais qu'on lui donne, ou presque, la matière ligneuse.
Si les compagnies de papier ne font plus d'argent au Québec, c'est qu'il se vend moins de papier dans le monde, mais aussi qu'elle subit la concurrence d'usines beaucoup plus productives. Et si le bois du Québec coûte cher, ce n'est pas parce que les gouvernements sont trop voraces, mais parce que les compagnies elles-mêmes ont agi en prédatrices insouciantes de l'avenir. Malgré l'effort promis par Québec pour corriger ces erreurs du passé, le risque d'assister à la poursuite du pillage de la ressource par les exploitants forestiers est énorme, avec la complicité, cette fois, des élites locales, dont l'impatience est exacerbée par la crise et le chômage.
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j-rsansfacon@ledevoir.com


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