Ces deux expressions laissent entendre que plusieurs cultures cohabitent au Québec: "multi" l'affirme d'une façon grossière, "inter" d'une façon plus subtile. Il n'y a et ne doit avoir au Québec, comme aux États-Unis, comme en France, et presque partout ailleurs, qu'une seule culture nationale que nous avons tous le devoir de consolider et d'enrichir. Notre Québec est multiethnique depuis toujours et pour son plus grand bien. Les nouveaux arrivants ont bien sûr une culture d'origine propre qui les marquera pour longtemps sinon pour toujours, mais ils ont une obligation impérieuse de devenir "nous" le plus rapidement possible. Par la langue d'abord et, plus largement et progressivement, par la culture. Dans plusieurs pays, on ne peut devenir citoyen si l'on ne partage pas la langue et les valeurs communes.
Jusqu'à ce jour et à divers degrés, tous nos gouvernements contemporains ont pratiqué la convergence culturelle. Elle consiste, comme son appellation claire l'indique, à amener les immigrants à se joindre au tronc culturel commun. Plutôt qu'à chercher à préserver leur culture d'origine comme s'ils n'avaient pas changé de pays, et pire, à exiger des pouvoirs publics qu'ils les aident dans cette mission. En venant ici ils acquièrent les mêmes droits et libertés que nous, dont celle de religion en particulier, mais rien de plus en tant qu'immigrants.
Cependant il est normal qu'au plan personnel et dans leur vie privée, nos nouveaux compatriotes soient marqués par leurs racines. Normal aussi qu'ils nous transmettent en douceur et de façon consensuelle, certains de leurs usages susceptibles d'enrichir les nôtres. Quelques exemples simples et concrets. Nos étés sont agrémentés d'innombrables "méchoui". On ne connaissait ni le mot ni la chose avant cet apport intéressant de nos concitoyens d'origine maghrébine. Les terrasses de café, incontournables aujourd'hui étaient naguère totalement interdites. Il y a de la France, de l'Italie et de "la vieille Europe" là-desous. Notre gastronomie contemporaine regorge aussi d'enrichissement exotique dont personne ne se plaint.
On est loin de l'incapacité, de plus en plus répandue, voire du refus de parler français. Loin aussi de la récusation d'un fonctionnaire en raison de son sexe, du policier à turban, de la fonctionnaire voilée, du professeur à kippa dans une institution publique laïque, des fenêtres givrées, du déneigement pertubé ou des normes de constructions contournées. Bref, on est loin des accommodements déraisonnables qui entravent la culture commune en plus d'enfreindre des droits fondamentaux.
Bouchard-Taylor, malgré certains services rendus, ont raté globalement leur mission. Même le titre du rapport, "Le temps de la conciliation" est aussi faux qu'insultant. Si nous avons péché depuis des siècles, c'est bien d'avoir été trop conciliants. Comme leur rapport est allé à la "filière numéro 13" selon l'expression de Parizeau, il ne nous a pas trop nui jusqu'ici. Son flirt avec le multiculturalisme canadien est bien illustré par la voie de l'un de leurs experts qui a dit de l'interculturalisme que c'est pratiquement la même chose.
Il est donc clair que la réflexion reste à faire. Les défenseurs de l'interculturalisme doivent réaliser qu'ils prennent des riques équivalents, et donc très néfastes, à ceux du multiculturalisme. Soyons simples, pour qu'inter et multi aient un sens, il faut plusieurs cultures en présence. Cela implique qu'on doive les pratiquer et, implicitement, encourager leur résilience. C'est la voie royale pour le communautarisme, les ghetto et les clans. Nous sommes déjà allés trop loin dans ce sens.
Il y a à cela des raisons historiques valables, et le tout fut fait de bonne foi et dans un esprit d'ouverture. Mais est-il normal que des hôpitaux publics et des écoles financés par nos taxes, gardent de fortes empreintes religieuses ou ethniques. Ces situations sont très difficiles à corriger, au moins n'allons plus jamais refaire les mêmes erreurs. À ce chapitre, les défusions montréalaises, faites largement sur des bases ethnolinguistiques, constituent un recul déshonorant. Nous avons le devoir de combattre toutes les formes de discriminations et d'exclusions et de ne jamais les favoriser par nos lois et institutions municipales ou autres.
Il faut nous rapprocher les uns des autres. Il est dans l'intérêt de tous d'avoir une solide culture commune. Notre patrie, c'est le Québec. Nous n'avons qu'à l'aimer ensemble et la rendre meilleure: nous rendrons ainsi oiseuses bien des discussions divisives. Aucun particularisme de doit nuire à notre cohésion nationale. Même si on peut garder l'amour d'autres terres, la nôtre est ici. Elle est vaste, belle, et elle nous est commune.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry # 49
Multi et interculturalisme
Interculturalisme - subversion furtive, déniée (le progressisme a ses contraintes...)
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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