Les yeux brillants

«Les chiffres, as-tu les chiffres? Et chez les francophones? Et pour le meilleur PM?»

Québec 2007 - ADQ


Accroché à son téléphone cellulaire à bord de son autobus de campagne qui nous ramenait à Montréal jeudi soir, Mario Dumont a frénétiquement griffonné sur un bout de papier les résultats du sondage Léger Marketing-TVA que lui transmettait enfin sa conjointe Marie-Claude, assise devant son téléviseur à Rivière-du-Loup.
Généralement, les partis sont informés quelques heures avant le commun des mortels, mais le chef de l'ADQ avait eu beau implorer les rares initiés, personne n'avait voulu vendre la mèche du plus important sondage de toute la campagne. On lui avait seulement dit que celui-ci le ferait sourire. À Huntingdon, où l'ADQ entretient des espoirs modestes, il avait trouvé l'accueil très encourageant, mais pouvait-il se fier entièrement à son flair?
Quand il a lâché son crayon et relevé la tête, ses yeux brillaient. Depuis 13 ans, il avait travaillé sans relâche en attendant ce moment. Quoi qu'il arrive d'ici le 26 mars, il sait maintenant qu'il a un avenir. Déjà, les Québécois voient en lui le meilleur premier ministre. Si ce n'est pas cette fois-ci, ce sera la prochaine.
Un peu plus tôt en journée, il avait jugé prématuré d'être interrogé sur la formation d'un comité de transition destiné à préparer la passation des pouvoirs à un éventuel gouvernement adéquiste. «Finalement, ce n'était pas une si mauvaise question», a-t-il reconnu en souriant.
Mario Dumont n'a cependant pas mis de temps à voir l'envers de la médaille. Dix minutes avant de connaître les résultats, il disait espérer que la progression de son parti ne soit pas trop brutale afin de ne pas effaroucher les électeurs. Le cauchemar de 2003 a tout de même laissé des traces. Il se serait volontiers satisfait d'un point ou deux de plus que les 25 % dont le précédent sondage Léger Marketing créditait l'ADQ. Il a eu droit à cinq points.
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«On pensait qu'il ventait aujourd'hui à Beauharnois», a-t-il lancé à la blague en prenant une gorgée de bière. C'est vrai qu'il ventait devant la centrale où il avait choisi de tenir son point de presse, mais il prévoyait maintenant la levée d'une véritable tempête pendant la dernier semaine de campagne.
Contrairement à ce qui s'était produit en 2003, la perspective d'un gouvernement adéquiste paraissait jusqu'à maintenant si lointaine que les derniers mois n'ont donné lieu à aucune levée de boucliers au sein de la société. En démonisant l'ADQ, les syndicats avaient puissamment contribué à la victoire libérale, et ils n'ont pas lieu de s'en féliciter.
S'il est vrai que l'ADQ et ses idées font un peu moins peur, plusieurs des 68 % de Québécois qui croyaient toujours que les libéraux finiraient par l'emporter le 26 mars, selon Léger Marketing, pourraient maintenant commencer à s'inquiéter. Avec 30 % des intentions de vote, l'élection d'un gouvernement Dumont doit soudainement être envisagée.
Le succès de la «campagne de peur» d'il y a quatre ans a largement tenu au fait qu'elle s'était déroulée sur une période de plusieurs mois. En réalité, l'ADQ était déjà en déroute quand les élections avaient été déclenchées. Il est moins facile de semer la panique en une semaine. Hier, le premier ministre Jean Charest semblait un peu à court d'arguments.
D'ailleurs, lui-même en a plein les bras avec sa propre campagne, qui commence à ressembler étrangement à celle de Bernard Landry en 2003. L'ancien premier ministre avait adopté un rythme pépère avant de perdre un débat, ce qui avait complètement bousillé le reste de sa campagne.
L'ancienne ministre Liza Frulla pestait hier contre la décision de l'envoyer faire campagne dans Verchères, où le PLQ n'a aucune chance de l'emporter. Tout ce qui a été retenu de son passage est qu'il a été apostrophé par des travailleurs furieux d'avoir été trompés par ses promesses de baisses d'impôt. Hier, en Gaspésie, il s'est fait remettre sous le nez le lapin qu'il avait posé mercredi aux maires des municipalités dévitalisées.
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À moins d'un nouvel imprévu, le budget fédéral de lundi sera le dernier élément prévisible susceptible de modifier de façon substantielle la dynamique de la campagne, mais M. Charest ne prévoyait certainement pas l'aborder dans la position où il se trouve en ce moment.
Le règlement du déséquilibre fiscal se voulait l'ultime démonstration de sa capacité de rendre le fédéralisme concrètement plus avantageux pour le Québec, mais le budget Flaherty commence plutôt à ressembler à une bouée de sauvetage pour un gouvernement en perdition. Le message est passablement différent.
Dans la mesure où la tenue d'un référendum semble bien improbable, M. Charest pourra certainement soutenir qu'il sera plus apte qu'André Boisclair à poursuivre les négociations avec Ottawa dans ce dossier comme dans d'autres.
Cet argument ne tiendra cependant pas face à Mario Dumont, dont les relations avec Stephen Harper sont au moins aussi bonnes que celles que M. Charest peut entretenir avec son homologue fédéral. On sait déjà ce que le chef de l'ADQ dira lundi: «Contrairement à Jean Charest, Stephen Harper est un homme qui tient ses engagements.»
Quant à André Boisclair, peu importe les sommes qu'Ottawa transférera au Québec, il les trouvera sans doute insuffisantes. Au pire, il pourra toujours faire valoir que c'est un gouvernement péquiste qui avait lancé le débat sur le déséquilibre fiscal et que Jean Charest s'attribue encore une fois des mérites qu'il n'a pas.
Le budget Flaherty, qui devait être un tournant dans la campagne, arrivera peut-être trop tard. Il y a si longtemps qu'on anticipe la manne fédérale que c'est comme si on l'avait déjà. De toute manière, chacun des partis l'intégrera à sa plateforme.
Finalement, on ne saura jamais ce que valait vraiment le chiffre de 1,7 milliard que Mario Dumont a lancé pendant le débat de mardi.
mdavid@ledevoir.com


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