Quoi qu'il arrive lundi, Mario Dumont sera le grand gagnant de la campagne électorale. Tout l'automne durant, l'Action démocratique du Québec croupissait à 12 % ou 13 % dans les sondages, et voilà qu'elle s'apprête selon toute vraisemblance à détenir la balance du pouvoir à l'Assemblée nationale et à dicter ses volontés à un gouvernement minoritaire. À deux jours du vote, on ne peut même pas exclure que cet éternel tiers parti forme l'opposition officielle. Mario Dumont est bien conscient de sa chance.
«L'ADQ ne fait plus peur», affirme Mario Dumont dans une entrevue accordée au Devoir. Même ses propositions d'ouvrir grande la porte au secteur privé dans la santé n'effraient plus les électeurs, selon lui. C'est tout un contraste avec les élections de 2003, alors que l'ADQ était vouée aux gémonies par la société civile. À commencer par les centrales syndicales qui, trop contentes de la possibilité de se débarrasser des libéraux, sont restées à peu près silencieuses sur les visées de l'ADQ cette année.
Mario Dumont rappelle le discours de Jean Charest de 2003, où il a brandi une carte de crédit en disant qu'elle allait remplacer la carte d'assurance maladie si les plans de l'ADQ étaient appliqués. «Ce n'était pas rien en 2003. C'est épouvantable ce qu'on a dit de nous», se remémore-t-il.
«C'est sûr qu'il y a une évolution de mentalité [depuis 2003]. On a fait un grand bout de chemin. Une campagne de peur, tu peux faire ça juste une fois», estime-t-il.
Selon lui, Il faut mettre fin à «l'hypocrisie actuelle» qui fait que le secteur privé «rentre par la porte d'en arrière» dans le domaine de la santé, comme en fait foi la multiplication des cliniques privées qui ne participent pas au régime public. L'ADQ veut permettre aux Québécois de payer pour obtenir des soins de santé, affranchir le Québec du «carcan de la Loi canadienne sur la santé qui impose un monopole coûteux» et inefficace, en établissant des règles du jeu qui protègent l'offre de services dans le réseau public, plaide le chef adéquiste.
La campagne de 2007, en dépit de déclarations sexistes, homophobes ou encore antisémites de quelques-uns des candidats adéquistes -- deux d'entre eux ont dû démissionner --, s'est bien déroulée pour Mario Dumont. Pas une sinécure, mais presque. «On a certainement gagné un volet: c'est d'imposer nos thèmes sur la place publique. Au lendemain du débat, de quoi parlait-on dans les chaumières du Québec? Des idées de l'ADQ. En bien ou en mal, ça fait partie de la vie», se réjouit-il.
Dans les tout derniers jours de la campagne, Mario Dumont a réservé ses salves les plus assassines pour André Boisclair, ignorant presque Jean Charest. «André Boisclair n'a pas l'autorité morale pour faire un référendum», martèle-t-il. Il lance depuis quelques jours des appels aux souverainistes pour qu'ils votent en faveur de l'ADQ. «Le Québec n'a jamais été aussi loin d'un référendum à l'heure actuelle. Le Parti québécois n'a ni le leader, ni le projet sur le plan du travail bien fait, ni le contexte parce qu'à Ottawa, il y a de l'ouverture, il n'y a aucune chicane en vue», avance-t-il.
Certes, des raisons stratégiques expliquent cet acharnement contre l'adversaire péquiste. Mario Dumont souligne «la fin de campagne pitoyable» que mène Jean Charest, aggravée par ce lamentable engagement de puiser à même le règlement du déséquilibre fiscal pour baisser les impôts. Résultat: le Parti libéral est troisième dans bon nombre de comtés francophones et des luttes extrêmement serrées opposent candidats péquistes et adéquistes.
À «l'impuissance» à laquelle confine le PQ, Mario Dumont oppose sa vision autonomiste, qui est «collée à la réalité d'aujourd'hui». «L'ouverture à Ottawa et l'autonomisme à Québec, c'est la combinaison gagnante pour les Québécois en 2007», fait-il valoir. Limiter le pouvoir fédéral de dépenser dans un amendement constitutionnel, éliminer les empiétements dans les champs de compétence du Québec, «c'est la moitié des pouvoirs [réclamés dans le rapport Allaire]», soutient-il.
Mario Dumont se fait bourassien. «L'autonomie, ce n'est pas un absolu. Ce n'est pas le rêve d'un grand soir comme l'idée d'un référendum. L'autonomie, c'est une affirmation progressive, une théorie des pas vers l'avant», expose-t-il.
Tout au long de ses 13 années d'existence, l'ADQ fut perçue comme un «parking» pour électeurs mécontents. Certes, le mécontentement à l'endroit du gouvernement Charest est bien présent, reconnaît Mario Dumont. Mais «la beauté de la chose dans une course à trois, c'est que tu ne peux pas juste avoir un vote de mécontentement, jouer la trappe, comme on dit». Il faut offrir une voie différente. «Une des forces de l'ADQ de 2007, c'est que c'est un parti qui s'assume. On ne laisse pas les autres nous mettre des étiquettes», dit-il. L'ADQ est un parti de centre-droit. Canalise-t-il un courant de conservatisme particulièrement présent en région? «C'est un conservatisme qui, à mon avis, est plus que modéré», affirme-t-il sans sourciller.
Mario Dumont présente aujourd'hui le courant incarné par l'ADQ comme «la conséquence logique de la pleine maturation de la Révolution tranquille». Des progrès énormes ont été accomplis en matière d'éducation et d'aide aux entreprises. «On a créé une première génération d'entrepreneurs», rappelle-t-il. «L'État a joué un grand rôle pour aider à la mise en place de la réalité économique qu'on connaît.» Le jeune entrepreneur des années 60 avait besoin de l'État pour percer. L'entrepreneur d'aujourd'hui trouve que le gouvernement, «ce n'est que de la petite quantité de paperasse. On a l'impression que ce même gouvernement est devenu un obstacle [à] sa progression».
«Aujourd'hui, le Québec est rendu ailleurs, croit Mario Dumont. Une des résultantes de la Révolution tranquille, c'est que le Québec a aujourd'hui des assises beaucoup plus solides dans des sphères de vie qui [ne sont pas celles de] l'État, qui sont des sphères de vie privées: des citoyens plus confiants, mieux formés, et c'est normal que le rapport à l'État évolue. Et, oui, on est peut-être l'incarnation de ça.»
S'il y a une «énigme de Québec» pour le Bloc québécois, il y a sûrement «une énigme de Montréal» pour l'ADQ. Le parti de Mario Dumont éprouve encore de la difficulté à percer à Montréal. Mais le chef adéquiste signale qu'il fonde de sérieux espoirs pour sa formation politique dans des comtés de la couronne de Montréal. Le sentiment antiadéquiste des Montréalais, «ç'a quand même beaucoup changé, ça aussi. Si on lit même les chroniqueurs qui vivent sur le Plateau -- je ne suis pas en train de dire qu'on va tout rafler --, il y a quand même, là aussi, une évolution par rapport à la perception de l'ADQ», fait-il observer.
Il est déjà acquis que l'ADQ dépassera l'objectif qu'elle s'était fixé au début de la campagne: obtenir 12 députés, ou 20 % des voix, le seuil minimal pour que le parti soit officiellement reconnu à l'Assemblée nationale. À compter de lundi, Mario Dumont pourra caresser de bien plus amples ambitions.
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