Les plaines ne deviendront pas Garvaghy Road

Vous avez vu la désolation à Gaza? C’est Québec en septembre 1759. Une reconstitution et un rigodon avec ça?

Chronique de Bernard Desgagné

Célébrer un massacre? Les Congolais et les Palestiniens victimes de la guerre de conquête de leur voisin doivent trouver les Québécois cinglés. Jamais il ne leur viendrait à l’esprit de se représenter leurs bourreaux rwandais ou israéliens comme de sympathiques conquérants. Jamais on ne leur fera croire que la guerre est faite d’épiques batailles comme le voudraient les stratèges qui recrutent de la chair à canon dans les écoles secondaires pour la gloire du capital. La guerre, ce sont des maisons bombardées, des femmes violées, des enfants qui se font arracher un membre et des hommes qui se font transpercer les boyaux. C’était vrai en 1759 et c’est encore vrai aujourd’hui, n’en déplaise à Radio-Canada, qui insiste pour ne parler que d’une «bataille d’une vingtaine de minutes», et rien d’autre.
On peut même dire que, toutes proportions gardées, le drame de la Conquête a fait plus de victimes en Nouvelle-France que les douze dernières années de guerre au Congo et beaucoup plus que la récente agression israélienne à Gaza. En effet, les Britanniques ont été particulièrement sadiques lors des épisodes de la Guerre de Sept ans qui se sont déroulés dans la vallée du Saint-Laurent, ce qui a entrainé la mort d’un sixième de la population canadienne, française et amérindienne. Cela dit avec tout le respect dû aux millions de victimes congolaises et palestiniennes. Voici la description succincte que fait Normand Rousseau du drame de la Conquête dans [L’Histoire criminelle des Anglo-Saxons->16191] (éditions Louise Courteau, 2008):
[->16191]«De la Gaspésie à Québec, selon son propre aveu dans son journal de bord, Wolfe a eu la délicate attention de faire brûler 1 400 bâtiments. Les Anglais en ont profité pour tuer et scalper tous ceux qui leur opposaient de la résistance. Le cher général avait pris soin de préciser d’ailleurs qu’il ne voulait laisser derrière lui que famine et désolation. […] Pourtant, Wolfe, ce criminel, est un héros des Anglais. […] Pendant deux mois, les Anglais bombardent Québec […] Au moment de la reddition, la ville de Québec est complètement démolie par 15 000 obus. […] c’est la guerre avec son cortège d’horreurs, et surtout pas une partie de plaisir. Et n’oublions pas que les Britanniques sont les agresseurs.»
Vous avez vu la désolation à Gaza? C’est Québec en septembre 1759. Une reconstitution et un rigodon avec ça?

L’histoire écrite par les vainqueurs
Les Congolais et les Palestiniens s’étonneraient moins du jovialisme des vaincus québécois s’ils pouvaient lire André Pratte. Lorsqu’ils se seront enfin abonnés à La Presse, ils seront heureux d’apprendre qu’ils ont pour destin d’être tués, expulsés ou conquis pour leur plus grand bien. Qui perd gagne, en fin de compte. De toute façon, l’application de la loi du plus fort est inévitable. Le plus fort doit éliminer le plus faible. C’est l’aboutissement de la civilisation. Dans le monde anglo-saxon, même les créationnistes adhèrent à ce principe darwinien.
Dans deux-cent-cinquante ans, Congolais et Palestiniens auront oublié les désagréments de la guerre. Ils reconstitueront avec joie l’entrée des chars dans Gaza et la déroute de la MONUC au Nord-Kivu devant l’impressionnante force militaire de Laurent Nkunda. On invitera de joyeux figurants à reconstituer des scènes guerrières, tout resplendissants dans leurs uniformes militaires. Pour ne pas gâcher la fête, on évitera toutefois de brûler des gens avec des bombes au phosphore ou de tirer dans le dos des femmes qui fuient les envahisseurs, leur enfant sur le dos.
Après deux siècles et demi, le souvenir de la souffrance aura disparu depuis longtemps. On sera même prêt à inaugurer la gare Ehoud Olmert à Gaza et l’aéroport Paul Kagame à Goma. Vous êtes sceptiques? Pourtant, les Québécois ont des tas de rues Wolfe, de Val-d’Or à Lévis, en passant par Montréal, Longueuil, Saint-Bruno et Granby. Ils ont aussi l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau et ils auront bientôt la gare Jean-Pelletier. Parions que les Israéliens voudront les imiter, eux aussi, et qu’ils renommeront l’Université de Tel-Aviv «Université Adolphe-Hitler». Mais au fait, quand une guerre devient-elle un joyeux récit? Quel est le délai après lequel il est sain et normal d’être amnésique supposément pour les besoins de la réconciliation? Au bout d’un certain temps ou quand le vainqueur décide qu’il en sera ainsi?
Le 11 novembre, les canons tonnent et les avions rugissent au-dessus des larmes à Ottawa. On se souvient des sacrifiés de la Grande Guerre, morts dans la boue des tranchées pour l’avancement de l’élite régnante. Il y a plus de quatre-vingt-dix ans que cette tuerie est terminée et que les belligérants sont rentrés dans leurs terres. Pourtant, la jeunesse du pays qui est allée ouvrir au champ d’horreur ses vingt ans qui venaient de naître, comme l’a chanté Brel, a toujours droit aux salves et à la reconnaissance du peuple ému.
En revanche, les patriotes qui, en 1837 et 1838, se sont battus pour notre liberté à nous contre l’oppression de l’empire ont droit, eux, par comparaison, à une célébration d’une sobriété frisant la censure. Ces véritables pères de la démocratie québécoise ont été relégués aux musées, sinon aux poubelles de l’histoire par Ottawa. Est-ce simplement à cause du temps qui nous sépare des événements? Ne serait-ce pas plutôt un choix dicté par la mythologie fondatrice de la fédération qui a succédé à l’empire? Ne serait-ce pas plutôt le choix des vainqueurs, qui réécrivent l’histoire à leur manière, au mépris de la vérité et de la justice? N’est-ce pas le même révisionnisme qui est à l’origine du projet de célébrer la bataille des plaines d’Abraham?
La Commission des champs de bataille nationaux n’est rien d’autre qu’un instrument du pouvoir fédéral pour réécrire l’histoire. Wolfe et Montcalm se serreront gentiment la main au milieu d’une foire estivale conçue pour effacer le souvenir d’un drame. Les deux généraux devenus acteurs reprendront tout simplement la scène qu’a occupée l’été dernier Champlain, après qu’on l’eut transformé en humoriste et sacré premier gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique.
Il n’y a pas que la Commission pour épauler les metteurs en scène fédéraux. Il y a aussi les scribouilleurs de Gesca, les spécialistes radiocanadiens de la déstructuration mentale, les historiens de la collaboration honteusement entretenus par l’Université Laval, les marchands d’excréments des radios poubelles, les apologistes de l’inculture de l’ADQ, où la bêtise est un critère pour faire partie du «vrai monde», de même que le proxénète arriviste, commandité de la mairie, qui prend Québec pour une putain et qui, trop heureux d’empocher son pécule, ne dira jamais à ses clients d’aller baiser quelqu’un d’autre.
Ces serviteurs répugnants sont tellement habitués de courber l’échine, qu’ils en ont fait une posture normale. Ils ont comme projet d’engendrer des tarés congénitaux comme eux, tellement déformés par deux siècles et demi d’abaissement, que leurs mains traineront bientôt au sol, ce qui les aidera à ramasser les miettes jetées par Ottawa.
Les suites de la Conquête encore bien actuelles
Depuis 1759, le Québec ne s’est jamais libéré du joug du conquérant, qui a toujours fait régner sa loi sur le territoire. Le coeur du problème est là, même si les courbés de l’échine ne s’en aperçoivent pas ou feignent de ne pas s’en apercevoir, eux dont les horizons se limitent aux ornières tracées par le pouvoir fédéral. Aux souffrances des ancêtres qui peuplaient la Nouvelle-France ont succédé deux siècles et demi de mépris, d’humiliation et de répression. L’évidence crève les yeux. Les Québécois n’ont jamais adhéré librement au régime politique qui les a asservis et qui exerce sur eux un effet délétère. Il n’y a jamais eu de symbiose, mais toujours deux nations évoluant en parallèle, l’une exploitée et dominée par l’autre.
Sinon, comment expliquer, au cours du siècle qui vient de s’écouler, l’application de lois et de règlements contre le français au Manitoba, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, la conscription pendant les deux guerres mondiales, la répression violente en 1970 pour anéantir le mouvement indépendantiste naissant, le bilinguisme officiel de façade qui ne fait que consacrer le recul constant du français, la Loi constitutionnelle de 1982 imposée au Québec avec l’assentiment de 74 valets aux Communes, le refus d’accéder même aux demandes les plus modestes du Québec formulées dans l’accord du lac Meech, l’immoral piratage de la démocratie québécoise en 1995, la camisole de force de la Loi de clarification ainsi que le détournement de deux milliards de dollars pour acheter la capitulation de la nation québécoise à coups de commandites?
Comment expliquer la mainmise d’Ottawa sur une grande partie de l’assiette fiscale et son pouvoir de dépenser dans les champs de compétence du Québec, véritable détournement du pacte de 1867 avec la complicité de la Cour suprême, créature de la nation exploitante? Comment expliquer la dépossession de Montréal, devenue un satellite de Toronto, avec des terres fertiles marquées d’une cicatrice de béton en guise d’aéroport, avec une bourse transformée en succursale, avec une commission des valeurs mobilières qu’Ottawa veut remplacer par sa commission fédérale? Comment expliquer qu’à Ottawa, on concocte actuellement des projets de loi pour diminuer encore davantage le poids politique du Québec dans la fédération? N’est-ce pas l’illustration flagrante d’une entreprise de minorisation qui se poursuit sans cesse, sous diverses formes?
Comment expliquer que la colonie canadienne-anglaise du Québec soit en train d’extorquer des milliards de dollars aux contribuables québécois pour se doter de son propre centre hospitalier universitaire, qui ne vise qu’à étendre son régime d’apartheid linguistique? Les Anglais ont tellement vécu dans l’harmonie avec les conquis qu’ils ne sont même pas capables aujourd’hui d’accepter de travailler en français dans un établissement de santé québécois. Il faut leur faire leur centre hospitalier universitaire anglais à eux, non parce que c’est utile sur le plan médical ou pour fournir des soins de santé à la minorité anglaise, mais simplement parce que ce serait une trop grande humiliation pour les suprémacistes anglo-saxons de McGill d’avoir à travailler en français.
Enfin, comment expliquer qu’aujourd’hui encore, la nation québécoise doive demander la permission au conquérant lorsqu’elle veut parler aux autres nations du monde?
La Conquête n’a pas été un bienfait. L’amnésie n’est pas un bienfait non plus. Si les héritiers des intrépides explorateurs et défricheurs de la Nouvelle-France, amis des populations autochtones, avaient pu prendre leur destinée en main comme tous les peuples libres de la terre, ils ne seraient certainement pas moins avancés qu’ils le sont maintenant. La France est-elle un pays moins développé que la Grande-Bretagne aujourd’hui? Quand on débarque du TGV pour prendre les tortillards anglais, on comprend que non. Les Québécois ont été forcés de vivre dans le pays construit et dirigé par le conquérant, mais, comme en témoignent leurs réalisations avant la Conquête, ils se seraient très bien débrouillés sans qu’on vienne les massacrer et les asservir. Ils se seraient très bien passé de reconstruire Québec avec des plans britanniques après que les bombes de Wolfe eurent détruit leurs bâtiments à eux. Le patrimoine britannique, avec sa monarchie ridicule, André Pratte peut se le mettre où je pense.

La balle est dans le camp de la fierté. La nation va se lever et réagir à cette provocation. Le maire proxénète ne pourra plus prétendre cyniquement que ceux qui veulent gâcher les jolies fêtes qu’il concocte avec les détenteurs illégitimes des deniers de la nation ne le font que par calcul politique. Lui et les autres serviteurs du pouvoir fédéral vont trouver le peuple debout sur leur chemin. Québec est le berceau de notre patrie. Nous allons nous dresser contre cet Ordre d’Orange nouveau genre qui veut nous réduire et nous humilier. Les plaines d’Abraham ne deviendront pas Garvaghy Road.
Postscriptum
P.-S. Au moment de «mettre sous presse», j’apprends la dernière frasque du nabot qui se prend pour Bonaparte et qui n’est rien d’autre que le guignol du marionnettiste Desmarais, plus occupé à dire n’importe quoi devant les caméras qu’à gouverner la patrie de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Selon ce nain qui va se faire lancer des tomates avant longtemps au Québec, en France, au Congo ou ailleurs dans le monde, vu sa fâcheuse habitude de prendre le peuple à rebrousse-poil, les indépendantistes québécois seraient sectaires. Même Jean Charest avait l’air gêné à le voir lécher avec autant d’empressement les bottes de Stephen Harper pour le plus grand profit de Total et d’Areva. Le général de Gaulle a dû se retourner dans sa tombe. Le nain est le contraire du grand général. C’est tout sauf un résistant. D’ailleurs, puisque la division est sa hantise, il doit regretter amèrement le départ des Allemands en 1944. Dans ses rêves les plus fous, il se dit qu’il aurait pu succéder au führer à la tête d’un Reich dont la France aurait été une belle province. En tout cas, il aurait pu au moins être le successeur de Pétain et faire le même genre de travail que son copain Charest, ce qui l’aurait ravi. Quel dommage que les Français aient été aussi sectaires sous l’occupation!


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 février 2009

    Il est faux de prétendre que nous sommes foutus.
    Nous sommes tout simplement mal organisés.
    Lors de la deuxième guerre mondiale la moyenne des gens qui ont résisté est de 1% de la population.
    (Jean Moulin, Daniel Cordier, Gallimard)
    >http://www.parutions.com/pages/1-4-7-1043.html]l
    On a pas besoin d'être plus pour brasser la cabane.
    À bon entendeur!
    Sylvain Parayre

  • Archives de Vigile Répondre

    4 février 2009

    L'on doit arrêter de se mettre la tête dans le sable. Les Québécois sont vraiment des perdants, et la nouvelle devise est "Je me soumets", royalement.
    J'en suis bien triste, mais votre travail ainsi que celui du Devoir ne rejoint pas la population. Pratte et cie ont le champ libre et le Québec est maintenant pour moi qu'un mauvais rêve. Je n'ai jamais eu aussi honte d'être Québécois, et je vais passer le reste de ma vie à me faire croire que je suis un "citoyen du monde" et que j'en ai rien à cirer du passé. Et l'avenir? Pratte va s'en occuper. Quel triste fin!
    J'admire toutefois votre courage et votre détermination. Je souhaite par-contre que cette commémoration tourne au vinaigre (alerte à la bombe, manifestation violente, etc). Malheureusement, je sais déjà que Pratte et cie ont probablement déjà écrit un papier du genre "Trop c'est top. Les séparatistes sont des terroristes, il faut faire venir l'armée à Québec".
    Et la radio-poubelle de Québec va continuer à faire du séparatissse bashing, puis le reste de la population va une fois pour toute se mettre à genou et radicalement insulter les souverainistes.
    Aucun espoir! Nous sommes foutus.