Québec -- De peur que des souverainistes «extrémistes» cassent ou incendient des campements de «soldats», la Commission des champs de bataille nationaux (CCBN) a annoncé hier qu'elle annulait la reconstitution des affrontements de 1759 et 1760 entre la France et l'Angleterre, à laquelle 2000 à 3000 personnes devaient participer, à la fin juillet, sur les plaines d'Abraham.
«Compte tenu des excès de langage enregistrés ces derniers jours et des menaces faites par médias interposés, nous ne pouvons, en tant que gestionnaires responsables, risquer de compromettre la sécurité des familles et des enfants qui pourraient assister à l'événement», a déclaré André Juneau, président de la CCBN, en conférence de presse hier.
Pratiquement silencieux depuis deux semaines alors que le débat faisait rage dans les médias, M. Juneau a soutenu hier qu'il voulait éviter une confrontation qui aurait pu rapidement dégénérer en tempête de «poivre de Cayenne», lorsque, par exemple, des policiers auraient voulu déloger les sit-in annoncés. «On ne voulait pas que ça devienne un affrontement. Il y en a eu un en 1759 et en 1760. On ne veut pas en avoir un autre!»
Selon M. Juneau, «des souverainistes» sont responsables du «dérapage politique» du débat. Pas l'ensemble du mouvement, a-t-il indiqué, mais «les deux groupes qui nous ont fait des menaces, [...] s'associent d'eux-mêmes au mouvement souverainiste». Il a reproché à la chef péquiste Pauline Marois d'avoir affirmé qu'une reconstitution organisée par un organisme québécois et non fédéral aurait été acceptable.
Quant aux réticences d'une figure de proue fédéraliste comme le premier ministre Jean Charest, qui a dit dès la mi-janvier qu'il ne souhaitait pas participer à l'événement et se demandait où la CCBN «s'en allait avec ça», M. Juneau semblait avoir du mal à se les expliquer. «C'est vrai qu'il a dit ça. Mais c'était parce qu'il n'était pas informé», a soutenu M. Juneau.
Juneau n'a aucun regret
Semblant amer, M. Juneau estime que la première version de la programmation a été rejetée injustement. La reconstitution de la bataille «restait une bonne idée», selon lui, et s'apparentait à une sorte de grande représentation à la fois théâtrale et pédagogique, comme La Fabuleuse Histoire d'un royaume, qui raconte l'épopée du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Cette reconstitution aurait été bénéfique au tourisme à Québec: «On attendait 100 000 personnes», a-t-il dit.
Le représentant du Corps historique du Québec présent à la conférence de presse, Stéphane Tremblay, a dit comprendre la décision de la CCBN, mais a admis être un peu désemparé par celle-ci puisque les groupes y travaillaient depuis au moins deux ans. Il a dit ignorer pour l'instant si l'activité sera reprise ailleurs au Canada.
Illustration du caractère «festif» de la programmation, un bal masqué, qui devait avoir lieu le 26 juin au parc des Braves, a été aussi annulé et remplacé par une journée thématique baptisée «État de guerre». M. Juneau a toutefois défendu cette idée finalement abandonnée de tenir un bal. À ses yeux, il s'agissait essentiellement de présenter un portrait de la vie à Québec à l'époque. «Une certaine aristocratie menait à Québec un grand train de vie fait de bals, de rencontres mondaines et de jeux de hasard.» Selon lui, les bals à l'époque ont créé la zizanie entre Montcalm et Vaudreuil, ce qui a influé sur le dénouement de la fameuse bataille du 13 septembre 1759.
Quant à l'affiche annonçant cette programmation où l'on voyait des descendants des généraux Montcalm et Wolfe se serrant la main, elle a été éliminée pour «tenir compte des susceptibilités». Le tollé suscité par l'affiche Wolfe-Montcalm a surpris M. Juneau. Il a d'ailleurs admis avoir sous-estimé «la sensibilité des gens» qu'il aurait crue moins «élevée» après 250 ans.
Nouvelle programmation
La CCBN n'a pas renoncé à souligner le 250e anniversaire. Elle y consacrera 320 000 $ à même son budget normal. La nouvelle programmation est pratiquement identique à celle présentée en 2007, à l'exception des trois éléments éliminés (reconstitution, bal masqué et affiche). Bref, les expositions et colloques, les dévoilements de mémoriaux se tiendront comme prévu. S'ajouteront des activités organisées par diverses associations de descendants des soldats morts au champ de bataille.
M. Juneau a affirmé n'avoir reçu aucune directive de la part de Patrimoine Canada pour annuler la reconstitution et adopter une autre programmation. Le ministre du Patrimoine, James Moore, a d'ailleurs dit hier à Montréal que la décision était inévitable en raison du danger de «violence extrême» qui planait sur Québec. «Je suis désappointé car les menaces qui venaient d'éléments extrémistes du mouvement séparatiste ont réussi à stopper un événement supporté [sic] par le maire et le gouvernement du Québec. Le Bloc et les gens qui ont joué à la politique avec cet événement au détriment de la ville de Québec et de l'histoire canadienne ont créé du tort à Québec», a dit M. Moore.
Le Bloc a pour sa part accueilli «favorablement la décision» de la CCBN, mais a dénoncé le «motif invoqué» par M. Juneau. Selon la députée Christiane Gagnon, «il s'agit d'une opération de visibilité pour le gouvernement fédéral, qui visait à célébrer la Conquête anglaise».
Quant au chef libéral fédéral Michael Ignatieff, de passage à la mairie de Québec hier, il a soutenu que la bataille des Plaines était une «défaite» qu'il ne fallait pas fêter. Mais à ses yeux, il faut toutefois se réjouir de ce qui est arrivé après cette défaite et qui est «surprenant» à ses yeux, soit l'épanouissement des francophones en Amérique du Nord. Il a accusé les souverainistes de vouloir «dominer un débat libre» sur le sens à donner à l'histoire du pays. «Dans un Canada libre, il y a parfois deux visions différentes de notre histoire.»
Opposants
Les principaux opposants, dont une quinzaine de représentants se sont pointés à la conférence de presse, ont vu dans le recul de la CCBN une demi-victoire. Insatisfaits, Impératif français et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ont décidé de maintenir leur manifestation de dimanche midi à Ottawa. Ils demandaient hier à la CCBN d'annuler l'ensemble des commémorations. «Aucun gouvernement n'accepterait qu'un autre gouvernement vienne célébrer son patrimoine national dans sa capitale nationale. C'est indécent, c'est inacceptable», a déclaré Jean-Paul Perreault, d'Impératif français.
Patrick Bourgeois, du RRQ, a dénoncé le climat de provocation instauré selon lui par la CCBN. Il a qualifié d'«odieux» le fait que le président Juneau fasse porter les risques de violence sur le dos du RRQ. «Moi, je ne suis pas plus responsable des menaces que des excités indépendantistes ont formulées qu'André Juneau est responsable des menaces de mort que moi j'ai reçues.»
Lorsqu'on lui a demandé si le cinéaste Pierre Falardeau, sympathisant du RRQ, pouvait être à la source de ce climat, M. Bourgeois a paru embêté. «Pierre, c'est Pierre. C'est sûr qu'on l'aime beaucoup. C'est notre ami. Il travaille avec nous autres. Il fait [sic] dans l'image. Mais des fois, ses images sont moins appropriées», a-t-il noté.
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Avec Isabelle Paré et Robert Dutrisac
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