Les lenteurs du mouvement wallon et québécois

Chronique de José Fontaine

Le Québec est devenu un Etat autonome en 1867 (qui succédait lui-même à d'autres formes politiques) et c'est sur ce socle politique important que se sont édifiées les grandes réformes, la création d'un Etat social québécois. A partir de là on pouvait envisager d'aller à l'indépendance. Comme bien des Wallons dans les années 60 et en particulier lors du «Vive le Québec libre!», j'ai ressenti très fort l'handicap énorme que représentait pour la lutte wallonne l'absence de toute espèce de personnalité juridique de la Wallonie. Ce n'est qu'en août 1980 que se forma un Etat wallon disposant d'ailleurs de très peu de compétences, mais avec un gouvernement et un Parlement. Certes, le Québec - minoritaire au Canada comme la Wallonie l'est en Belgique - est dans une situation semi-coloniale, ce qui n'est pas le cas de la Wallonie fondatrice du Royaume de Belgique en 1830, ni plus ni moins que les autres parties du pays.
Mais la Wallonie est depuis longtemps divisée entre une définition républicaine d'elle-même (un territoire et sa population) et une définition ethno-linguistique (les Wallons parlent le français comme les Bruxellois et sont des Belges francophones).
L'Assemblée wallonne de 1912
La Belgique de 1830 adopta le français parlé par toutes les élites belges. Et qui s'amalgamait quand même fortement avec les parlers locaux en Wallonie (pourtant distincts du français, surtout le wallon, vivante langue d'oïl). Libéraux (dominants en Wallonie) et catholiques (dominants en Flandre), alternent à la tête du pays. A partir de 1884, les Libéraux s'affaiblissent.

Une grève surtout wallonne impose le vote du suffrage universel masculin en 1893 (certains électeurs ont plusieurs voix cependant). L'année suivante les socialistes entrent au Parlement belge. Ils sont tous élus en Wallonie. La majorité catholique (et flamande), de 1884 semble réellement inexpugnable. En votant pour les socialistes et les libéraux, les Wallons votent au fond pour rien, la majorité catholique semblant devoir se perpétuer indéfiniment au nord du pays où elle est largement majoritaire. Suffisamment parfois pour dominer le pays ou, si cela ne suffit pas, pouvant compter sur une minorité catholique wallonne le cas échéant. Il arrive que des gouvernements belges ne comptent qu'un seul Wallon. Les libéraux et les socialistes tentent bien de former un cartel aux élections législatives de 1912, pour parvenir à supplanter les catholiques au niveau national et y créer une alternance. Rien n'y fait. Des troubles sociaux éclatent à Liège où la gendarmerie tue trois manifestants. On a le sentiment que la majorité catholique et flamande est installée à demeure à la tête de la Belgique.
Le 7 juillet 1912, réuni à Liège, un Congrès wallon «émet le voeu de voir la Wallonie séparée de la Flandre en vue de l'extension de son indépendance vi-à-vis du pouvoir central». Le leader socialiste wallon Jules Destrée publie en août un très long document intitulé Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre. Ce qui a mis en cause aussi l'unité du pays, ce sont les revendications flamandes qui tendent à imposer le néerlandais en Flandre alors que la seule langue officielle du pays était le français.
Lorsque, la même année, le 20 octobre 1912, sous l'impulsion de Jules Destrée, se réunit à Charleroi une Assemblée wallonne, même si celle-ci aborde aussi la question linguistique, elle se préoccupe plus fondamentalement de ce que nous appellerions le fédéralisme ou l'autonomie de la Wallonie dans le cadre fédéral belge, mais les contemporains se servent plutôt de l'expression «séparation administrative». Cette expression avait été utilisée en 1830 lorsque les Belges mécontents des Hollandais désiraient s'en séparer selon des modalités qui auraient pu être plus souples, mais qui prirent rapidement la forme extrême, soit la création de la Belgique indépendante.
L'Assemblée wallonne, premier Parlement wallon (officieux)
L'historien Paul Delforge qui vient d'écrire un livre intitulé L'Assemblée wallonne 1912-1923. Premier parlement de Wallonie IJD, Namur, 2012 (le Président du Parlement wallon, Patrick Dupriez, présidait la conférence de presse réunie à l'occasion de cette publication), indique ce qui permet de penser que cette Assemblée se veut avant tout un Parlement. Elle adopte le règlement du Parlement national. Elle est composée de délégués (soit déjà parlementaires nationaux, soit élus des organisations wallonnes présentes un peu partout en Wallonie), à raison d'un par 40.000 habitants. Cette Assemblée se propose de déterminer ce que nous appellerions les compétences qui devraient être régionalisées, la création d'une fiscalité wallonne, la délimitation du territoire wallon. Elle se réunit la première fois à Charleroi.

La moitié de ses membres sont des parlementaires, mais parmi eux ne figurent aucun parlementaire catholique. Il y a cependant des catholiques parmi les délégués. Les travaux des Commissions sont parfois importants tels ceux de la Commission de la Défense nationale (la défense du pays est très axée sur la seule Flandre), celle des Finances (qui examine la séparation de la comptabilité nationale), celle des Chemins de fer (qui pose la question des liaisons par chemins de fer internes au Pays wallon), la Commission de l'Intérieur (qui va proposer l'emblème de la Wallonie qui est toujours le sien). C'est la seule décision qui fasse l'objet d'un décret. Une douzaine d'autres rapports sont discutés et approuvés mais ne font que l'objet de motions. Evidemment, le caractère représentatif de cette Assemblée est mis en question. Elle se réunit une dernière fois en mars 1914. L'idée d'une séparation administrative et de Parlements de Flandre et de Wallonie va être reprise par les Occupants allemands.
L'Allemagne occupe la Belgique de 1914 à 1918
Le 4 août 1914 une immense armée allemande d'un million d'hommes attaquent la Belgique, le Luxembourg et la France. La Belgique est occupée quasi entièrement pendant quatre ans. Les Allemands, pour diverses raisons (dont sans doute la volonté d'affaiblir les pays alliés), soutiennent partout chez eux les mouvements autonomistes (l'Irlande par exemple). Ils vont reprendre l'idée d'une séparation administrative proposée par Jules Destrée. Ils créent en Flandre un Raad van Vlaanderen, un Conseil des Flandres que Camille Huysmans, leader socialiste flamand considère comme calqué sur l'Assemblée wallonne (p. 112). Les membres de l'Assemblée wallonne restés au pays, malgré de nombreux appels du pied des Allemands en vue de créer une structure semblable, font la sourde oreille. Il n'y aura que quelques militants wallons qui collaboreront avec les Allemands en vue d'une Wallonie autonome à côté de la Flandre autonome. Jusqu'il y a peu d'ailleurs, l'argument a été utilisé contre les partisans de l'autonomie wallonne, soupçonnés de la même volonté de «détruire» le pays que les Allemands (qui avantagèrent les Flamands en 1940-1944 mais ne mirent pas en place les éléments d'un Etat fédéral flamand ni wallon).
Après la guerre, l'Assemblée wallonne redevient «belge»
Il y a toujours eu deux tendances dans le mouvement wallon. Celle qui met l'accent sur la défense de la langue française en Belgique. Celle qui met l'accent sur l'autonomie de la Wallonie. La première est antiflamande et défend la Belgique unie. La seconde admet le bien-fondé des revendications flamandes et peut ne pas être trop attachée à l'unité du pays dans la mesure où la revendication de l'autonomie met en cause au minimum la structure unitaire de l'Etat soit même son unité pure et simple. Après la guerre, la première tendance va l'emporter dans l'Assemblée wallonne qui se réunit à nouveau dès la libération du territoire belge.
Jean-Joseph Remouchamps en devient l'homme fort. Paul Delforge n'hésite pas à écrire que dès 1920 elle est «en train de se transformer en un mouvement patriotique des Belges de langue française» (p.184). Pour régler la question de la minorisation de la Wallonie, Jean-Joseph Remouchamps tente de faire réviser la Constitution belge en vue d'établir ce que l'on appela alors le vote bilatéral au Sénat, soit une disposition qui aurait nécessité, pour l'adoption d'une loi en Belgique, tant la majorité chez les sénateurs flamands que chez les sénateurs wallons. Cette proposition fut rejetée par ... une majorité de sénateurs flamands. L'idée de défendre de cette manière la Wallonie (et la langue française en Belgique plus encore), était considéré par JJ Remouchamps comme le «programme minimum» de l'Assemblée. A plusieurs reprises, il considéra que la séparation administrative n'était qu'un ultime recours. Mais dès 1921, ce programme minimum était dépassé par les faits.
L'Assemblée wallonne siégera jusqu'à la nouvelle invasion allemande de 1940. En octobre 1945, le Congrès national wallon réunit à Liège plus de 1000 délégués. Le Sénat paritaire comme solution à la question belge (solution analogue à celle de vote bilatéral), n'obtint même pas 1 % des suffrages exprimés.
La nation est fragile
Ce que Paul Delforge met aussi fortement en évidence, c'est le commencement toujours humble des nations. On voit bien que Jules Destrée, homme d'action et de pensée, appelé aux quatre coins de la Belgique et de l'Europe pour y conférencier, écrivain véritable et auteur d'essais politiques, parlementaire parmi les plus actifs au Parlement national, est, au surplus, l'homme-orchestre de l'Assemblée wallonne d'octobre 1912 à l'invasion allemande d'août 1914.

Il avait d'ailleurs souhaité être déchargé de sa responsabilité de secrétaire général de l'Assemblée pour octobre 1914. Ce qui est aussi très bien mis en évidence, c'est la difficulté profonde en Belgique d'avoir de véritables parlements responsables devant un peuple - non pas ethniquement défini mais constitutionnellement défini. La division du pays entre Flamands et Wallons est une première difficulté. Une seconde difficulté a comme origine quelque chose de plus ordinaire et légitime, à savoir la division des parlements entre différents partis. Mais l'application de la discipline de vote à l'intérieur de ces différents partis a longtemps empêché que la Wallonie soit valablement représentée au Parlement belge puisqu'elle y était minoritaire et que les catholiques, par discipline de parti, votèrent longtemps avec les catholiques flamands (ou leur permirent longtemps de prolonger leur hégémonie). Evidemment, il y a aujourd'hui un Parlement wallon où le rôle des catholiques et des partis laïcs n'est fatalement plus le même en raison de l'évolution des idées et des sensibilités.
Le Parlement wallon aussi divisé que l'Assemblée wallonne
Mais d'une part, 1) la particratie simplement wallonne joue un rôle prépondérant dans la désignation des candidats à l'élection au Parlement wallon. D'autre part, 2) le Parlement wallon même aujourd'hui, reste encore d'une certaine manière divisé entre ceux qui défendent la Wallonie proprement dite et ceux qui défendent la Belgique francophone.
Ces deux éléments tendent à opacifier les enjeux politiques wallons.
1) Il n'est un mystère pour personne que, malgré les textes, ce n'est pas le Parlement wallon qui désigne les ministres wallons mais les présidents de parti. Comme on ne peut être ministre et parlementaire, les ministres sont remplacés par des personnes qui ont été élues comme suppléants et dont l'existence politique dépend de leur président de parti.
2) Le fait que les parlementaires wallons siègent dans deux Parlements, celui de Namur mais aussi un autre à Bruxelles (celui de la Communauté française réunissant Wallons et Bruxellois francophones), n'est pas sans rapport avec la division qui a fait échouer l'Assemblée wallonne. Cette division, bien sûr sous d'autres formes, continuent à rendre illisible par le citoyen normal, le sens même d'un Parlement qui devrait avoir comme fonction de représenter une population bien définie (constitutionnellement bien sûr et c'est la définition par le territoire qui le rend possible, au-delà des différences ethniques certes légitimes, mais qui ne doivent pas prendre le devant), à savoir ici les habitants de la Wallonie, peu importe leurs origines.
Or les parlementaires wallons représentent la population de la Wallonie mais aussi celle de Bruxelles quand ils siègent au Parlement de la Communauté Wallonie-Bruxelles avec leurs collègues bruxellois (une partie des élus du Parlement bruxellois désignés à cet effet et tout le Parlement wallon...). Aujourd'hui, des Bruxellois de plus en plus nombreux ne le supportent pas plus que de nombreux Wallons qui ont mis cela en cause pratiquement dès les premières réunions du Parlement wallon au début des années 1980. Cette exigence tant des Bruxellois->ttp://www.rtbf.be/info/belgique/detail_rudy-vervoort-ne-veut-plus-de-la-double-casquette-wallonie-federation?id=7895833] que des [Wallons est sans doute formulée en fonction des deux espaces politiques différents que constituent le pays wallon et la grande ville brabançonne, de leurs intérêts etc. Mais c'est parfaitement légitime.
Au-delà de ces intérêts légitimes il y a une question qui les dépasse et qui est celle de la démocratie. La démocratie est, elle aussi, très fragile. Tout ce qui est humain l'est. Cependant l'apparente solidité de l'inhumain est illusoire. Il est évident (solide si on veut), que les Wallons et un très grand nombre de Bruxellois parlent le français, mais en tirer prétexte pour faire se réunir trois Parlements (celui de Bruxelles, celui de la Wallonie et celui des Wallons et des Bruxellois francophones), c'est absurde. Même ceux qui peuvent expliquer cette absurdité n'en sortent pas plus que les autres, car la démocratie exige que les responsabilités soient claires et définies de telle manière qu'on les partage avec le plus grand nombre de citoyens possibles. Actuellement, ce n'est pas possible.
Les pêcheurs en eau trouble devraient s'en rendre compte.
De part et d'autre de l'Atlantique nous Québécois et Wallons, nous oeuvrons à une même oeuvre, la démocratie.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2012

    Quel regard sur le Québec et cette Wallonie qui sont tout deux gêné de se montrer. Pour ma part, il n'y a pas de lenteur, il n'y a que des empêcheur et des embêteurs avec leurs morales et leurs intérêts personnels qui ralentissent la marche des peuples.
    Une chose est sûr, c'est rarement la population d’où qu'elle soit qui s'approprie le devant de la scène politique. Pour ce qui fut le rêve Belge, de ce que j'en sais, la bourgeoisie est allé se chercher un noble pour occuper une charge de "roi".
    Pour le Québec, une petite bourgeoisie conservatrice sous tutelle coloniale a travestie son "attachement" à la France pour celle de l'Angleterre. Dans un cas comme dans l'autre le bon peuple était toujours d'accord, tout préoccupé qu'il était de passer le prochain hiver.
    C'est sans trop de difficultés qu'un George Étienne Cartier réussit à arracher les mots autonomie et Fédération à un John A. Macdonald plus intéressé par son chemin de fer que par les détail. En fin de compte nous eûmes une quasi fédération et des provinces sous tutelle. A la longue, force est d'admettre que plus le Dominion du Canada avec sa reine emprunté n'était pas une fédération dans sa déclaration initiale et encore moins dans son texte (unilingue anglais) que dans son développement, jusqu'au rapatriement unilatérale (sans le Québec), qui fut la consécration du projet unitaire de l'AANB.
    Alors du quasi-État qu'aurait aimé être les canadiens après leur colonisation et qui n'est plus que le Québec (même sa diaspora s'étant rallié à l'envahisseur, ne se qualifiant plus de francophone hors Québec) au prise avec un hatefest perpétuel de la part des bons sujets de sa majesté, n'ayant aucune réelle prise que ce soit sur son Assemblée Nationale, son capital, les ressources de son territoire, sur ses emplois ou il faut être au pire bilingue, au mieux unilingue anglais, de ce quasi-État, il ne reste rien de bon qui a été construit par nos monarcho-libéraux. Tout au plus des claques sur la gueule, avec une police et des tribunaux infiltrés par la corruption et l'identité canadian, pour quelques étudiants nus, mais inspirant des sentiment de responsabilité et d'identité et de justice.
    Avec tout les moyens dont nous disposons, pour échanger et discuter, les peuples et pas que les supposé élites doivent prendre le pas sur la construction du politique. Au Québec comme en Wallonie, c'est par la participation et l'action du plus grand nombre que nous devons redéfinir nos institutions, leurs règles de fonctionnement et des processus clair et transparent de la remise en question de ceux qui sont élus ou nommés mais redevable devant le peuple.
    De Joyeuse fêtes et une bonne année.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 décembre 2012

    La communauté française est une institution qui ne connait aucun équivalent dans le monde, et heureusement.