Le gouvernement Charest a-t-il, oui ou non, l'intention de reculer sur la privatisation des services de santé?
Le report au 30 septembre du règlement prévu à la loi 33, qui établit la liste d'une cinquantaine d'interventions chirurgicales pouvant être pratiquées dans des cliniques privées de même que les conditions de leur exécution, donne lieu à des interprétations contradictoires.
L'opposition péquiste et les centrales syndicales, généralement si soupçonneuses, craignant toujours un nouveau coup fourré, ont choisi de crier victoire. «Le gouvernement se met à l'écoute. J'ai parlé au ministre Bolduc et il a clairement indiqué qu'il ne cherche pas à élargir la pratique médicale privée», [a déclaré la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau.->17181]
Le porte-parole du PQ en matière de santé, Bernard Drainville, a également conclu que le gouvernement s'était «rendu aux arguments» des partisans d'un système de santé résolument public, ajoutant toutefois que l'élimination pure et simple du règlement aurait été préférable.
Pourtant, l'attachée de presse du ministre de la Santé a été catégorique: «Ça n'a rien à voir avec un désistement de notre part. On continue dans notre volonté d'encadrer le travail des cliniques privées [...] Il restait certaines zones d'ombre, notamment pour les modalités d'obtention des permis.»
Les dispositions législatives requises étaient incluses dans un projet de loi cadre qui n'a pas pu être adopté avant le déclenchement des élections, le 5 novembre dernier, de sorte qu'un nouveau projet de loi est actuellement en cours de rédaction, a-t-elle expliqué.
Jusqu'à présent, les syndicats et le PQ n'avaient accordé aucune foi aux assurances données par le gouvernement, quand il soutenait que la loi 33 ne remettait pas en question l'intégrité du système public. Maintenant qu'il confirme sa volonté de mettre la réglementation en vigueur, ils y voient un recul. Comment le commun des mortels peut-il s'y retrouver?
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À l'occasion d'un voyage en Europe, en janvier 2004, le premier ministre avait expliqué sur les ondes d'une station radiophonique britannique que la clé du succès pour un gouvernement était de faire adopter les mesures les plus controversées durant la première année de son mandat. Plus les élections se rapprochaient, plus cela devenait difficile.
D'ailleurs, si M. Charest avait observé ce précepte durant son premier mandat, la réélection des libéraux aurait peut-être été moins problématique au printemps 2007. On peut penser qu'il a retenu la leçon.
Si le gouvernement avait absolument tenu à ce que la réglementation prévue à la loi 33 entre en vigueur le 5 janvier, comme cela était prévu, il aurait très bien pu faire adopter les dispositions nécessaires à l'Assemblée nationale avec l'appui de l'ADQ.
À partir du moment où les stratèges libéraux voulaient faire de l'économie l'unique enjeu de la campagne électorale, il aurait cependant été maladroit de lancer un débat parallèle sur la place du privé dans le système de santé, qui aurait immanquablement dégénéré en procès de la «médecine à deux vitesses». La reconversion éthiquement douteuse de Phlippe Couillard dans le commerce des soins de santé a laissé un goût amer à plusieurs, qui y ont vu la preuve que le gouvernement avait bel et bien un programme caché.
De là à conclure qu'il a définitivement renoncé à son projet, il y a cependant un pas que les centrales syndicales et le PQ ne sont certainement pas assez naïfs pour franchir aussi allègrement. Selon ce que M. Charest avait expliqué en 2004 aux électeurs britanniques, il a un an pour y donner suite. Après quoi, il disposera de trois autres années pour laisser retomber la poussière.
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Tout le monde reconnaît la nécessité de mieux encadrer la pratique privée, notamment la chirurgie esthétique, comme l'a démontré la malheureuse expérience de la fondatrice de Cinar, Micheline Charest. Encadrer et limiter sont cependant deux choses différentes. L'encadrement peut très bien servir de prétexte à un élargissement.
Le report au 30 septembre de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation offre néanmoins un répit aux opposants à la loi 33. Au moment où la population est préoccupée presque entièrement par la situation économique, la mobilisation risque toutefois d'être difficile.
Le PQ réclame la convocation d'une commission parlementaire pour débattre encore une fois de la place du privé en santé, mais il y a des limites à multiplier les consultations. Au cours des dernières années, trois commissions ont été créées et elles ont toutes plaidé en faveur d'une plus grande ouverture. À en croire les sondages, les Québécois y sont également disposés.
«Oui, mais je pense que, si on explique aux Québécois qu'il y a moyen de régler les problèmes en travaillant sur le système de santé, en prenant les moyens d'améliorer, en leur donnant accès à un médecin de famille, en améliorant l'efficacité des blocs opératoires...», a répliqué Bernard Drainville jeudi.
Précisément, la population est lasse de ces explications qu'on lui a serinées au fil des ans, alors que la situation ne cessait de se détériorer, peu importe le parti au pouvoir. Finalement, la plus grande menace pour le système public est peut-être le temps qui passe.
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mdavid@ledevoir.com
Le temps qui passe
Le gouvernement Charest a-t-il, oui ou non, l'intention de reculer sur la privatisation des services de santé?
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