Le temps de la désobéissance civile

Autochtones


Louise Leduc - Revendications territoriales non résolues. Pauvreté endémique. Négociations interminables avec les gouvernements. La liste des griefs est longue chez les autochtones, en cette Journée nationale de protestation. Faut-il craindre de nouveaux barrages sur les routes, les voies ferrées? Hier, on parlait d'abord de dialogue. Ce qui ne sera pas un luxe au Québec: un sondage SOM-La Presse y fait état d'une perception très négative des réclamations autochtones.


En décembre, les leaders autochtones de tout le pays proclamaient le 29 juin Journée nationale de protestation. Ils votaient alors à la presque unanimité en faveur de mesures musclées, telle la mise en place de barricades sur des voies ferrées. Depuis, le ton a baissé. Il reste à savoir si le nouveau mot d'ordre, plus mesuré, sera suivi par la base.
Ces dernières années, les Indiens ont tenté la méthode douce. Des appels à la Cour suprême et au Sénat, des publicités dans le New York Times, quelques visites à l'ONU. Sans grand succès. Aussi l'option de la désobéissance civile vient-elle de refaire surface.
Depuis la crise d'Oka, en 1990, et celle d'Ipperwash qui s'est soldée en 1995 par la mort d'un autochtone en Ontario, jamais les Indiens n'ont autant fait trembler au pays.
Ce que réclament les autochtones? «L'expiation des torts causés dans le passé, dit Phil Fontaine, président de l'Assemblée des premières nations. Les Premières Nations revendiquent le droit d'exploiter leurs terres, de vivre et d'obtenir justice.»
Cela passe par la revendication de territoires, qui s'appuie sur des traités historiques ou contemporains et sur des décisions de la Cour suprême établissant notamment l'impossibilité pour Ottawa ou les provinces d'étouffer un droit ancestral autochtone.
La négociation «est une obligation morale et légale», a confirmé en 2006 l'actuel ministre des Affaires indiennes, Jim Prentice.
Le passage de la parole aux actes est cependant long, très long.
«J'ai 73 ans. J'ai vu passer, puis mourir, quantité de fonctionnaires dont la carrière entière a été consacrée aux négociations de revendications!» dit Rémi Savard, anthropologue québécois.
C'est que les documents en question sont vieux, parfois de trois siècles. Les historiens et avocats doivent se pencher dessus, les analyser, les décortiquer. Résultat: en 30 ans de négociations dans tout le pays, seulement 282 revendications ont été négociées, et 865 sont toujours à l'étude.
C'est long, et c'est cher. Les 282 ententes négociées ont coûté à Ottawa quelque deux milliards jusqu'ici. La facture totale pour tout le processus? Les estimations se situent entre six et douze milliards. Et l'on ne compte même pas ici la rémunération des experts en cours de route.
«Il en coûte parfois autant pour négocier le montant d'une négociation que la valeur de ce règlement lui-même», observe l'Assemblée des premières nations dans son site internet.
Les gagnants: les avocats
«Ça fait des années qu'on engraisse des bureaux d'avocats, résume Rémi Savard. Avec la paix des Braves, on avait pourtant trouvé un modèle d'entente politique plutôt que juridique, fruit de négociations de bonne foi entre le gouvernement du Québec et les Cris. C'est vraiment dommage qu'on n'ait pas poursuivi dans cette voie.»
Et pendant ce temps, pendant que se brassent les milliards, certaines communautés autochtones attendent toujours l'eau courante. C'est le cas de Kitcisakik dont le chef Edmond Brazeau a lancé en novembre un SOS à Jean Charest et à la dizaine de ministres réunis au Lac-Saint-Jean à l'occasion du Forum socioéconomique des peuples autochtones.
«Chez nous, c'est le tiers-monde», a lancé M. Brazeau au micro. En effet, 380 personnes vivent là, à 100 kilomètres au nord de Val-d'Or «sans électricité, sans eau courante, sans commodité moderne et sans école pour les petits».
En novembre, les politiciens avaient été émus de ce cri du coeur et avaient promis d'agir.
Où en est-on, sept mois plus tard?
«J'étais là il y a quelques semaines, et il y avait toute une armée de fonctionnaires, dit Ghislain Picard, président pour le Québec de l'Assemblée des premières nations. Ils devaient être 30, aussi bien de Québec que d'Ottawa. J'espère que ça va donner quelque chose, parce que la communauté épuise son espoir.»
C'est en raison de tous les Kitcisakik du Canada qu'Ellen Gabriel, présidente de l'organisme Femmes autochtones du Québec, est divisée au sujet de cette journée nationale de protestation autochtone.
«Les revendications territoriales sont légitimes. Ces terres nous sont dues. Seulement, j'aimerais qu'en parallèle, nos leaders - qui sont malheureusement presque tous des hommes - mettent autant d'ardeur à régler les problèmes sociaux pressants qu'à récupérer nos biens.»
Sondage SOM-La Presse
Que pensez-vous des revendications autochtones ?
La plupart sont fondées 15,5%

Certaines sont fondées, d'autres sont exagérées 39,2%

La plupart sont exagérées 36,8%

NSP/NRP 8,5%
À quel type de revendications le Canada devrait-il être le plus ouvert ?
Les revendications territoriales 5,9%

Les demandes de financement de programmes sociaux 27,5%

Les demandes d'autonomie gouvernementale accrue 8,4%

Les trois à la fois 52,6%

NSP/NRP 5,6%
Estimez-vous que le gouvernement du Canada s'occupe des revendications autochtones...
Très bien 13,6%

Assez bien 45,0%

Assez mal 25,7%

Très mal 10,6%

NSP/NRP 5,2%
Estimez-vous que le gouvernement du Québec s'occupe des revendications autochtones...
Très bien 13,5%

Assez bien 48,0%

Assez mal 23,8%

Très mal 9,2%

NSP/NRP 5,5%
La pauvreté de plusieurs communautés autochtones est-elle analogue à celle vécue dans le tiers-monde?
Tout à fait d'accord 9,2%

Plutôt d'accord 31,6%

Plutôt en désaccord 30,4%

Tout à fait en désaccord 23,9%

NSP/NRP 4,9%
L'argent dépensé pour les communautés autochtones par les gouvernements est... géré par ces communautés.
Très bien 2,9%

Assez bien 25,0%

Assez mal 40,0%

Très mal 25,7%

NSP/NRP 6,5%
Selon votre perception, la situation des femmes autochtones au Canada est-elle...?
Très bonne 5,9%

Assez bonne 37,8%

Assez mauvaise 35,9%

Très mauvaise 12,8%

NSP/NRP 7,7%
Pensez-vous que les mesures que menacent de prendre certains auctochtones comme bloquer les routes ou les trains...?
Les aident à se faire entendre 17,0%

Nuisent à leur cause 63,3%

N'ont aucun impact 17,4%

NSP/NRP 2,3%
Comment qualifiez-vous l'aide financière aux communautés autochtones ?
Très insuffisante 2,5%

Insuffisante 21,5%

Suffisante 51,5%

Excessive 17,7%

NSP/NRP 6,8%
MÉTHODOLOGIE : Ce sondage SOM- La Presse a été réalisé du 6 au 18 juin 2007 auprès de 1006 Québécois. Sa marge d'erreur est de 4,2 points de pourcentage, 19 fois sur 20.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé