Le tabou constitutionnel

La nation québécoise vue du Québec


Les candidats à la direction du Parti libéral du Canada se sont rencontrés dimanche à Québec pour un débat en français -- quoiqu'il ne soit pas certain que le charabia parlé par plusieurs d'entre eux était bien du français. Comme il se doit, on a discuté de révision constitutionnelle, surtout pour blâmer Michael Ignatieff de vouloir ressusciter un tel projet.



Depuis le début de sa campagne au leadership, Michael Ignatieff ne craint pas de nager à contre-courant des grands préceptes qui ont été à la base de l'action de son parti ces dernières décennies. Sa vision sur plusieurs sujets diffère des idées reçues libérales, qu'il s'agisse de l'accord de Kyoto, du financement de la santé ou encore du rôle du Canada sur la scène internationale. L'idée qu'il lançait la semaine dernière, dans un premier manifeste politique, de reconnaître le Québec comme nation et d'inscrire cette reconnaissance dans la constitution a encore plus étonné.
Que les Québécois forment une nation, cela M. Ignatieff l'avait dit en juin dernier pour se distinguer du premier ministre Stephen Harper qui, à l'occasion de la Fête nationale du Québec, avait refusé de s'avancer sur un tel terrain. Le propos du prétendant à la direction du Parti libéral était apparu alors plutôt anodin, car, comme l'avait dit Stéphane Dion, il est bien évident que, sur le plan sociologique, le Québec est une nation. Par contre, l'inscrire dans la Constitution donne à la chose une tout autre dimension.
D'emblée, l'intention de Michael Ignatieff a été qualifiée de sottise par un quotidien de Toronto. Comme l'a rappelé dimanche Bob Rae, le Canada a déjà connu deux échecs constitutionnels avec les accords du lac Meech et de Charlottetown, et rien n'est moins certain que de réussir. La rigidité du processus d'amendement constitutionnel légué par Pierre Trudeau impose un degré de difficulté très élevé. Dans l'esprit de plusieurs, pires sont les implications juridiques d'une telle reconnaissance, dont le corollaire implicite serait le droit à l'autodétermination.
Lancer un tel pavé dans la mare montre bien à quel point Michael Ignatieff est un candidat différent des autres. Ayant vécu à l'étranger la majeure partie de sa vie adulte -- ce que ses adversaires lui reprochent --, il lui est possible d'avoir un regard frais sur la politique canadienne. N'ayant pas vécu les échecs de Meech et Charlottetown, il n'est pas défaitiste comme peut l'être Bob Rae. Il a d'ailleurs raison lorsqu'il souligne que les libéraux, s'ils ne veulent pas être le parti du statu quo, ont le devoir de tenter à nouveau de conclure l'architecture de la fédération restée inachevée depuis 1982.

À quel point Michel Ignatieff est-il sincère lorsqu'il propose une telle démarche ? Cherche-t-il vraiment à mettre fin à l'exclusion constitutionnelle dans laquelle les autres politiciens, libéraux comme conservateurs, veulent les maintenir en prétextant que le temps a montré qu'il n'y avait pas péril en la demeure ? Chose certaine, il ne doit pas avoir la naïveté de croire que les Québécois se contenteront de vagues symboles. S'il veut leur donner un choix qui soit autre que le statu quo ou l'indépendance, il devra avoir des propositions consistantes à leur soumettre.
La résistance que rencontre déjà M. Ignatieff dans son parti aura valeur de test. Si elle doit lui coûter trop de votes lors du congrès de décembre, il pourra être tenté de battre en retraite. C'est là qu'on verra s'il est l'homme de convictions, cet autre Pierre Trudeau qu'on dit qu'il est. Sans présumer de ses autres qualités, le candidat Ignatieff se démarque pour l'instant par ce désir de s'attaquer au tabou constitutionnel. Il démontre qu'une course au leadership peut, pour peu qu'on ait un peu d'audace, tracer des voies nouvelles.
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bdescoteaux@ledevoir.ca


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