Le Québec vu de France : changement d'échelle

Québec 400e - vu de l'étranger


Il y a une trentaine d'années, la minute de téléphone entre Paris et
Montréal coûtait 17 francs, soit à peu près 2,50 euros. On demandait une
communication ou un PCV et on attendait, rarement moins de deux heures, que
la téléphoniste vous rappelle.
A l'époque, le Québec restait une province lointaine, exotique et -
forcément - rurale où très peu de gens avaient mis les pieds. Il y eut une
première percée culturelle dans les années 1970, mais sur un mode qui
restait condescendant : ce furent les succès de chanteurs comme Gilles
Vigneault et Robert Charlebois, qui apportaient "un tel vent de
fraîcheur"... Quelques milieux plus ou moins branchés portèrent aux nues
les films de Gilles Carle Les Mâles ou La Mort d'un bûcheron, qui n'étaient
pourtant pas des chefs-d'oeuvre, mais qui se passaient à la campagne.

Changement d'échelle trente ans plus tard. A Paris ou en province, qu'il
s'agisse de journalistes, d'enseignants, de restaurateurs, de producteurs
de spectacles ou de retraités, presque tous les Français que vous croisez
sont allés au moins une fois au Québec, pour des raisons professionnelles
ou pour faire du tourisme.
Mais l'essentiel est ailleurs. A l'origine, les Québécois étaient ces
cousins abandonnés deux siècles plus tôt, qui avaient "héroïquement"
défendu leur langue et qu'il fallait aider. Et, bien sûr, ils venaient tous
de la campagne. Aujourd'hui, sans exagération, Québec est devenu synonyme
de succès dans beaucoup de milieux qui comptent : le monde économique dans
son ensemble, le show-business, peut-être même la télévision.
Les Français respectent les rapports de forces. Et les observateurs
avertis ont bien enregistré, dans les dix ou quinze dernières années,
quelques formidables exploits qui ne doivent rien aux sympathies politiques
ou familiales. Le 15 février, dans le grand salon de l'Elysée, le président
Sarkozy décorait de la grand-croix de la Légion d'honneur le fondateur de
la holding Power Corporation, Paul Desmarais père, devenu un acteur
économique majeur en Belgique et en France (Total, la CLT, etc.). On
apprenait que Nicolas Sarkozy est un de ses intimes depuis 1995. Parmi les
invités personnels de Paul Desmarais, ce soir-là : Bernard Arnault, Martin
Bouygues, Serge Dassault, Claude Bébéar. Entre autres.
La famille Péladeau, de son côté, a fondé l'empire Québécor, devenu le
premier imprimeur de France (et le deuxième aux États-Unis), avant de
connaître des déboires. Quant à la famille Bombardier, dont jadis un
ingénieur avait bricolé un engin aussi amusant que bruyant, la motoneige,
elle contrôle un empire devenu le premier constructeur de matériel roulant
en Europe - qui vient de réaliser le tramway de Marseille.
Autrefois pauvres cousins, les Québécois sont maintenant considérés ici et
là comme des "envahisseurs". Bombardier, qui remporte souvent des contrats
contre Alstom, fut dénoncé par Nicolas Sarkozy. Les sympathiques chanteurs
à texte des années 1970 ont fait place à de redoutables champions du Top 50
: Roch Voisine, Starmania et Notre-Dame de Paris, Isabelle Boulay, Garou.
Et bien sûr Céline Dion, qui, pour les Français, a réussi à atteindre
l'inaccessible étoile : numéro un aux Etats-Unis - 200 millions d'albums
vendus, 3 millions de spectateurs en quatre ans à Las Vegas. Les blagues à
propos de son accent appartiennent presque à un passé révolu.
Le plus beau ? Au début de l'année, pour tenter de relancer une audience
déclinante, TF1, qui ne fait pas dans le sentiment, est allé chercher André
Béraud pour en faire son nouveau patron des fictions. A Montréal, en lieu
et place des bûcherons de Gilles Carle, il y a, le plus souvent, des
gagneurs.

***
Louis-Bernard Robitaille, correspondant à Paris du quotidien La Presse de
Montréal


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