8 - Le problème du Québec - Une crise d’adolescence qui se prolonge
(Vigile a publié récemment quelques textes de moi sur le Québec dans le contexte du débat encadré par la Commission Bouchard-Taylor. L’accueil sympathique accordé à ces textes ainsi que l’encouragement de quelques amis m’ont décidé à publier les pages suivantes qui forment le huitième chapitre d’un livre sur la chrétienté et l’avènement de la modernité que j’espère publier dans les mois qui viennent. La conviction qui m’habite, c’est qu’il n’est pas suffisant d’effleurer les questions qui se posent à notre esprit. Il faut dépasser le défoulement, les impressions vagues et la censure que nous impose une rectitude politique asphyxiante, et replacer les questions et les problèmes dans un contexte plus large. Je remercie Vigile de son hospitalité).
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Les nations sont un peu comme les individus. Elles naissent, elles ont leur enfance, leur adolescence, leur maturité, leur mort. Il est bien des nations de l’Antiquité qui sont disparues à jamais. D’autres, comme la nation française ou la nation américaine, pour n’en nommer que deux, sont à leur apogée. Tiendront-elles le coup devant l’éveil des grandes puissances asiatiques?
Le Québec, que même le Fédéral reconnaît comme nation, s’appelait d’abord la Nouvelle-France, puis le Canada, puis enfin, le Québec, dont Marcel Rioux a bien fixé les traits dans son beau petit livre Les Québécois, paru dans les années soixante. Mais ce peuple, malheureusement, contrairement aux autres peuples d’Amérique, n’arrive pas à se prendre en main. Les États-Unis se sont émancipés de la métropole anglaise, à la fin du XVIIIe siècle. Les colonies espagnoles et portugaises de l’Amérique ont pris leur envol, mais le Québec, qui était une colonie française, est tombé sous la coupe de l’Angleterre d’abord, et ensuite du Canada qui n’est que le prolongement de l’Empire britannique. Cela fait un drôle d’amalgame, crée une ambiguïté qu’il est difficile de dissiper. Le grand écrivain français Alexis de Tocqueville, qui vint en Amérique au XIXe siècle, se rendit à Québec, en 1831, où il visita un tribunal civil. Le spectacle auquel il assista lui fit écrire: « L’ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d’incohérent, de burlesque même. Le fond de l’impression qu’il faisait naître était cependant triste. Je n’ai jamais été plus convaincu qu’en sortant de là que le plus grand et plus irrémédiable malheur pour un peuple c’est celui d’être conquis»1.
Si Tocqueville revenait aujourd’hui, que dirait-il? Que penserait-il de la situation qui nous est faite par le rapatriement unilatéral de la Constitution, par l’échec de deux référendums? Que penserait-il du manque de fermeté de nos hommes politiques? De la perplexité qui caractérise notre vie politique, sociale et culturelle? Le Québec semble avoir perdu le goût de vivre, il se dissipe dans mille activités futiles, vulgaires, bruyantes. Nous avons au Québec le plus haut taux de suicides au monde chez les jeunes. Le taux de natalité est un des plus bas au monde lui aussi. Nous détenons des records dans plusieurs domaines. Le décrochage scolaire est une plaie. Et l’on pourrait allonger la liste de nos déboires...
Que se passe-t-il au Québec? Qu’arrive-t-il des descendants de ces gens qui autrefois ont exploré l’Amérique du Nord en tous sens, des descendants de ces bâtisseurs qui ont défriché la forêt et bâti le pays sur les rives du Saint-Laurent? Ce qui pour moi décrit le mieux le malaise dans lequel nous nous retrouvons actuellement, c’est la notion de crise d’adolescence. Le Québec connaît une crise d’adolescence dont il ne réussit pas à se sortir. On sait que beaucoup d’adolescents sont malheureux, perplexes, indécis, vivent en réaction contre leurs parents mais ne réussissent pas à s’en séparer, pensent au suicide et souvent se suicident.
La Révolution tranquille avait toutes les caractéristiques de l’adolescent qui prend conscience qu’il existe, qui croit que rien n’a existé avant lui, qui s’imagine que le monde va changer avec lui. La Révolution tranquille a éclaté dans l’enthousiasme pour se transformer peu à peu en une capitulation tranquille, [une « dénationalisation tranquille », dit Mathieu-Bock Côté.->aut287]
Vers 1960, on pouvait penser que l’adolescent allait s’affranchir, qu’il allait quitter la maison paternelle, ou plutôt la maison de la belle-mère. On lui signifia même, en 1982, qu’il n’était pas le bienvenu, on le mit à la porte, mais il persista dans son entêtement à rester à la maison. Lors des deux référendums de 1980 et 1995, lors de Meech, on lui expliqua qu’il s’était fait avoir mais il s’empressa d’oublier ces escroqueries. Cela l’excusait de rester au foyer, de ne pas se prendre en main.
Nous sombrons toujours un peu plus dans l’informe
La situation du Québec dans le Canada est étrange. Le Canada fait tout pour que le Québec le quitte et en même temps, il ne veut pas le laisser partir. C’est qu’il croit qu’il finira par l’assimiler, le fondre dans le tout canadien. Il faut comprendre que le Québec pourrait bien se passer du Canada mais pas le Canada du Québec. Ne serait-ce qu’au point de vue purement géographique, un Canada coupé en deux par le Québec, comme le reconnaît un anglophone, Thomas Sloan, ne serait pas viable. Advenant l’indépendance complète du Québec, il arriverait au Canada ce qui est arrivé au Pakistan qui s’est rapidement disloqué, après la partition de l’Inde, pour former deux pays distincts, le Pakistan et le Bengladesh. On voit ainsi que le Québec est voué à maintenir le Canada qui veut l’avaler.
Mais plus précisément, ce qu’il faut comprendre, c’est que le Canada est fondamentalement construit sur l’hypothèse de l’assimilation à longue durée du Québec par le Canada. En 1867, l’intégration du Québec au Canada ne s’est pas faite de façon démocratique, par voie de référendum, par exemple. Cette intégration a été faite par le moyen de l’action politique et se perpétuera comme un rouage bien huilé par le moyen de la petite loterie qu’a si bien décrite Stéphane Kelly dans son livre La Petite loterie, ou par ce que André Laurendeau avait appelé le recours au « roi nègre». Les Trudeau, les Chrétien et compagnie ne manqueront jamais. Jamais un Canadien anglais n’aurait pu traiter le Québec comme l’ont fait Trudeau et Chrétien.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en réalité, la Confédération a privé le Québec de tout pouvoir politique véritable, de tout pouvoir politique national. Les décisions politiques canadiennes se prennent à Ottawa. Nous y sommes en minorité. C’est ainsi, comme le montre très bien Pierre Vadeboncoeur, dans son excellent petit livre La Dernière heure et la première, que nous avons été mis en marge de l’histoire. On comprend que le Québec soit mal à l’aise dans le Canada, qu’il s’y sente menacé, et qu’il entretienne des velléités de s’émanciper. Lester B. Pearson avait compris la situation, me semble-t-il, et il avait jugé qu’après cent ans, il fallait remanier le pacte confédératif. Si, à ce moment-là, on avait corrigé l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867, pour faire du Canada une vraie fédération, disons à l’européenne, la situation du Québec aurait été tout à fait différente, mais on sait ce qui est arrivé. C’est le petit roi nègre Trudeau qui prit le pouvoir et s’empressa d’imposer les vues impérialistes de la métropole.
La grande majorité des Québécois d’aujourd’hui semblent oublier que le rapatriement unilatéral de la Constitution par Trudeau en 1982, a été rejeté par l’Assemblée nationale à l’unanimité, que d’une certaine façon, le Québec n’est pas dans le Canada, tout en y étant. Ajoutez à cela le scandale des commandites, le vol du référendum de 1995. J’écris ceci en octobre 2007. Je lis dans les journaux que Jean Charest se maintient au pouvoir grâce au vote des Anglos et des néo-Québécois. Il n’a besoin que de 15 à 20% des Canadiens français qui forment la très grande majorité du peuple québécois pour se maintenir au pouvoir. C’est une situation frustrante pour ceux qui ont fait ce pays mais on n’en a pas trop conscience, cela est confus, on s’accommode d’une non-existence débilitante. Ce à quoi nous assistons au Québec, c’est à la déliquescence d’un long acquis historique, d’une culture, d’une conviction, d’une volonté d’être et de durer. Nous sombrons toujours un peu plus dans l’informe.
Et on voudrait que les Québécois soient fiers d’être Québécois!
Et qu’arrive-t-il de nos hommes politiques dans ce contexte? Ils regardent passer la procession. Ils assistent au spectacle. On nous impose une Constitution que nous ne voulons pas? Il n’y a rien là. La vie continue. On nous vole un référendum. Chut! Pas de vagues s’il vous plaît! Etc., etc. Déjà Lionel Groulx, autrefois, affirmait que nos hommes politiques, qui acceptaient les ententes comprises dans le pacte confédératif ne savaient pas en tirer tous les avantages qu’ils auraient pu. Quand j’observe la conduite de nos hommes politiques ces dernières décennies, je me dis que nous n’avons pas tellement évolué depuis le temps de Duplessis. Quand j’écoute nos hommes politiques , je me dis que nous sommes encore au nationalisme du temps de Duplessis que Pierre Vadeboncoeur a si bien décrit: « Le nationalisme, chez nous, est une faible ébauche de mouvement vers le pouvoir. Il ne convoite cependant pas le pouvoir; il existe comme un pouvoir abstrait et méditatif en marge du pouvoir réel et actif, et chacune de ses recrudescences représente un mouvement instinctif, mais aveugle et tout à fait irrésolu vers le pouvoir ». Ce texte est de 1952, il est cité par Yvan Lamonde2, qui cite de nouveau Vadeboncoeur à la page suivante: « Vaincus, trop incertains de notre destinée, minorité, nous avons contracté le pli de ne pas aller au bout de notre volonté. » C’est déjà le Parti québécois dans toute sa vérité! Plus loin, après avoir affirmé qu’il faut rompre, Vadeboncoeur affirme: « Mais rompre est un acte violent, au-delà duquel il y a risque de ne pas retrouver d’assiette»3. Ce qui est bien le problème du Québec depuis les bouleversements de la Révolution tranquille.
Le Québec actuel offre tous les signes de la crise d’adolescence. Il voudrait s’affranchir mais n’ose pas. Il s’affirme et se nie en même temps. Le Québec se sent étranger dans son propre pays comme l’adolescent dans la maison de sa belle-mère. Il est insatisfait mais ne sait ce qu’il veut. Il est aussi mal à l’aise envers son passé qu’envers son avenir. C’est qu’il ne sait pas qui il est finalement, il n’a pas de statut stable. Il fait des lois et d’autres les tripotent à leur aise. Pensez à la loi 101. On lui impose dans le continent un statut qu’il n’a jamais accepté. Et on voudrait que les Québécois soient fiers d’être Québécois!
Je ne comprends pas le sens d’un certain discours nationaliste axé sur la fierté. Je pense à cet étudiant qui ne voulait pas étudier l’histoire du Québec parce qu’elle était constituée d’une série d’échecs. Il préférait l’ignorer, et en un sens, je le comprends car notre histoire, depuis 1760, n’est pas de nature à susciter de la fierté. Je ne dis pas qu’il ne faille pas l’étudier, bien au contraire, mais pas par fierté, pour comprendre ce qui se passe actuellement. De quoi les Québécois seraient-ils fiers? De l’échec de deux référendums? Des commandites? Du rapatriement unilatéral de la Constitution contre la volonté unanime de l’Assemblée nationale? De démantèlement de Mirabel? De la piètre performance de notre système de santé? De la crise qui secoue le système d’éducation? Du délabrement de la langue française au Québec? Du saccage de la Loi 101 par la Cour suprême du Canada?
Et si nous remontons plus loin encore, pouvons-nous être fiers de l’écrasement des Patriotes par des gouverneurs et des militaires sanguinaires? Je pense aux Patriotes. C’est presque être sadiques que d’être fiers de gens qui se font tuer pour avoir combattu pour le respect des droits démocratiques. J’ai beaucoup de compassion pour eux, leur échec est le mien et ce n’est que lorsque le combat qu’ils ont entrepris arrivera à son terme que nous pourrons être fiers de ce qu’ils ont entrepris. Est-ce que je peux être fier de l’imposition de l’Acte d’Union qui nous forçait à acquitter les dettes de l’Ontario, qui nous imposait le même nombre de députés que l’Ontario alors que nous étions plus nombreux qu’eux? De la Confédération qui nous a été imposée sans référendum, sans consultation populaire? Et l’on pourrait continuer longtemps. Le temps n’est pas à la fierté mais il devrait être à la lucidité et à la fermeté. Ne me parlez pas de fierté, mais de détermination, de volonté d’indépendance, de défis à relever. C’est lorsque nous nous serons pris en main que nous aurons raison d’être fiers. C’est alors que nous sortirons de la crise de l’adolescence. « Si nous voulons devenir souverains, comme l’explique Louis Bernard, [c’est d’abord pour nous-mêmes->8344]. Non pour nous libérer des autres, mais pour être libres de nos choix»4.
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Notre Révolution tranquille est complexe parce qu’elle a deux dimensions qui s’influencent. Elle a été pour nous le passage de la société traditionnelle à la société industrielle et postmoderne, et en même temps une démarche vers l’autonomie politique ou vers l’indépendance. Elle était une révolution nationale, l’aboutissement d’un long effort historique. Elle devait marquer la fin de la domination du Canada sur le Québec. Elle était le moment que l’histoire offrait au Québec de se prendre en main. Le Canada anglais a aussi fait son passage de la société traditionnelle à la société postmoderne, mais il n’avait pas besoin de mener le même combat politique que nous. Notre situation était donc beaucoup plus difficile que celle du reste du Canada, et elle continue à être extrêmement problématique. En 1960, le moment était venu de corriger le désastre de 1760. L’opération a échoué à cause du manque de détermination de nos hommes politiques. La tentative timide de se prendre en main s’est transformée en refus de soi, en refus de son identité, et spécialement de son identité profonde, son identité religieuse. Les conséquences d’une telle démission sont désastreuses. Un peuple n’existe pas, s’il n’a pas une certaine conscience de son identité. Et comme dit Jacques Grandmaison, « on ne se crée pas une nouvelle identité à partir de zéro».
Je m’arrête ici quelque peu à cette perte de son identité religieuse qui affecte le Québec dans le sillage de la Révolution tranquille. Je note d’abord que je suis mal à l’aise dans ce Québec qui refuse son identité chrétienne, qui en a fait une espèce d’interdit. Dans notre Québec « évolué », « libéré », il faut faire comme si nous n’étions pas de culture chrétienne, il ne faut pas parler de cela. On peut parler de l’islam, du zen, du bouddhisme, mais pas du christianisme, et surtout pas du catholicisme. Cela fait ringard, réactionnaire, de « droite », conservateur. Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, des écrivains, des gens des médias se sont occupés à démolir la culture chrétienne, à ridiculiser la présence de l’Église dans la société et dans l’histoire, et nous subissons actuellement les conséquences désastreuses de cette entreprise de démolition.
Je comprends que des gens n’aient pas la foi et je respecte tout à fait les options spirituelles de chacun. Mais je parle ici de culture. Les Québécois, les Canadiens français du Québec, qu’ils le veuillent ou non , qu’ils l’admettent ou non, qu’ils aient la foi ou qu’ils ne l’aient pas, sont de culture chrétienne. Ils ne sont pas de culture indouiste ou bouddhiste ou musulmane, ils sont de culture chrétienne ou ils ne sont rien au point de vue culturel.
Encore une fois, je ne parle pas ici de la foi, je parle de la culture dans le sens où je l’ai considérée au chapitre cinq. La culture n’est pas que jeu d’esprit ou raffinement. Elle assume et consacre la relation de l’homme au monde, la relation de l’individu aux autres individus, à la collectivité, la relation de l’homme à l’Univers, à la transcendance. La culture comporte un aspect religieux, tout comme la nation, parce qu’elle implique l’homme et son destin. Je ne parle pas de foi chrétienne ou autre. Je parle de principes, de valeurs, de convictions, de croyances qui sont le produit d’une longue expérience de la foi chrétienne. La culture, on pourrait prendre ici le mot au sens de civilisation, est toujours pour une part un héritage. Même si l’héritier renie ses parents, il ne reste pas moins qu’il dispose d’un bien dont il a hérité. Mais s’il refuse cet héritage, il est démuni. La culture québécoise est le produit d’une longue expérience chrétienne et la négation de cette donnée est assimilable à une forme de suicide.
La culture implique l’idée de création de sens, d’intégration de l’homme à l’univers, d’une certaine manière pour les hommes de vivre ensemble. Or une nation, c’est un groupement humain qui a une histoire commune, des valeurs communes, une certaine culture commune. C’est pourquoi la nation comporte une dimension religieuse.
Ce qui s’est passé au Québec dans la deuxième moitié du vingtième siècle, c’est ce qui s’est passé en Occident, dans la chrétienté occidentale, au même moment, mais cette mutation s’est conjuguée chez nous à une démarche d’affranchissement nationale, ce qui compliquait énormément le processus.
Prenons l’exemple d’un pays musulman, disons le Maroc, qui est un de la soixantaine de pays qui ont fait leur indépendance dans la deuxième moitié du vingtième siècle. L’islam ne connaît pas à ce moment la profonde mutation que connaît la chrétienté. Le Maroc s’affranchit de la domination d’une puissance étrangère pour se prendre en main, pour retrouver son autonomie. Cette démarche est en même temps qu’une démarche de libération, une affirmation, une consolidation de son identité religieuse. Je ne dis pas que toutes les libérations nationales qui se sont produites au vingtième siècle sont des réussites, mais je suis d’avis que le mouvement de libération du Québec avait une caractéristique particulière qui devait rendre le processus confus, ambigu, et qui explique que la démarche de libération se soit transformée en une démarche de refus, de négation.
J’ai essayé de décrire dans mon sixième chapitre « Feu la chrétienté », la transformation qui a affecté la chrétienté occidentale au seuil de la modernité. C’était une transformation radicale qui devait affecter la société québécoise car non seulement nous faisions partie de la chrétienté, mais la religion chrétienne était pour nous le château fort de la résistance. En 1760, la colonie canadienne est décapitée. Les cadres, la bourgeoisie, l’armée retournent en France. Ils sont remplacés par le conquérant qui s’empresse d’exclure les Canadiens de la vie publique en imposant le Serment du Test. Le pouvoir nous échappe. L’Église dès lors apparaît comme la gardienne du peuple canadien qui s’organisera en marge du pouvoir politique. Un Canadien anglais, Thomas Sloan, affirme que le contexte de la Conquête fera de l’Église canadienne une Église « authentiquement nationale ». Que l’Église sera « le facteur décisif d’une réelle survivance de la culture française en Amérique du Nord ». Il explique que « le monolithisme dont le Canada français catholique a fait preuve au xxe siècle exprime la réaction immédiate d’un peuple menacé face aux dangers de l’assimilation et de l’extinction. L’Église, dit-il, et la nationalité se rapprochèrent l’une de l’autre dans un but de protection mutuelle »5.
Le sens de la Révolution tranquille c’est de mettre fin à cette période historique pendant laquelle l’Église a en quelque sorte joué un rôle de suppléance. Les gens du Québec s’appellent maintenant les Québécois. Ils ont conscience de former un peuple, une nation, ce que le Fédéral refuse d’abord mais finit par accepter, ne pouvant faire autrement. L’État québécois prend le pouvoir. L’Église se démet de ses fonctions de suppléance dans le monde de l’éducation et de la santé. C’est une nouvelle époque qui commence et qui devrait déboucher sur l’indépendance. Cette échéance tarde à se réaliser et ce retard explique la perplexité dans laquelle se retrouvent les Québécois.
Mais ce que je veux considérer ici, c’est la crise religieuse ou spirituelle qui affecte les Québécois dans cette démarche d’affirmation et d’émancipation. Il faut rappeler que l’Église n’était pas opposée à la démarche de fond de la Révolution tranquille. Elle en était plutôt un agent inspirateur actif. Comment expliquer dès lors que la Révolution tranquille a entraîné une profonde désaffection de la religion catholique, une désaffection profonde du Québec à l’égard de son héritage spirituel?
Je vois deux causes à cette désaffection qui prend l’allure d’une débandade. La première est ce que j’ai appelé précédemment le refus de soi du colonisé, le refus de son identité. C’est ce qui explique pour une part que le Québécois ne s’intéresse pas à son histoire, qu’il se soucie très peu de respecter la langue française. Le colonisé se méprise lui-même comme l’ont expliqué si éloquemment les penseurs comme Jacques Berque, Jean-Paul Sartre, Frantz Fanon et tant d’autres, et il ne peut échapper à cette aliénation qu’en accédant à l’autonomie, à l’indépendance. Ce qui est assez étrange, c’est que le Parti québécois qui voulait faire l’indépendance ne se soit pas soucié d’améliorer l’enseignement de l’histoire et de la langue française qui constituent pourtant des facettes importantes de notre identité.
La deuxième cause est liée à la conjoncture occidentale. Au moment où le Québec connaissait sa révolution historique, la chrétienté occidentale, dont fait partie le Québec, connaissait elle aussi une profonde mutation. Nous étions au Québec en pleine chrétienté. Or voici qu’en Europe, la chrétienté se remet en question, se désagrège. La crise est en quelque sorte reconnue et accréditée par le Concile Vatican II qui reconnaît que la vie chrétienne doit se moderniser. Vatican II reconnaît en quelque sorte que la chrétienté, au sens où je l’ai décrite précédemment, est périmée, que la vie chrétienne doit se donner une nouvelle expression. Le Québec s’insère dans ce mouvement et on peut dire que chez nous, la Révolution tranquille, tout en étant un effort de nous prendre en main est aussi une tentative de nous défaire d’une certaine image de nous-mêmes. Reprenons cette considération de façon plus explicite. Le colonisé musulman ou indou se libère du colonisateur pour retrouver son identité. La révolution se fait contre l’autre. Au Québec, la Révolution tranquille se fait contre le colonisateur et en même temps contre une image de nous-mêmes, ce qui chez plusieurs se transforme en un rejet de notre identité.
On comprend que cette démarche pouvait se prêter à beaucoup de confusion, et de fait, elle s’est enveloppée de confusion.. Les esprits chagrins et butés avaient beau jeu de tabler sur un malaise qui n’ était que trop évident, d’aviver des frustrations persistantes, de proposer les interprétations les plus fantaisistes. Dans cette opération, la lucidité n’a pas été au rendez-vous. Certes il fallait faire la critique de la société traditionnelle mais il fallait éviter de provoquer chez le Québécois le rejet de son identité, le rejet de lui-même. Il fallait rejeter un vêtement, on a rejeté une identité. À l’ère des « libérations », il fallait se « libérer » de tout et de n’importe quoi!
On pourrait considérer l’opération sous l’angle du procès. D’ailleurs, dans le contexte de la modernité, la « mentalité de procès », comme l’appelle Milan Kundera, sied très bien aux grandes mutations de société. C’est tout naturellement que le débat public prit la forme d’un procès de la société traditionnelle qu’on se plaisait à accuser sans considérer les nuances et les précisions qu’un véritable esprit critique aurait pu produire. Dans un contexte historique comme celui qui est le nôtre, les simplifications grossières passent souvent pour des oracles et les grossièretés pour des gestes courageux.
On peut aussi considérer l’opération sous l’angle du déroulement de l’histoire. « Celui qui est libre du passé est libéré », écrit André Comte-Sponville6 . Il me semble que la plupart de nos nouveaux clercs seraient d’accord avec une telle affirmation. Pourtant, s’il est vrai qu’on ne peut traîner avec soi les frasques du passé, il n’en reste pas moins qu’on ne peut se débarrasser du passé comme on le voudrait. Le passé n’est pas une fiction, il est en nous, il fait partie de nous, nous sommes son oeuvre pour une part. Nous ne sommes pas encore dans l’éternité. C’est le temps qui donne à notre être sa consistance. Rejeter son passé, c’est se refuser soi-même et ce refus peut être catastrophique.
La relation des Québécois à leur passé est lourde de malentendus, de frustrations et de souffrances. Leur mémoire, comme celle de tous les peuples colonisés, est une mémoire malade. Elle considère l’histoire pour essayer d’expliquer le malheur qui lui est arrivé, elle excuse les uns, accuse les autres. Autant tout oublier, ou essayer d’oublier. Je suis toujours étonné de voir avec quelle facilité, quelle rapidité les Québécois se sont accommodés du rapatriement unilatéral de la Constitution, du refus des Accords du Lac Meech, des Commandites, du vol du référendum de 1995, et je ne remonte pas à l’Union qui nous a été imposée dans le mépris, de même que la Confédération. Les Québécois gardent le silence sur leur passé, ce qui ne veut pas dire qu’ils l’oublient mais qu’ils ne peuvent supporter le regard sur leur passé. Ils ont conscience qu’il s’est passé quelque chose d’injuste. Ils ne savent pas trop quoi. Mieux vaut oublier. Mais ce n’est pas possible. On n’oublie pas une blessure, même si on ne sait trop comment elle s’est produite. Elle est toujours là, et elle rend la vie inconfortable, elle compromet le bonheur. Le Québécois ne peut oublier son passé, et il le porte comme une blessure.
Délabrement profond de l’armature spirituelle
La Révolution tranquille, cela est bien évident, était nécessaire. Le Québec devait sortir de ce que j’appelle l’époque de la survivance qui était étayée par l’Église. Mais c’était une opération délicate. Il fallait éviter, dans cette opération de correction, de tout bazarder. Or elle s’est faite de façon aveugle, anarchique, en même temps que se produisait la révolution technologique, l’avènement de la postmodernité, et la grande mue de la chrétienté. Tout ce qui existait devenait caduc. Il fallait s’accrocher à du nouveau, quel qu’il soit, se réinventer à partir de rien.
Celui qui a le mieux décrit la nature et les implications de cette mutation me semble bien être Pierre Vadeboncoeur dans son livre magistral Les Deux royaumes. Il est clair pour moi qu’il touchait au coeur même du problème, et si son ouvrage fut accueilli si sévèrement par certains, c’est parce qu’il mettait le doigt sur des fourvoiements qui n’étaient que trop évidents.
Vadeboncoeur écrit par exemple: « Être moderne, aujourd’hui, ce n’est pas être quelque chose, c’est n’être rien, préalablement. C’est être avant ce qui sera ... C’est le no man’s land de l’histoire, de la philosophie, de la politique, de la morale, de la culture, et aussi de l’humain...» Et plus loin: « Mais en réalité, non seulement a-t-on détruit le passé, mais ce faisant, on a détruit aussi quantités de passages vers l’avenir »7. La société s’est en quelque sorte vidée de son âme. Elle n’offre plus de « justification de la beauté », ni de l’amour, ni de la vertu, ni de l’esprit8. Vadeboncoeur met cette déperdition en relation avec l’apparition du scepticisme qui est un produit du dix-huitième siècle, ce qui me semble très juste, et du phénomène concomitant qui est la dissolution de la chrétienté. Avec la chrétienté se sont évanouis les « dogmes » qui avaient été « une forme de mémoire, un moyen de conservation et de transmission des symboles les plus élevés». Ce sont eux qui « soutenaient la voûte du ciel de l’homme»9. C’est la chrétienté qui, en Occident et dans le monde, la chrétienté comme institution culturelle, historique qui portait les raisons suprêmes, les « dogmes ». En s’évanouissant, en quelque sorte, la chrétienté a emporté avec elle les « dogmes », les valeurs, je dirais même les « raisons » qu’elle portait. On ne remplace pas du jour au lendemain cette armature spirituelle, cette structure culturelle. J’écris ceci en novembre 2007. Les médias décrivent jusqu’à satiété la perplexité de la société québécoise, le délabrement du système d’éducation. Ces flétrissures sont le signe d’un délabrement profond de l’armature spirituelle.
Comment, la chrétienté disparaissant, assurer la présence des « dogmes » à la conscience des humains? Une société sans « dogmes » est comme un bateau non lesté. Le monde où s’était déployée la « chrétienté » se trouve, au moment où celle-ci dépérit, dans la même situation que celle où se trouvaient les premiers chrétiens. Il a à inventer une nouvelle culture qui sera produite par l’expérience du monde nouveau, expérience inspirée et transfigurée par la foi. Ce processus est déjà en marche et se perpétuera jusqu’à la fin des temps. Déjà les signes de la post-chrétienté se manifestent. L’Église se renouvelle lentement mais sûrement. Ce que les discussions de la Commission Bouchard-Taylor nous ont peut-être révélé de plus précieux, c’est que le Québec populaire n’est pas ce que l’on imaginait. Les médias nous avaient habitués à penser que le peuple québécois avait complètement rompu avec son passé, avait renié son identité chrétienne. Or ce qui est apparu plusieurs fois au cours des discussions publiques, c’est que le vieux fond catholique québécois ne s’est pas évanoui. C’est ce que confirment les auteurs Raymond Lemieux et Jean-Paul Montminy: « ... le catholicisme québécois, à l’instar des autres confessions chrétiennes dans l’Occident sécularisé, est loin d’être moribond. Ses vérités, paradoxales, restent dans l’ombre, contrairement aux oeuvres encadrant la culture autrefois. Elles n’en demeurent pas moins actives et profondément ancrées dans les terreaux humains « 10.
C‘est ma conviction que la foi chrétienne ne peut mourir. Elle reste vivante dans les cendres mêmes de la chrétienté et inspirera une nouvelle culture. Il ne s’agit pas de rafistoler des structures anciennes, de coudre des pièces nouvelles dans de vieux vêtements, de mettre le vin nouveau dans de vieilles outres. Dans l’ordre de la foi, l’histoire n’obéit pas aux règles du progrès continu mais à celles de la mort et de la résurrection.
15 décembre 2007 Paul-Émile Roy
NOTES
1 - Cité par Marcel Rioux, Un peuple dans le siècle, Boréal, 1990, p. 276-277.
2 - Yvan Lamonde, « Est-on quitte envers le passé? Borduas, Vadeboncoeur et le dénouement de « Notre maître le passé », Les Cahiers des dix, No 60, 2006, p. 221.
3 - Ibid., p. 225.
4 - Louis Bernard, « Pourquoi le Québec libre », Le Devoir, 21 août, 2007.
5 - Thomas Sloan, Une révolution tranquille? Traduit par Michel van Schendel, Montréal, HMH, 1965, p. 48, 49, 47.
6 - André Comte-Sponville, L’Esprit de l’athéisme, Albin Michel, 2006, p. 197
7 - Pierre Vadeboncoeur, Les deux royaumes, Montréal, L’Hexagone, 1978, p. 183.
8 - Ibid., p. 192.
9 - Ibid., p. 48.
10 - Raymond Lemieux, Jean-Paul Montminy, Le Catholicisme québécois, Québec, Les Éditions de l’IQRC, 2000, p. 122.
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8 commentaires
Archives de Vigile Répondre
11 février 2013Roy met son doigt dans la plaie du peuple québécois : le refus de la spiritualité… Mais il cherche la solution dans le mauvais sens : la vieille structure mentale catholique comme propos aux problèmes de la société moderne. Le Québec, comme tous les autres pays, est en retard de comprendre qu’il doit et qu’il peut construire une nouvelle spiritualité qui soit d'accord avec les modernes découverts du monde extérieur et du monde intérieur aussi:
http://www.silo.net/es/conferences/index/4
Archives de Vigile Répondre
7 janvier 2008Je ne peux pas dire autrement monsieur que d'exprimer ma complicité avec vous car vous êtes Québecois comme moi. En effet vous pouvez dire n'importe quoi monsieur, et je serai d'accord avec vous. Tous mes vieux amis qui sont, depuis des années, rendus en Californie et en Ontario ne savent pas ce qui leur manque.
Danièle Fortin Répondre
16 décembre 2007Monsieur Roy,
La lecture de vos textes m’est toujours un agréable plaisir doublé d’une profonde source d’inspiration.
Permettez-moi d’ajouter mes commentaires à quelques unes de vos assertions.
Vous écrivez :
« Vers 1960, on pouvait penser que l’adolescent allait s’affranchir, qu’il allait quitter la maison paternelle, ou plutôt la maison de la belle-mère. On lui signifia même, en 1982, qu’il n’était pas le bienvenu, on le mit à la porte, mais il persista dans son entêtement à rester à la maison. Lors des deux référendums de 1980 et 1995, lors de Meech, on lui expliqua qu’il s’était fait avoir mais il s’empressa d’oublier ces escroqueries. Cela l’excusait de rester au foyer, de ne pas se prendre en main. »
Et vous citez Pierre Vadeboncœur :
« Le nationalisme, chez nous, est une faible ébauche de mouvement vers le pouvoir. Il ne convoite cependant pas le pouvoir ; il existe comme un pouvoir abstrait et méditatif en marge du pouvoir réel et actif, et chacune de ses recrudescences représente un mouvement instinctif, mais aveugle et tout à fait irrésolu vers le pouvoir ». Ce texte est de 1952, il est cité par Yvan Lamonde2, qui cite de nouveau Vadeboncoeur à la page suivante : « Vaincus, trop incertains de notre destinée, minorité, nous avons contracté le pli de ne pas aller au bout de notre volonté. » C’est déjà le Parti québécois dans toute sa vérité ! »
Ici, Monsieur Roy, vous dénoncez clairement ( et avec raison ) la faiblesse de nos leaders soi-disant souverainistes-autonomistes qui, systématiquement et lâchement, démissionnent devant les multiples assauts de l’ennemi laissant du coup les coudées franches aux politiciens professionnels ( de Bourrassa à Mario Dumont en passant par P.M. Johnson ) qui proposent toutes les variations possibles et inimaginables sur un même thème mortifère : celui toujours triomphant du fédéralisme canadian. Chez ces obsédés du pouvoir à la petite semaine, le confort du p’tit pouvoir prend le pas sur le véritable pouvoir, celui de la gouvernance d’un État. Seul l’ennemi sait composer avec le VRAI pouvoir. Et il l’exerce.... contre nous.
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À propos des multiples échecs des nôtres ( ex. les Patriotes ) et de la fierté que nous leur manifestons :
« Ne me parlez pas de fierté, mais de détermination, de volonté d’indépendance, de défis à relever. C’est lorsque nous nous serons pris en main que nous aurons raison d’être fiers. »
Oui, nous en sommes fiers car ils ont vraiment et résolument combattu l’ennemi, au péril même de leur vie. Que ces combattants pour la liberté et pour la justice en soient doublement honorés. Certes, ils ont perdu mais au moins ils auront essayé contrairement à nos élites politiciennes qui se complaisent dans la gestion provinciale.
À propos de notre héritage religieux :
« La culture québécoise est le produit d’une longue expérience chrétienne et la négation de cette donnée est assimilable à une forme de suicide. »
Concernant la critique et la désolation du rejet de l’héritage catholique que vous affichez dans votre texte, j’avoue ma perplexité et même mon opposition . Certes la religion fut un agent de cohésion important sinon essentiel à la survie de notre culture mais de tels ancrages doivent être appréhendés dans leur contexte historique. La monarchie française aussi fut un élément important d’identification et pourtant, face à ses excès, il a bien fallu au peuple français qu’il s’en départisse tout comme il nous a fallu nous départir de l’emprise aliénante de l’Église sur la société pour la changer par un autre ciment unificateur issu, celui-là, de la Révolution tranquille. Ce nouvel agent de cohésion pourrait être identifié par le signifiant québécois qui fait consensus et ...unification. Ce qui ne veut pas dire que nous rejetons toute représentation symbolique judéo-chrétienne, bien au contraire. Je ne pense pas qu’une majorité de Québécois s’oppose aux différents symboles représentés ici et là comme la croix du Mont-Royal ou à la dénomination de certaines villes portant le nom d’un saint ou d’une sainte; tout comme les Français n’ont pas brûlé les châteaux de Versailles et de la Loire dès la Révolution faite !
Vous ajoutez :
« Le colonisé musulman ou indou se libère du colonisateur pour retrouver son identité. La révolution se fait contre l’autre. Au Québec, la Révolution tranquille se fait contre le colonisateur et en même temps contre une image de nous-mêmes, ce qui chez plusieurs se transforme en un rejet de notre identité. »
Ici, Monsieur Roy je crains que vous n’ayiez recours à des exemples qui ne s’appliquent pas à la réalité québécoise. Les Musulmans et les Hindous restent attachés à leur religion pour la simple et bonne raison que la condition d’indigence économique dans laquelle ils sont maintenus les empêche de substituer leurs référents unificateurs sur d’autres bases émancipatoires. Leur identité prenant pricipalement sa source DANS leur croyance religieuse.
Là où je vous rejoins d’emblée de même que Pierre Vadeboncœur ( un penseur monumental ), réside dans l’importance de sauvegarder la transcendance, de conserver vivant l’essentiel de toutes les valeurs judéo-chrétiennes, soit : celui d’un a priori universel que l’on pourrait relier au principe du bien commun.
Et plus loin, vous nous confiez :
« Je suis toujours étonné de voir avec quelle facilité, quelle rapidité les Québécois se sont accommodés du rapatriement unilatéral de la Constitution, du refus des Accords du Lac Meech, des Commandites, du vol du référendum de 1995, [etc.] »
Je m’en étonne tout autant...et, plus encore, m’en désole.
S’il était possible de poursuivre en justice nos élites politiques pour non-assistance à peuple en danger...
Merci encore Paul-Émile Roy pour cet autre grand texte publié ici avec la complicité de Vigile.
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Danièle Fortin, membre de l'Union démocratique pour l'indépendance du Québec - UDIQ
Archives de Vigile Répondre
16 décembre 2007Il est intéressant d'avoir accès à la réflexion d'une personne comme vous. qui porte attention à la société québécoise et formule une pensée riche et articulée. Pour cela je vous remercie.
Il serait certainement intéressant et enrichissant d'approfondir l'incidence de l'évolution de la pensée scientifique et philosophique, parmis les multiples propositions qui viennent de l'extérieur , sur l'interprétation des vérités acquises et sur le développement de la capacité pour l'individu d'ici de formuler et d'assumer une pensée personnelle créatrice.
Il semble qu'il y a deux capacités fondamentales en plus d'un environnement favorable pour soutenir le passage de l'adolescence à l'age adulte chez l'individu : à savoir 1) un processus d'estime de soi bien enclenché ( cadeau de la dimension féminine ) 2) une capacité à négocier et à assumer sa juste place dans l'environnement ( cadeau de la dimension masculine ) et 3 ) un groupe, familial ou autre, et un réseau de soutien apte à favoriser le passage, la maturité et ultimement l'acquisition de la liberté.
Est-ce que la compréhension des conditions de l'évolution d'un individule peuvent se transposer en regard de l'évolution d'une société? Comment alors accompagner une société dans sa réflexion systémique et sa marche vers la maturité ?
Jacques Bergeron Répondre
16 décembre 2007Mon cher Paul-Émile Roy, votre analyse ,juste et éclairée, fait plaisir à lire. Tous et toutes ne seront pas d'accord avec cette analyse, ce la est certain.Depuis quand un article peut-il être à l'abri de critiques, surtout, comme dans ce cas-ci, on touche à l'individu dans ce qu'il ne peut admettre, refusant de se voir tel qu'il est.Pour ces gens,tout comme chez les «enfants de Duplessis»,( où seraient -ils si on ne les avait pas recueillis lorsqu'ils étaient abandonnés par ??) il est plus facile d'accuser quelqu'un que de s'interroger sur ses comportements. Chez certaines personnes,on refuse de se demander où nous serions si l'Église du Québec n'avait pas existée? Il est plus facile d'accuser cette Église que de reconnaître qu'elle fut pour quelque chose dans la survie et le développement de notre peuple.Nous n'avons qu'à relire la constitution de 1867, article 93.3, pour nous rendre à l'évidence que sans l'Église,et probablement grâce(oui!) à ses intérêts,il n'y aurait pas eu l'obligation de reconnaître l'existence d'un peuple Catholique dans la constitution du Canada,qui en même temps,par sa langue et sa culture était le même peuple.J'arrête ici,car vous avez cité suffisamment de motifs qui devraient nous permettre de voir plus clair dans notre démarche.Plus clair ,en tout cas que ceux et celles qui prétendent que le Québec était dans la grande noirceur sous Duplessis.S'ils y regardaient de plus près, ils verraient que la grande noirceur est celle qui interdit aux individus d'apprendre à lire, à écrire et à apprendre les rudiments de leur histoire. Dans ce sens nous ne pouvons être »fiers» de nos «Politiques» et de nos «Intellectuel-le-s» qui ont «brûlé» nos livres d'Histoire au feu de la Saint-Jean et de leur rectitude politique.Je pense ici entre autres individus, à Gérard B, co-président de la commission B & T, et à M. Taylor, ces deux confesseurs publics ( vous voyez ,la religion est toujours présente dans notre vie) qui viendront nous imposer leurs recommandations dans un rapport qu'ils seront les seuls à comprendre ,alors que nous devrons nous contenter de nous accommoder avec une minorité de gens qui, sous le couvert de leurs religions, refuseront toujours de s'assimiler (quel vilain mot)au Québec de langue française, quoi qu'en dise le «pathétique» et «larmoyant» président de la SSJB de Montréal.
Jean Pierre Bouchard Répondre
15 décembre 2007Si dans son livre au titre de Lectures Québécoises et indépendance, P.É.Roy a su rappeler entres autres notre lointain passé "d'aventuriers et voyageurs" en Nouvelle France c'est qu'il sait que l'on sous estime nos qualités de Québécois vivant aujourd'hui qui ne valent pas moins que ceux de nos ancêtres.
M.Roy, vous ne vous trompez pas avec les effets du colonialisme sur notre psychisme collectif. Un colonialisme qui toutefois n'a pas toujours rencontré un rapport neutre avec l'église.
Dans tous les cas ce n'était plus possible de voir ici une église de survivance se confronter avec succès contre le dynamisme du scepticisme post moderne.
Le post modernisme n'est pas à confondre ici avec le multiculturalisme parce qu'il se sépare du religieux par son principe.
Toutefois la pensée n'échappe pas aux paradoxes. Ce qui fait que le catholicisme se maintient au Québec de façon souterraine à travers son héritage culturel et patrimonial. Le message évangélique d'intégrité est politique et il concerne aussi l'intégrité de notre nation.
David Poulin-Litvak Répondre
15 décembre 2007La Révolution tranquille, spirituellement, en effet, est une mort. Sans doute que la Révolution indépendantiste, elle, sera une résurrection. La naissance même du christianisme est l'histoire d'un deuil de la religion mosaïque, ethnique, juive, pour donner naissance à la première religion à caractère universel dans l'histoire des monothéismes. L'ethnicité de la religion juive et des personnages fondateurs du christianisme, elle, a été dépassée dans l'Islâm, premier monothéisme ethniquement non-juif. Son universalisme, donc, allait plus loin. Puis viendront le protestantisme, rupture de type “islamique”, par sa modération ou élimination des intermédiaires entre Dieu et l'homme, au sein du christianisme; et finalement, la pensée scientifique, rupture religieuse, qui accompagnera une nouvelle vision de l'homme, spirituellement tronquée il est vrai, mais profondément démocratique.
La conjugaison entre spiritualité et modernité est la voie, à mon sens, du renouveau, de la résurrection. C'est finalement accepter du passé ce qu'il avait de plus grand, de plus profond, le conjuguant avec l'espoir et l'aspiration de l'homme, pour lui donner un nouvel élan. Mais, ce n'est pas là l'oeuvre de la génération du baby-boom, c'est celle qui reste à faire. La Révolution tranquille, c'est le Québec qui d'agenouillé, ancre son pied droit dans le sol, et pousse, se lève. La Révolution indépendantiste, c'est lorsqu'il se tient enfin debout, et qu'il porte son regard, comme il est dans la nature de l'homme de le faire, vers l'horizon. Mais lorsqu'on est debout, l'on voit aussi bien mieux derrière soi que devant. Reste qu'on ne marche pas la tête tournée vers le passé. L'indépendance est un geste d'avenir.
Raymond Poulin Répondre
15 décembre 2007Monsieur Roy, cela vous paraîtra peut-être étonnant, mais je suis pleinement d'accord avec vous.