Le plan Baird - Une politique qui repose sur un pari

Le gouvernement Harper est en train de jouer un vilain tour à la réputation du Canada sur la scène internationale

De Kyoto à Bali


L'exploitation des sables bitumineux, dont 70 % sont exportés aux États-Unis, est responsable de la moitié de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre du Canada.

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Le lancement du plan Baird sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Canada a donné lieu à une préparation psychologique aussi méticuleuse que s'il s'agissait du lancement d'une navette spatiale. Reste à déterminer si l'objectif consistait à informer ou à désinformer.

Rarement aura-t-on vu efforts aussi grands que ceux consacrés à préparer l'atterrissage du plan national de réduction des émissions de GES du ministre fédéral de l'Environnement, John Baird.
D'abord, les étiquettes. Après 15 mois au pouvoir, tous les communiqués gouvernementaux sont encore coiffés de la fallacieuse appellation d'origine contrôlée «nouveau gouvernement conservateur». Et, contrairement aux prétentions du gouvernement Harper, il ne s'agit pas du «premier» mais du deuxième plan canadien dans ce domaine, le premier ayant été déposé au printemps 2005 par l'ancien titulaire d'Environnement Canada et chef actuel du Parti libéral, Stéphane Dion.
Le dépôt du plan Baird a été précédé d'une étude non signée, que le gouvernement avait basée sur l'atteinte des objectifs de Kyoto en huit mois. L'hypothèse de base de cette étude, qui aboutissait à un prix de 195 $ la tonne, était évidemment farfelue parce que le Canada a encore six ans devant lui pour atteindre ses objectifs et peut même bénéficier d'un délai additionnel avec un plan de rattrapage, sans pénalité, si ce plan est jugé crédible. Le premier plan canadien pouvait s'étaler sur au moins sept à huit ans et aurait pu profiter des prix internationaux du carbone, qui se situent autour de 15 à 20 euros, soit entre 22 et 30 $CAN.
Il est surprenant de constater avec quelle duplicité l'étude apocalyptique de la semaine dernière a pu être diffusée de façon aussi peu critique par les médias canadiens. La véritable sanction économique est toujours celle du marché. Or, quand le premier plan fédéral de réduction des émissions de GES avait été publié, en 2005, les secteurs industriels de l'énergie, du pétrole et du raffinage des métaux n'avaient pas parlé de drame économique. Et les bourses continentales, qui s'émeuvent de la moindre petite bombe sur un pipeline irakien, étaient demeurées totalement insensibles au plan fédéral de 2005, qui prévoyait d'atteindre les objectifs de Kyoto, quitte à ce que le trésor public achète les crédits... et revende les excédents. Quand le marché parle aussi clairement pendant un an, les économistes de service se disqualifient eux-mêmes.
Le plan Baird
Mais examinons ce plan de plus près.
Il a pour objectif ultime de ramener en 2020 les émissions de GES du Canada à 20 % sous le niveau de 2006, ce qui devrait ramener les émissions à 627 mégatonnes (Mt) par rapport aux 784 Mt que nous avons émises l'an dernier.
Or le plan Baird n'exige d'ici 2020 que des réductions de l'intensité des émissions. Il écarte toute exigence de réductions nettes ou en chiffres absolus comme dans le premier plan fédéral. Il demande plutôt aux industries de réduire la quantité de combustible fossile utilisée pour chaque unité de production.
La réglementation fédérale exigera une réduction de 18 % de cette «intensité» pour 2012 et de 2 % par la suite, sous peine d'amendes si on réussit à prouver des infractions. Les nouvelles entreprises bénéficieront d'une exemption de trois ans et celles dont l'utilisation de combustibles serait incompressible n'auront ni à changer de procédés ni même à compenser leurs émissions par des achats. Ce cadeau inexpliqué devient ainsi un droit de polluer permanent. En l'absence de plafond absolu des émissions globales, les autres entreprises n'auront pas à compenser par des efforts additionnels pour les «clauses grand-père» qu'on accorde aux pollueurs qui se déclareront impénitents.
Du moment que le ratio production-rejet en vigueur sera respecté, chaque entreprise pourra accroître en toute quiétude sa production et ainsi contribuer davantage au réchauffement du climat. Celles qui utiliseront moins de combustibles fossiles que prévu par les normes obtiendront des «crédits» même si, en chiffres absolus, leurs émissions pourraient augmenter substantiellement. On comprend pourquoi le marché international, régi par les règles de Kyoto, n'accepte pas cette monnaie de singe.
En réalité, le plan Baird constitue un pur pari, car personne ne peut prédire sérieusement l'évolution de l'économie et de la productivité d'ici 2020, sauf peut-être les astrologues et les cartomanciennes. En l'absence de plafonnement réglementaire des émissions, rien ne garantit en effet que l'objectif de réduction de 150 millions de tonnes sera réalisé. Il s'agit d'une projection, tout simplement.
La faute à qui?
Depuis leur élection, les conservateurs imputent à leurs prédécesseurs la responsabilité de la hausse des émissions de GES, qui dépassent actuellement les objectifs de Kyoto de 35 %. Un pari devenu impossible, disent-ils, d'où leur décision de baisser les bras dès leur élection et de prendre 13 ans pour les relever un peu. Là encore, les faits racontent une autre histoire.
L'essentiel de la réglementation du plan fédéral de 2005 était prêt au moment de l'élection des conservateurs. Le registre des émissions canadiennes était fin prêt lui aussi. La loi fédérale de l'environnement avait été amendée pour inclure les GES dans la liste des contaminants, ce qui devait permettre au gouvernement d'édicter par règlement les obligations de rapport et les modalités de reconnaissance, d'achat et de vente des crédits d'émissions, etc. Le gouvernement Harper n'avait en somme qu'à accélérer la mise en oeuvre du plan gouvernemental pour mettre le Canada sur les rails de Kyoto. Il a plutôt stoppé le train et propose de le remplacer par une fourgonnette.
Le budget pour atteindre les objectifs du premier plan s'élevait à dix milliards. Le plan Baird coûtera neuf milliards. La différence, c'est que pour un milliard de dollars de moins, le Canada se retrouvera en 2010 avec des émissions dépassant de 35 %, au mieux, le niveau de référence international, soit celui de 1990. Avec le premier plan fédéral, il se serait rapproché de sa cible et aurait eu le temps de corriger le tir au besoin. Mais il aurait dû dépenser d'ici 2012 les dix milliards prévus alors que les neuf milliards du plan Baird seront dépensés d'ici 13 ans. Voilà peut-être l'objectif budgétaire du plan Baird. Reste à savoir ce que les conservateurs veulent faire de cet argent économisé sur le dos de la planète.
À dépense quasi égale mais étalée différemment, le plan Baird ne réalisera pas les objectifs de la première phase de Kyoto avant la fin de la deuxième phase (2012-20). En 2020, le Canada va se retrouver, selon les prévisions d'Ottawa, avec un niveau d'émissions supérieur de 11 % à ses objectifs de la première phase de Kyoto.
La politique du laisser-faire
Certains disent même que sa politique institutionnalise le laisser-faire, car sans politique réglementaire de réductions, uniquement sous la poussée des forces du marché, le taux d'efficacité énergétique du Canada -- ou l'intensité de ses émissions -- s'est amélioré de 47 % entre 1990 et 2004 alors que le plan Baird prévoit une amélioration de 26 % seulement entre 2007 et 2020. Cet objectif fédéral est probablement inférieur à un scénario de non-intervention gouvernementale, car les entreprises d'ici vont avoir tendance à adopter, par souci de compétitivité, les technologies moins énergivores que la course aux réductions des GES a fait émerger en Europe et en Asie.
Toutefois, cette politique canadienne qui s'aligne sur les tendances naturelles du marché va avoir pour conséquence très concrète d'expulser le Canada de l'effort concerté de lutte contre les changements climatiques, qui place plus de 180 pays signataires sous le chapeau de Kyoto. Le Canada va se retrouver dans le clan des États «voyous» environnementaux, avec les États-Unis et l'Australie. Il réserve ainsi un enterrement de première classe à sa réputation de leader environnemental, patiemment élaborée depuis 20 ans, légèrement minée lors des négociations sur le protocole de Carthagène (OGM) mais reconfirmée lors de la conférence de Montréal, en décembre 2005.
L'impact de ce rejet de Kyoto frappera les entreprises d'ici de diverses façons. Certaines ne pourront plus transférer à leurs filiales canadiennes les crédits accumulés sur le marché européen, ou vice-versa. Nos entrepreneurs n'auront pas accès à ce marché de plus de 70 milliards dans trois ans. Faute d'incitatifs puissants ainsi que de vrais plafonds d'émissions, le Canada ne modernisera pas son parc industriel aussi rapidement que les pays engagés dans cette voie, lesquels, curieusement, n'ont encore subi aucune catastrophe économique sur le marché européen. Bien au contraire.
Mais en s'expulsant lui-même du protocole de Kyoto, le Canada privera aussi ses entreprises après 2012, quand son retrait de Kyoto sera avéré, de tout accès au Mécanisme de développement propre (MDP), qui ouvre la porte à des projets de réduction des émissions de GES à moindre coût dans les pays en développement. Les détenteurs de crédits de ces pays vont évidemment préférer vendre à fort prix sur les marchés réglementés plutôt que sur le marché de réductions virtuelles prévu au Canada. Quant au marché nord-américain, pour l'instant limité à des achats volontaires, la valeur des crédits y est de cinq à dix fois inférieure à celle des marchés réglementés.
Dans le premier plan canadien, le gouvernement fédéral imposait aux grands émetteurs une réduction de 45 Mt. Or aucune crise économique ou boursière ne s'est produite à la suite de l'annonce de ce plan, qui exigeait en cinq ans ce que les conservateurs ne prévoient même pas faire en 13 ans, sans résultat garanti. En effet, en étendant à toutes les entreprises canadiennes des réductions en intensité de 65 Mt, le secteur des grands émetteurs n'écope pas davantage que dans le premier plan gouvernemental, le groupe d'entreprises étant sensiblement élargi.
La différence cependant, c'est que de grandes pétrolières ne pourront pas devenir d'ici cinq ou six ans des vendeurs de premier plan de crédits sur le marché international ou canadien, ce qui aurait été possible avec la séquestration du carbone. Cette technologie leur aurait en effet permis de dépasser amplement leurs objectifs et de vendre à fort prix sur un marché en croissance leurs excédents de performance environnementale. Certes, plusieurs auraient été obligés de payer plus cher pour produire proprement. Mais sur le plan des principes, l'économie s'assainit quand les externalités, comme les émissions de GES, sont intégrées dans les prix, ce qui devrait être l'article premier du catéchisme d'un vrai conservateur.
Force est donc de conclure que le gouvernement Harper est en train de jouer un vilain tour à son économie et à sa réputation par une politique d'intervention plutôt symbolique en pleine urgence planétaire. Une seule raison permet au bout du compte d'expliquer l'attitude des conservateurs: même s'ils affirment le contraire depuis quelques semaines, on peut légitimement penser qu'ils ne croient pas ou ne voient tout simplement pas, comme groupe, l'importance de l'enjeu environnemental en cause.


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