Un don honteux

JJC, les pieds dans la merde.... jusqu'au menton!



Un excellent dossier diffusé la semaine dernière par Radio-Canada sur les dons écologiques remet heureusement le dossier nébuleux à l'avant-plan de l'actualité.
Résumons les faits divulgués par l'équipe de l'émission Enquête. Le promoteur Alphonso D'Argento obtient dans les années 80 la permission de construire des immeubles résidentiels immunisés sur l'île d'Argent, située juste en aval du pont de la 15 sur la rivière des Prairies. Il l'utilise comme site de remblayage malgré l'opposition des fonctionnaires du ministère de l'Environnement, lequel n'a jamais expliqué pourquoi il n'est jamais intervenu pour empêcher la destruction des milieux humide du centre de cette île. Y a-t-il eu dès cette époque de l'interférence pour neutraliser les fonctionnaires? Ou s'agit-il de la mollesse chronique de ce ministère, qui se demande toujours d'abord quelles sont les raisons qui le justifient de ne pas intervenir plutôt que de faire du droit positif. Pour l'instant, c'est la politique des gros coups... de mouchoir de papier.
Mais le projet immobilier en reste là, même autorisé, sans doute en raison d'une espérance de profits assez faible. Or, récemment, les promoteurs vendent cette île à Canards illimités pour 14 millions, soit 4 millions comptant, plus un reçu pour don écologique, susceptible de lui rapporter un crédit d'impôt de 10 millions. Dans les jours suivants, Canards illimités revend l'île d'Argent à Montréal pour 4 millions. Quant au promoteur, il empoche, aux frais des contribuables, un crédit d'impôt de 10 millions. L'île Lapierre a ainsi justifié son nouveau nom d'île d'Argent.
Quand un organisme habilité légalement à recevoir des dons écologiques délivre un reçu d'impôt de cette valeur, les ministères du Revenu (du Québec et du Canada) vérifient auprès de leurs spécialistes en environnement — en l'occurrence de leur ministère respectif de l'Environnement — si le don en question vaut la valeur alléguée. La réponse des fonctionnaires d'Ottawa et de Québec a été très claire dans ce cas, selon le reportage: «non».
Le porte-parole du ministère, qui était aussi le vendeur émérite du Plan Nord lors des dernières audiences, a beau prétendre qu'il n'y a eu aucune interférence politique pour qu'on finisse par confirmer la valeur du don, Radio-Canada affirme le contraire. On voit à quel point le promoteur est d'ailleurs un proche de Jean Charest, en bonne compagnie de qui on le voit en Floride. Il est d'ailleurs ineffable de l'entendre dire en entrevue que ça ne nuit pas d'avoir de bons contacts en politique.
Le jeu de Canards illimités dans ce dossier va miner sa crédibilité pour longtemps.
Sans son intervention, le promoteur n'aurait eu d'autre choix que de négocier directement avec Montréal. C'est l'intervention de Canards illimités, comme entremetteur, qui va refiler aux contribuables un crédit d'impôt de 10 millions pour un don jusqu'ici jamais justifié sur le plan biologique, une ponction en apparence injustifiable dans les fonds publics. On comprend la mairesse de Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau, et la chef de l'opposition à Montréal, Louise Harel, d'avoir refilé le dossier à la police pour vérifier si on ne serait pas ici en face d'un nouveau stratagème de piratage des fonds publics. Espérons que la police ira jusqu'au fond du dossier.
Même la Ville de Montréal est en situation de complaisance inadmissible dans ce dossier. Elle paye une île 4 millions alors que sa dernière évaluation précise qu'elle ne vaut même pas 400 000 $. Elle a donc payé dix fois trop cher! Ça aussi mérite enquête, car il faut savoir si cet argent n'aurait pas été mieux dépensé ailleurs. Montréal, Québec et Ottawa se retranchent derrière l'argument selon lequel le don doit refléter la perte de revenus anticipés par le promoteur. Il s'agit d'un argument fallacieux auquel les tribunaux ont malheureusement fait droit et un principe juridique dont l'application doit être endiguée. Pourquoi les gouvernements, en situation d'expropriation ou de dons écologiques, devraient-ils donner au promoteur des profits qu'il n'est pas certain de réaliser? À preuve, le fait que le projet n'a jamais démarré en 20 ans après avoir pourtant été autorisé.
Première conclusion: il faut revoir cette règle et amender le Code civil pour que cesse cette escalade farfelue qui fait de la mainmise publique sur un bien immeuble une opération plus profitable et moins risquée qu'un investissement normal.
Ce dossier soulève plusieurs autres questions. Sur quelles évaluations se sont appuyés les deux ministères de l'Environnement? Quand vont-ils dévoiler ces études, sous peine de confirmer les pires hypothèses de complaisance ou d'incompétence? Leurs évaluations reposaient-elles sur de simples caractérisations à partir de photos aériennes ou sur une caractérisation écologique et des études pédologiques, compte tenu de ce qu'ils savent qui a été enfoui dans ces remblais?
Le risque d'interférence dans ce genre de dossier est courant, d'autant plus que ces ministères sont réputés pour accorder de fortes primes à la complaisance. Il serait beaucoup plus crédible de confier l'évaluation biophysique et économique des dons écologiques à des universitaires, plus indépendants des pouvoirs économiques et politiques que les firmes de consultants, qui voudront éviter tout faux pas envers de gros promoteurs.
Les dons écologiques constituent un «marché» invisible pour les grands et petits organismes de conservation. Ils y trouvent un terrain propice à des alliances stratégiques de long terme avec de gros promoteurs, voire des remerciements en argent sonnant qui pourraient s'apparenter à des ristournes sur les fonds obtenus du Trésor public. Il serait temps de vérifier si on est en face d'un autre système de financement et de profits occultes aux frais des contribuables.


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