Le piège de l'évidence au Québec

Tribune libre 2008

Je partage avec vous D. Desroches* - [La construction de la cage->11055] - cette idée
d’une société québécoise assoupie qui insuffisamment endormie chercherait
en quelque sorte à obtenir des somnifères afin de pouvoir s’endormir
davantage.
Ce phénomène d’assoupissement collectif néanmoins n’apparaît pas comme une
stricte affaire de mauvaise volonté. Cette situation est propre au
comportement humain qui est chroniquement marqué par l’effet d’aveuglement
des images, des sons, des valeurs et des normes qui s’imposent à
l’intérieur des sociétés selon les époques. Il faut un effort de réflexion,
de sens critique et de détachement pour être capable de ne plus croire les
prétendues « vérités » que les médias nous inoculent heures après
heures.
Michel Foucault, l’exemple d’un intellectuel brillant de la fin du 20ème
siècle qui a été référé quoique maladroitement par V.L. Beaulieu - [Se
déprendre de soi même->11066] - il y a peu en parlant de la nécessité de se «
déprendre de soi même » a exprimé ce problème que nous avons a priori
d’accepter toutes les choses qui se présentent devant nous comme des
évidences indiscutables.
Concrètement cela veut dire par exemple que si le Québec est une province
cette condition est rentrée apparemment dans nos « mœurs »
abasourdies et qu’il ne faudrait pas que ça change. Des centaines de
milliers de Québécois particulièrement en régions refusent absolument la
possibilité de l’indépendance parce qu’ils sont nés dans le cadre légal et
normatif canadien et ce comme si celui-ci avait toujours existé et qu’il
devait s’avérer éternel.
Autre exemple, des millions d’Américains sont incapables de percevoir les
failles et la faillite de leur système politique dévoré par le complexe
militaro-industriel et par ce fait même par l’oligarchie d’argent. Ces
Américains sont convaincus que leur système politique élaboré par la
constitution de la république inaugurale est sacré et non réformable. Ces
gens sont nés avec ce système et sa « familiarité » lui procure une
légitimité surfaite.
Foucault s’interrogeait sur notre acceptation si « naturelle » des
prisons, de la constitution de nos écoles, de nos hôpitaux, de même que de
nos conceptions toutes faites sur plusieurs catégories d’individus.
Connaissant les nombreux bouleversements et révolutions qui ont déterminé
l’histoire de l’Europe, il s’est toujours étonné que malgré tout la chape
de plomb des habitudes, des conformismes et du conservatisme se manifeste
si rapidement chez ces nations d’Europe après ces secousses en sachant que
tôt ou plus tard de nouveaux changements sociaux se manifesteront ceux là
non voulus ni désirés.
Foucault a souhaité pour les individus et par extension pour les sociétés
une capacité à ne plus voir comme légitime un ensemble de gestes ou de
pratiques qui suscitent davantage de souffrance que de satisfaction et qui
ne se maintiennent que par le jeu d’intérêts et le caractère de « vérité »
automatique qu’on leur procure à nos propres dépens. À partir de ces
définitions on peut remarquer que le Canada se présente au Québec comme une
sorte de
« vérité révélée » mais voilà c’est une illusion politique encouragée à
coups de subventions et de commandites pour satisfaire l’oligarchie
torontoise et albertaine. C’est de cela qu’il s’agit et pas d’autre chose,
la fusion vente de la bourse de Montréal en offre une illustration
récente.
Autre problème sous jacent que j'esquisse ici pour l'instant. Nous
souffrons aussi au Québec de notre perte de transmission du sens entre
parents et enfants. La figure paternelle ne joue guère son rôle en terme de
l'affirmation de notre être collectif afin que celui ci se communique aux
nouvelle générations. Cela donne par exemple les récriminations sous forme
caricaturale entre les membres de la génération x ou post génération x
contre celle des boomers. Ici le Québec avec son héritage d'infériorité
coloniale s'est laissé piégé par la fausse évidence de l'individualisme
chaotique.
Toutefois, nous Québécois nous ne sommes pas tous coincés par les
évidences, si 15% de Québécois réfléchissent beaucoup chez une nation c’est
relativement déjà pas si mal. Sans compter qu’au niveau du sens commun, un
million et demi au moins de Québécois se doutent bien que quelque chose ne
tourne pas rond et ce même si confusément à travers le bruit du zapping
médiatique. Il suffit de voyager un peu en dehors de son quartier
d’habitation pour se rendre compte que d’autres mondes existent. Le décor
imposé depuis la naissance n’est pas synonyme de la réalité totale. C’est
ce qu’il faut comprendre.
* Desroches: selon un autre axe, j’apprécie vos remarques positives à mon
endroit en rapport avec mes textes ou réactions.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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